Mali : le gouvernement de transition franchit la ligne rouge fixée par la France <!-- --> | Atlantico.fr
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Les soldats de la force Barkhane à In-Tillit le 1er novembre 2017 dans le centre du Mali, dans la zone frontalière avec le Burkina Faso et le Niger.
Les soldats de la force Barkhane à In-Tillit le 1er novembre 2017 dans le centre du Mali, dans la zone frontalière avec le Burkina Faso et le Niger.
©DAPHNÉ BENOIT / AFP

Géopolitico Scanner

Alors que la France a décidé de réduire ses effectifs militaires en Afrique, le Conseil de sécurité de l'ONU a incité le Mali à revenir à un pouvoir civil après deux putschs en neuf mois, dans une région marquée par les violences jihadistes et intercommunautaires. Les autorités maliennes auraient tenté de négocier avec des groupes djihadistes maliens. La France, très opposée à la négociation avec les terroristes, scrute avec attention les choix et les décisions du pouvoir malien.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico : Quel est actuellement l’état de la situation au Mali ?

Emmanuel Dupuy : Depuis l’annonce du redéploiement de l’opération Barkahane le 10 juin dernier, la situation sur le terrain ne s’est pas améliorée. Entre avril et juin, 600 personnes sont mortes dans des attaques menées par des terroristes selon l’ONU, notamment dans la région des trois frontières (Mali, Niger et Burkina Faso). La situation politique a néanmoins un peu changé. Les tensions sont nettement plus vives. On l’a vu dans le cadre du discours prononcé par le Premier ministre Choguel Maïga à l’Assemblée générale de l’ONU en septembre dernier. Il a adopté un ton très dur envers Emmanuel Macron en évoquant le fait que la France « lâchait en plein vol le Mali ». La situation n’a fait que se tendre ces dernières heures également avec l’expulsion du Mali du représentant de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), Hamidou Boly. L’un des vice-présidents du Conseil national de transition, Issa Kaou N’Djim, a également été arrêté. Le report des élections, prévues le 27 février 2022, est vraisemblable. Dans le même temps, il pourrait y avoir l’ouverture d’un dialogue avec les groupes armés dans le cadre des Assises nationales de la refondation, lancées il y a quelques semaines par les autorités de la transition. Les autorités maliennes ont d’ailleurs toujours prôné le dialogue avec les groupes armés. C’était déjà le cas dès  2013 et encore le cas plus récemment dans le cadre du dialogue national inclusif de décembre 2019. Il y a notamment depuis longtemps la volonté de négocier avec Iyad Ag Ghali, le chef touareg du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM, regroupant depuis mai 2017 Al-Qaïda au Maghreb islamique, le mouvement Ansar Dine et le Mujao). Il en va de même avec Amadou Koufa chef peul de la Katiba Macina. L’objectif est de « ramener la paix et la sécurité dans le pays », d’obtenir le redéploiement de l’administration et des services sociaux de base, le retour de l’Etat dans les zones où les terroristes se sont enkystés. La nouveauté est la volonté de revaloriser le rôle des légitimes et traditionnelles autorités religieuses engagées dans la prévention de la gestion des conflits. Le Sheikh Chérif Ousmane Madani Haïdara (qui préside le Haut conseil islamique) s’est engagé à négocier avec Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa. Les Maliens continuent de lutter contre les groupes armés terroristes mais veulent aussi négocier. Certains, comme l’Imam Mahmoud Dicko, font une différence entre les « enfants du pays » avec qui il faut discuter et les autres terroristes  venus de l’étranger. C’est dans ce cadre qu’a été initié, dès  octobre 2020, le dialogue de Niono entre chasseurs Donso et les djihadistes. Il existe également des velléités de dialogue entre Peuls et Dogons, à l’instar du dialogue initié dans le cercle de Koro. La France et le Niger, notamment, considèrent toujours ces groupes armés comme des terroristes et se placent dans une ferme opposition formelle à toute négociation.

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La France est très opposée à la négociation avec les terroristes. Le fait que les autorités maliennes les engagent est-il le témoignage du recul de la position française ?

Cela témoigne d’abord du fait que le pouvoir a changé de nature à la suite des deux coups d’état (août 2020 et mai 2021). Depuis lors, la voix de la France résonne bien moins fortement que par le passé. Il y a une opposition singulière entre les pays comme la France qui ne veulent pas de négociations et les pays plus souples comme le Burkina Faso et son président Roch Marc Christian Kaboré, engagé lui-même dans une négociation avec les groupes armés terroristes dans le cadre du dialogue dit de DJibo. La ministre française de la Défense, Florence Parly, a rappelé la ligne rouge à ne pas franchir lorsqu’elle s’est rendue à Bamako il y a de cela quelques semaines. Cette dernière n’a néanmoins obtenu qu’une fin de non-recevoir polie du Premier ministre et du président de transition. Toutefois officiellement, le gouvernement n’a pas confirmé la tenue des négociations avec les terroristes. Mais, même si elles ne sont pas assumées, elles existent notamment au niveau local (dialogue de Niono et dialogue dans le cercle de Koro). La France a confirmé sa position de ferme volonté de  « decapitation » des groupes armés terroristes à l’instar de l’élimination d’Adnane Abou Walid al-Sahraoui, chef de l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS), mi-aout dernier. Emmanuel Macron affirme désormais vouloir s’engager plus activement dans la lutte contre l’autre groupe présent dans la région du Liptako – Gourma et du Macina : le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), né de la fusion de groupes liés à Al-Qaïda en mai 2017.  Son chef Iyad Ag Ghali est désormais la cible prioritaire des forces françaises tout comme l’ont été les précédents chefs terroristes du GSIM neutralisés récemment (Ba Ag Moussa, chef des opérations militaires du GSIM, tué en novembre 20101 ou encore Abdallaye Ag Albaka du GSIM, ancien maire de Tessalit, tué en avril 2021. En résumé, l’homme avec qui les Maliens veulent désormais négocier est la cible prioritaire des Français. Le redéploiement de l’opération Barkhane consiste en réalité en une relocalisation sur les zones les plus périlleuses ou sévissent le GSIM et ce qu’il reste de l’EIGS. La mobilisation française et internationale était précédemment focalisée  sur le septentrion malien et sur le centre, elle se focalise désormais en priorité sur le centre et la région transfrontalière avec le Niger et le Burkina Faso, le redéploiement de Barkhane consiste donc en réalité à la fermeture de trois des six bases françaises et à une intensification de la traque contre les chefs des organisations terroristes. On passe de six bases à trois et on intensifie la traque.

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Quelle position va s’imposer ?

Le gouvernement malien a affirmé qu’il était en négociation avec les terroristes, donnant l’impression qu’il était dans une phase de reculade. La convocation de l’ambassadeur de France à Bamako, Joël Meyer, et le discours très ferme de Florence Parly donnent néanmoins le sentiment que la France considère que c’est là une ligne rouge inacceptable qui a été franchie. Les autorités de transition maliennes ont été, en effet,  très critiques à l’égard de la France et ont répété que la France abandonnait « en plein vol » le pays, justifiant l’éventualité d’un recours à la société militaire privée Wagner, confirmée par l’arrivée de quatre hélicoptères Mi-8 russes. Un autre élément à prendre en compte est la conditionnalité de l’aide au regard des velléités de négociations avec les djihadistes. L’Union européenne a ainsi été très claire, par la voie d’Emanuela Del Re, nouvelle représentante spéciale pour le Sahel de l’Union européenne, quant à  l’idée que cette aide financière considérable (8 milliards d’euros) était conditionnée à certains critères. L’Union européenne et la France estiment qu’il est, évidemment, inacceptable discuter avec des groupes armés terroristes, qui continuent de prendre pour cibles les forces onusiennes (230 morts depuis 2013), françaises (56 morts au Sahel depuis 2013), maliennes (3000 morts depuis 2013) mais également les civils.

La France, l’Union européenne et l’ONU insistent sur le fait que l’objectif de stabilisation du Mali passe avant tout par le désarmement des 84 000 personnes appartenant aux groupes armés, organisations terroristes, milices locales et groupes d’autodéfense. Le dialogue avec les djihadistes ne saurait faire oublier les nombreuses exactions liées à la multiplication de ces acteurs armés non étatiques (AANE).  

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