Percée des anti-euro en Allemagne : état des lieux de l'euroscepticisme en Europe<!-- --> | Atlantico.fr
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"L’euroscepticisme ne se limite pas à une opposition à la monnaie unique."
"L’euroscepticisme ne se limite pas à une opposition à la monnaie unique."
©Reuters

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Défiance à l'égard des institutions européennes, de la monnaie unique, des deux ? Ce que révèle la montée des partis eurosceptiques.

Guillaume  Bernard

Guillaume Bernard

Guillaume Bernard est maître de conférences (HDR) à l’ICES (Institut Catholique d’Etudes Supérieures). Il a enseigné ou enseigne dans les établissements suivants : Institut Catholique de Paris, Sciences Po Paris, l’IPC, la FACO… Il a rédigé ou codirigé un certain nombre d’ouvrages dont : Les forces politiques françaises (PUF, 2007), Les forces syndicales françaises (PUF, 2010), le Dictionnaire de la politique et de l’administration (PUF, 2011) ou encore une Introduction à l’histoire du droit et des institutions (Studyrama, 2e éd., 2011).

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Atlantico : Lors des élections législatives allemandes du 22 septembre, le tout nouveau parti eurosceptique AFD a réussi une percée relativement importante pour atteindre 4,8 % des suffrages. Cette poussée des partis eurosceptiques s'observe un peu partout en Europe. Comment l'expliquez-vous ? Ce phénomène est-il lié à la crise ?

Les résultats des élections législatives en Allemagne :

Source : Les Echos

(Cliquez sur l'image pour l'agrandir)

Guillaume BernardDepuis une vingtaine d’années, les forces politiques eurosceptiques apparaissaient régulièrement à l’occasion des élections européennes mais, dans la plupart des cas, elles disparaissaient quasiment de l’espace politique lors des autres élections. Ce qui semble désormais acquis, c’est que, désormais, elles sont susceptibles d’exister et même de progresser à toutes les élections, nationales et locales. Un cas récent et significatif est celui de l’UKIP outre-manche qui concurrence les Conservateurs britanniques pourtant peu enthousiastes de la construction européenne (ceci ayant été manifesté par leur départ du groupe PPE au Parlement européen).

La crise économique qui frappe l’Europe explique sans doute la progression de l’euroscepticisme. N’avait-on pas expliqué aux citoyens des Etats qu’il fallait accepter des abandons de souveraineté pour obtenir la prospérité ? Celle-ci n’étant pas au rendez-vous, il est logique qu’il y ait une déception. Cela dit, l’euroscepticisme se développe dans tous les Etats européens, y compris ceux qui apparaissent comme étant les « gagnants » de la construction européenne (c’est le cas de l’Allemagne avec l’apparition de l’AfD). Il progresse aussi dans des Etats qui, sur certains points non négligeables, sont en marge de l’Union : alors que le Royaume-Uni n’est pas membre de la zone euro et a négocié des clauses particulières dans le cadre de Schengen, l’UKIP progresse. Il serait donc réducteur de n’attribuer l’euroscepticisme qu’à la crise économique. Il serait illusoire de croire (comme sur d’autres sujets d’ailleurs, comme l’insécurité) que le facteur économique puisse résorber tous les problèmes.

La crise qui frappe l’Union européenne est aussi institutionnelle et identitaire. Sur le premier point, il faut notamment noter l’incompréhension quasi générale de la nature juridique de l’UE et du processus interne de décision. L’UE est une organisation internationale mais dont le fonctionnement interne se rapproche de celui d’un Etat fédéral (d’un certain type d’ailleurs). Le pouvoir législatif est certes de plus en plus co-exercé par le Parlement européen, mais le principal décideur en la matière est le Conseil de l’Union, c’est-à-dire les ministres des Etats membres. Le fonctionnement démocratique de l’UE est donc difficilement palpable. A l’inverse, l’aspect technocratique de la Commission (l’exécutif de l’UE), bien réel, n’est un mystère pour personne. Tout cela ne contribue pas à donner confiance.

Sur le second point, l’identité de l’UE apparaît comme extrêmement floue. Elle est à géographie plus que variable. Tous les Etats membres de l’UE ne font pas partie de la zone euro. Des Etats participant à Schengen (la Suisse, la Norvège) ne sont pas membres de l’UE. En outre, celle-ci envisage d’intégrer un Etat, la Turquie, qui a occupé militairement, pendant plusieurs siècles, toute une partie de l’Europe historique en ne laissant pas, c’est moins que l’on puisse dire, un souvenir radieux ! Enfin, il ne faut négliger le fait que la diversité linguistique est, à l’évidence, un obstacle à la cristallisation d’une conscience politique commune.

Le scénario consistant à rendre les économies des Etats européens tellement interdépendantes que l’union politique serait inéluctable ne semble pas totalement fonctionner. Et ceci d’autant plus que les peuples ne comprennent pas que l’Union puisse être, à la fois, extrêmement contraignante (harmonisation des droits que, pourtant, le fédéralisme ne nécessite nullement comme en témoignent les Etats-Unis) et sans aucune puissance diplomatique et militaire d’envergure (ne serait-ce que pour assurer la défense de son propre territoire). Il y a, là, une incohérence que les peuples pourraient ne plus supporter. L’euroscepticisme ne traduit pas une opposition à l’idée européenne, une négation de l’Europe en tant que civilisation, mais une contestation de plus en plus hostile de l’Union européenne.

Les électeurs qui votent pour ces partis sont-ils nécessairement tous favorables à une sortie de l'euro ou s'agit-il plutôt d'un vote de défiance à l'égard des institutions européennes ?

La monnaie unique et les institutions de l’Union européenne (succédant à celles des Communautés) sont symboliquement et juridiquement intrinsèquement liées : elles sont issues du traité de Maastricht (1992). Par conséquent, la défiance (et pas seulement une baisse de la confiance) vis-à-vis des institutions européennes (qui apparaissent comme coupées ou méprisant la réalité des peuples) rejaillit naturellement sur l’euro. Dans l’opinion publique, l’hostilité à l’euro est le plus souvent liée à un sentiment (pouvant être tout à fait réel) de paupérisation. Il est assez logique que les partis eurosceptiques (tant du point de vue de l’élargissement géographique que de l’approfondissement institutionnel) aient intégré cette question (pouvant être à coloration populiste) dans leur programme.

En outre, l’opposition à l’euro ne signifie pas nécessairement de l’inconscience politique ou une volonté de provoquer un séisme juridico-diplomatique : d’aucuns pensent que la sortie de certains Etats de la zone euro est inéluctable pour, justement, éviter un éclatement du reste des institutions. Cela paraît d’autant plus envisageable que tous les Etats membres de l’Union européenne n’appartiennent effectivement pas à la zone euro.

Doit-on obligatoirement amalgamer partis anti-euro et partis populistes ? Quels sont les principales différences entre ces types de formations ?

Les scores des partis eurosceptiques aux dernières élections :

PaysPartiPourcentageElectionAnnéeNotes
AllemagneAfD (Alternative für Deutschland)4,8Législatives2013
Die Linke (gauche)8Législatives2013
AutricheTeam Stronach (post-Haider)Entre 8 et 12Locales2012A culminé avec Jorg Haider ; le Stronach vient de naître
BelgiqueVlaams Belang12,6Fédérales2010A culminé à 24% en 2004
DanemarkParti populaire danois12,3Législatives2011
FinlandeVrais Finlandais12,3Municipales2012
FranceFront national18Présidentielle2012
Extrême-gauche (LO, NPA…)4Présidentielle2012
GrèceLAOS3Législatives2012
Aube Dorée7Législatives2012
HongrieJobbik16,7Législatives2010Le Fidesz d'Orban, au pouvoir, est également eurosceptique
ItalieLigue du Nord4Générales2013A eu des poussées à 10%
Pays-BasParti pour la Liberté10Législatives2012A culminé à 17%
PologneDroit et Justice30Législatives2011A été au pouvoir (frères Kaczynski)
République TchèqueParti démocratique civique20Législatives2010A culminé à 35% il y a quelques années et été au pouvoir
Royaume-UniParti pour l'indépendance du R-U17Locales2015Parti de pas grand-chose, il progresse à vitesse grand V


L’euroscepticisme ne se limite pas à une opposition à la monnaie unique ; d’autres aspects de la construction européenne sont critiqués (question des frontières intérieures et extérieures, politique d’élargissement, fonctionnement des institutions). Il existe des mouvements eurosceptiques dans des pays qui n’appartiennent pas à la zone euro (au Danemark, par exemple). Par ailleurs, tous les mouvements eurosceptiques ne sont pas nécessairement populistes (doctrinalement et socialement) : ils ne peuvent pas être véritablement qualifiés de populistes s’ils n’ont pas un profond enracinement dans les catégories sociales moyennes et surtout populaires.

Il existe donc différentes raisons de s’opposer à l’euro, certaines peuvent être de type populiste mais d’autres ne le sont pas nécessairement. Dans le premier cas, l’opposition à l’euro s’appuie notamment sur la dénonciation de l’augmentation du coût de la vie et sur la distorsion entre les flux économiques réels et ceux financiers. Dans le second, il s’agit plutôt d’une défense de la souveraineté nationale : que la politique monétaire de l’Etat soit pilotée par une banque centrale nationale, et non par la BCE supranationale, afin notamment qu’elle puisse être adaptée à la situation économique du pays (certains Etats peuvent avoir intérêt, par exemple, à une monnaie forte tandis que d’autres non). Il va de soi que ces deux types de motivation peuvent coexister parallèlement (et être défendus par des partis différents) mais aussi converger (au sein d’un même programme politique). Dans ce cas, le mouvement populiste s’enracine dans un substrat souveraino-nationaliste. C’est le cas en France avec le Front national. Au final, on peut être hostile à l’euro sans être populiste mais, en l’état actuel des choses, il paraît délicat d’être populiste sans être opposé à la monnaie unique.

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