Les vers de terre font face à une apocalypse. Comment les sauver ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le déclin des vers de terre est alarmant - Photo d'illustration AFP
Le déclin des vers de terre est alarmant - Photo d'illustration AFP
©Wojtek RADWANSKI / AFP

Atlantico Green

Les vers de terre sont aujourd'hui menacés, à en croire des chercheurs britanniques, et la situation n'est à priori pas fondamentalement différente en France. Ce qu'il faut savoir.

André Heitz

André Heitz

André Heitz est ingénieur agronome et fonctionnaire international du système des Nations Unies à la retraite. Il a servi l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans son dernier poste, il a été le directeur du Bureau de coordination de l’OMPI à Bruxelles.

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Atlantico : Le déclin des vers de terre atteint des niveaux alarmants, notamment au Royaume-Uni, selon une étude de chercheurs du British Trust for Ornithology. Quelle est l’ampleur de ce phénomène, selon les chercheurs ? La France connaît-elle un phénomène similaire ?

André Heitz : L'étude en question, c'est « Collation of a century of soil invertebrate abundance data suggests long-term declines in earthworms but not tipulids » (compilation d'un siècle de données sur l'abondance des invertébrés du sol suggère un déclin à long terme des vers de terre, mais pas des tipulidés) d'Ailidh E. Barnes, Robert A. Robinson et James W. Pearce-Higgins.

Notez la précaution oratoire, fort bienvenue que l'on n'a pas trouvée, par exemple, sur une fameuse étude sur les insectes volants en Allemagne.

Les tipulidés sont des insectes diptères dont la plupart sont détritiphages ou se nourrissent de mycéliums de champignons, de bois mort et en décomposition ou de racines de végétaux.

Sur la base de données rassemblées à partir de plus de 100 études réalisées au Royaume-Uni, sur une période de près de 100 ans, les auteurs suggèrent « un déclin à long terme de l'abondance des vers de terre de l'ordre de 1,6 à 2,1 % par an, ce qui équivaut à un déclin de 33 à 41 % sur 25 ans. »

C'est une façon un peu curieuse de présenter des résultats sur cent ans en les ramenant à une évolution annuelle qui serait continue (avec du reste une incertitude d'un tiers calculée à partir de la valeur basse) et à une période de 25 ans.

Leur figure 3 semble raconter une histoire différente, avec une baisse moins importante sur les 25 dernières années et, surtout, une courbe de régression discutable. Attendons les verdicts des statisticiens.

Les auteurs sont aussi évasifs sur les différences entre habitats. Ils écrivent dans leur résumé : « Ces diminutions semblent plus importantes dans les forêts de feuillus et les habitats agricoles, et sont plus marquées dans les pâturages que dans les terres arables. Les différences significatives dans l'abondance des vers de terre entre les habitats varient d'un modèle à l'autre, mais semblent être les plus importantes dans les espaces verts urbains et les pâturages agricoles. »

Mais il y a des raisons à cela et les auteurs l'expliquent longuement dans une section « Comprendre les mises en garde et les biais des résultats ». En particulier, leur analyse résulte de données qui sont issues d'études disparates, et non d'un programme de surveillance structuré.

Il convient donc de prendre ces résultats à la fois au sérieux et avec une dose de circonspection. Et, a priori, il n'y a pas de raison que la situation soit fondamentalement différente en France.

Qu’est-ce qui peut expliquer ce phénomène ? Quelles sont les causes principales ? En quoi le changement climatique menace-t-il aussi les vers de terre ?

Les auteurs se sont livrés à un exercice de haute voltige pour les explications en recourant à d'autres études. Il faudrait les évaluer pour vérifier si elles sont pertinentes et non militantes, plus particulièrement qu'elles n'étayent pas une conclusion définie a priori. Est-ce par exemple réaliste d'affirmer que les forêts ont fait l'objet de drainages à grande échelle, comme le suggèrent les auteurs ? En tout cas, cette partie de l'article est faible, voire franchement criticable.

Pour les forêts de feuillus, les auteurs évoquent le changement climatique et l'asséchement des sols en été  en constatant une baisse des populations plus forte dans le sud-est de l'Angleterre. Cela ne devrait concerner que les décennies récentes. Les auteurs ne se sont pas attardés sur les forêts de conifères, la densité des populations de vers de terre y étant de toute façon faible. On peut sans peine être preneur de la thèse du changement climatique, avec la limitation précitée.

Les auteurs ne s'attardent pas sur le cas des prairies et biotopes herbacés, pour lesquels ils ont constaté un déclin plutôt important. Aventurons-nous : c'est peut-être aussi l'effet, pour les décennies récentes, du changement climatique et de l'asséchement estival des sols.

Pour les terres arables, il y a des facteurs connus affectant la richesse et l'abondance des vers de terre. Mais ont-ils sensiblement évolué dans le temps au point de produire une chute des populations, que les auteurs trouvent moins forte que dans le cas des prairies ?

Le plus important est le travail du sol par son action directe sur les vers, le bouleversement de leurs habitats... et leur exposition à l'air libre et aux oiseaux prédateurs. Un second facteur est la présence de matière organique dans le sol – l'aliment des vers de terre – et par conséquent la nature des cultures (la quantité de résidus laissés dans et au sol) et la fertilisation (minérale ou organique et, dans ce dernier cas, le type de fertilisant).

Les pesticides ont bien sûr été évoqués : « Il est largement prouvé que les pesticides augmentent la mortalité, réduisent la fécondité et diminuent la biomasse et la densité globales de la communauté des vers de terre […] » avec une référence à Pélosi et al., « Pesticides and earthworms. A review » (Pesticides et vers de terre. Une revue de la littérature).

Sauf que... Pélosi et al. conluent leur article par un exposé détaillé des raisons pour lesquelles, en fait, on ne sait pas grand-chose. 

Nous aurons l'audace de dire que si les pesticides étaient vraiment un facteur important, cela aurait été testé sérieusement sur le terrain – toutes choses égales par ailleurs. En tout cas, les vers de terre n'apprécient guère le cuivre, utilisable en agriculture biologique (et la Commission Européenne a un temps voulu le faire interdire pour cette raison notamment).

Quelles pourraient être les conséquences du recul de la population des vers de terre pour l’agriculture ? Quels sont les bienfaits des vers pour la terre et pour les cultures ?

Christophe Gatineau est dithyrambique dans son « Éloge du ver de terre » (apparemment épuisé) : « L’avenir de nos générations futures repose donc aujourd’hui sur cette bestiole qui vit dans la terre. Première biomasse animale terrestre, elle est l’un des premiers marqueurs de la biodiversité et de la bonne santé des sols, et sa raréfaction signe leur santé précaire, car un sol en mauvaise santé est à l’image d’un puits à sec ou d’un sein tari, il n’est plus nourricier. [...] »

Les vers de terre jouent, en effet, un rôle essentiel dans la structuration des sols, leur aération et par conséquent leur porosité et leur faculté d'absorber l'eau, dans le mélange des horizons, etc.

Mais rassurons-nous : ils ne sont pas prêts de disparaître et leur absence est loin de signifier la stérilité d'un sol. Le travail de ces laboureurs infatigables et gratuits peut être compensé. Mais ne pas favoriser leur présence est bien sûr idiot.

Comment permettre aux vers de terre de prospérer et de survivre ? Faut-il améliorer les techniques de conservation du sol ?

Posons ici un principe général, en accord avec Christian Lévêque, auteur de nombreux ouvrages : la biodiversité étant par nature dynamique, notre politique ne devrait pas nécessairement viser la préservation d'un état ou le rétablissement d'un état antérieur, mais l'accompagnement vers de nouveaux états si possible meilleurs. Et un meilleur état est possible !

La question de l'avenir des vers de terre se pose essentiellement dans le cas des terres arables. Nos moyens d'action sont en effet limités pour les prairies et les forêts.

Elle se noie dans une question plus large : quelle forme d'agriculture répond le mieux aux différents impératifs agronomiques, écologiques, économiques et, partant, sociaux (dans l'ordre alphabétique). 

La solution à cette question plus large n'est pas possible partout ni dans toutes les circonstances, mais elle existe, elle se développe, certes trop lentement en France... et elle est très favorable aux vers de terre, lesquels sont en fait ses puissants alliés. C'est l'agriculture de conservation des sols (le « sans labour », notamment promu par Gérard Rass) qui associe rotation des cultures, absence de travail du sol et couverture permanente du sol.

« Labourage et paturage sont les deux mamelles de la France » selon l'aphorisme simplifié de Sully que d'aucuns ont appris à l'école (autrefois...) ? C'est faux pour le labour.

L'agriculture de conservation des sols utilise fréquemment le glyphosate pour la destruction des couverts. Contrairement à la rhétorique anti-pesticides, que l'on a par exemple vu déployer dans le Monde la veille du vote sur le renouvellement de l'autorisation de l'herbicide, le glyphosate est un allié des vers de terre !

Comment permettre... ? En faisant preuve, ici comme ailleurs, de rationalité.

(Source)

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