Les réformes sociétales sont-elles (au moins) une bonne affaire électorale pour la gauche ? <!-- --> | Atlantico.fr
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La loi sur le mariage homosexuel n’a pas permis au parti socialiste de gagner de nouveaux sympathisants.
La loi sur le mariage homosexuel n’a pas permis au parti socialiste de gagner de nouveaux sympathisants.
©Reuters

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La gauche a aboli la peine de mort sous François Mitterand et a institué le mariage pour tous sous François Hollande. Dans les deux cas, ces réformes à forte teneur idéologique n'ont pas permis aux gouvernements de rester en place aux élections qui ont suivi.

Frédéric Dabi

Frédéric Dabi

Frédéric Dabi est directeur général adjoint de l'Ifop et directeur du pôle Opinion et Stratégies d’entreprise.

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Les partis de gauche ne tirent pas profit de leur action en faveur de l’égalité des droits en matière de mariage et d’adoption :

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Source : Ifop

Atlantico : Le graphique ci-dessus montre que le passage de la loi sur le mariage homosexuel n’a pas permis au parti socialiste de gagner de nouveaux sympathisants, que ce soit chez les personnes hétérosexuelles ou non hétérosexuelles. Au sein de la population homosexuelle, cela n’a d’ailleurs eu aucune influence. Comment l’expliquer, alors que cette réforme s’adressait directement à eux ?

Frédéric Dabi : Avant d’être homosexuels ou hétérosexuels, les Français répondent à des déterminants socioculturels et socio-démographiques beaucoup plus importants que l’orientation sexuelle. Mais quand bien même, on a vu l’un des rares rebonds de la popularité de François Hollande (cf. le baromètre ifop du début du mois de mai) après le vote de la loi autorisant le mariage pour les couples de même sexe. Mais cela est moins lié au vote en tant que marqueur symbolique de gauche qu’à une nouvelle grille de perception de François Hollande : il est le président qui tient son engagement, qui ne recule pas, malgré un mouvement d’opposition au mariage gay qui a été relativement fort, quantitativement.

Cette image s’est bien sûr estompée avec l’affaire Leonarda, l’écotaxe, etc. On peut donc tout de même dire qu’il y a eu un petit bénéfice à gauche. Une ministre notamment, a considérablement progressé dans l’opinion, non pas des Français en général, mais des sympathisants de gauche, c'est Christiane Taubira. J’ai déjà dit qu’elle était devenue une véritable icône pour eux, un peu comme l’avait été Robert Badinter en 1981 sur l’abolition de la peine de mort. On constate un vrai parallélisme entre les deux. Mais cela reste insuffisant et ne s’inscrit pas dans la grille majeure d’évaluation de l’action du gouvernement : la popularité d’estime pour Badinter n’a pas empêché la gauche de perdre les élections législatives de 1986 et n’a pas empêché des critiques très dures venant y compris de la gauche contre l’exercice du pouvoir. Aujourd’hui, il y a un paradoxe qui n’est pas souvent souligné : le gouvernement est très impopulaire, mais en même temps, bon nombre de ministres tirent leur épingle du jeu : Christiane Taubira, Manuel Valls, Arnaud Montebourg, Laurent Fabius… Mais ces bénéfices d’image ne rejaillissent pas sur l’exécutif, car ce dernier est comptable des attentes de résultats socio-économiques du pays. Ce sont donc Jean-Marc Ayrault et François Hollande qui prennent des plein fouet les attentes des Français en la matière.


Êtes- vous très favorable, assez favorable, assez opposé ou très opposé au droit de vote aux élections locales pour les étrangers non européens résidant depuis plus de 5 ans en France ?

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Source : Ifop

Êtes - vous très favorable, assez favorable, assez opposé ou très opposé au droit de vote aux élections locales pour les étrangers non européens résidant depuis plus de 5 ans en France ?

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Source : Ifop

Êtes - vous très favorable, assez favorable, assez opposé ou très opposé au droit de vote aux élections locales pour les étrangers non européens résidant depuis plus de 5 ans en France ?

Source : Ifop

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Sur la question du droit de vote des étrangers aux élections locales, qui était prônée par le gouvernement avant qu'il ne se rétracte, les sondages montrent qu’entre 2011 et septembre 2013 même les sympathisants de gauche y étaient de moins en moins favorables (76 % en décembre 2011, 72 en septembre 2012 et 69 en février 2013). Ces chiffres devraient-ils inciter le gouvernement à ne plus tenter de séduire son électorat traditionnel sur la base de réformes d’ordre sociétal ?

Ce projet de loi a été écarté assez vite au début du quinquennat. Autant le mariage pour tous a très fortement mobilisé la gauche, qui a formé un bloc plutôt uni (à l’exception de la question de l’adoption), autant le droit de vote des étrangers divise davantage les sympathisants de gauche : les catégories moyennes et supérieures y étaient favorables dans une logique d’intégration, quand une gauche populaire était vent debout contre cette réforme. Cependant cette question n’a pas été remise sur la table, et les élections municipales sont désormais trop proches pour qu’elle ressurgisse.

Les grandes réformes de société menées par la gauche par le passé avaient-elles pour effet de mobiliser davantage l’électorat socialiste ? Pourquoi ?

 Dans les années 1980, la peine de mort a été abolie, mais il y a aussi eu des réformes sociales : cinquième semaine de congé payés, retraite à 60 ans, 39 heures, etc. Sur le court terme, cela a permis un état de grâce que n’a jamais connu François Hollande, puis a permis de limiter un glissement vers l’impopularité. En fin de septennat pour Mitterrand, et de quinquennat pour Hollande, cela permet de présenter un bilan en disant que l’on a tenu ses engagements et que l’on a "changé la vie". Cela permet aussi de marquer l’opinion du peuple de gauche de mesures symboliques fortes : peine de mort d’un côté, mariage pour tous de l’autre.

Néanmoins ce n’est pas cela qui marquera les Français dans leur critique ou leur soutien à l’égard de François Hollande.

Qu’est-ce qui a changé entre ces deux époques ?

Le rapport à la crise a changé. En 81-82 la crise était conjoncturelle, on n’avait pas le sentiment qu’elle durerait. Aujourd’hui la crise est permanente, structurelle, d’une nature nouvelle. Tous les Français ont la conviction qu’on ne peut pas continuer ainsi, et doutent de la capacité des politiques à résoudre la crise. En 81, et même en 88, on croyait dans la capacité des politiques à peser sur la vie des Français. On est passé à une logique des "tous impuissants". D’ailleurs, pendant la campagne, Nicolas Sarkozy et François Hollande ont tout de même été prudents dans leurs promesses.

La gauche devrait-elle faire le deuil de sa vocation à réformer la société en profondeur, au risque de lasser une partie de ses électeurs qui serait davantage préoccupée par la sécurité de leur emploi et les questions de fiscalité ? Peut-on aller jusqu’à dire que cela joue même contre elle ?

Tout à fait, mais pas seulement auprès des électeurs de gauche : lorsqu’un gouvernement, de gauche comme de droite, avance des thématiques sociétales, le soupçon de tromperie et de diversion s’impose immédiatement. Les Français ont tout de suite le sentiment que l’on cherche ainsi à leur cacher les vrais problèmes : mariage gay, égalité hommes-femmes… Car ces questions ne sont pas au cœur des préoccupations, les Français veulent un emploi et que le pouvoir d’achat s’améliore. Mais cela ne concerne pas seulement la gauche, cette critique a également été adressée à Nicolas Sarkozy lorsqu’il a lancé le débat sur l’identité nationale : on a dit qu’il cherchait à faire oublier sa promesse du "travailler plus pour gagner plus" ou à cacher son incapacité à lutter contre le chômage né de la crise de 2008. Tout sujet sociétal, même s’il peut être intéressant, allume des "warnings" dans l’opinion. 

Propos recueillis par Gilles Boutin

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