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Investir massivement sur la transition écologique dans les pays qui polluent le plus pourrait-il représenter une bouée de sauvetage pour la croissance mondiale ?
©DAVID MCNEW / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Atlantico Green

En 2018, la société financière internationale (SFI), organisation appartenant au Groupe de la Banque Mondiale, a consacré 36% de ses investissements à la transition écologique dans des pays émergents.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : En 2018, la société financière internationale (SFI), organisation appartenant au Groupe de la Banque Mondiale, a consacré 36% de ses investissements à la transition écologique dans des pays émergents. Aujourd’hui, à l’heure où la croissance mondiale est au ralenti, les pays occidentaux n’ont-ils pas intérêt à investir également dans ce domaine ?

Michel Ruimy : En novembre 2017, plus de 15 000 scientifiques lançaient un appel dans le quotidien Le Monde, dont le titre était « Il sera bientôt trop tard ». Ils soulignaient qu’au moment où les défis environnementaux s’aggravent, nous échouons à les résoudre. Pourtant, sommes-nous prêts à fournir un tel effort ? Car une dissonance entre nos convictions, souvent favorables à la protection de la planète, et notre propre résistance au changement existe indéniablement.Que nous manque-t-il pour passer à l’action ? Outre une meilleure compréhension des défis environnementaux et climatiques, il nous faut des propositions alternatives.

Aujourd’hui, à l’heure où un ralentissement de l’activité est attendu pour cette année, il convient de réfléchir, encore plus intensément, à ces propositions alternatives. La France a déjà commencé cette réflexion mais le problème risque de devenir, à l’avenir, de plus en plus aigu pour un grand nombre de pays.

La transition énergétique et écologique apparaît, dans ce contexte, comme une véritable opportunité de croissance.En fait, elle se présente comme une opportunité pour l’émergence de nouvelles filièreset comme un outil d’innovation, de différentiation et de performance pour les entreprises.

Plus spécifiquement en France, elle est un accélérateur pour les entreprises des filières des énergies renouvelables, dont certaines, plus matures au plan technologique, ont déjà trouvé leur modèle économique. Pour d’autres, des innovations technologiques restent à accomplir, mais le potentiel de croissance est bien réel.

Pour certaines filières encore émergentes comme les énergies marines, les biocarburants avancés, la géothermie ou encore le stockage de l’énergie, le financement des phases d’amorçage reste une problématique centrale.En effet, ces filières en devenir, qui sont composées de jeunes entreprises innovantes, ont besoin de plusieurs années pour sortir leurs technologies, produits ou services sur le marché. Dans ces conditions, l’achat public peut être un levier à l’émergence de solutions.

Or, les collectivités sont encore « averses au risque » alors qu’elles devraient donner l’exemple et offrir des débouchés aux porteurs de projets pour favoriser le développement des filières industrielles sur le territoire.Ces acteurs attendent ce type de soutien pour s’implanter durablement sur les marchés internationaux comme, par exemple, au Chili, en Tunisie ou au Maroc, qui vont vivre une révolution énergétique radicale en passant du groupe électrogène à un réseau décentralisé basé sur les énergies renouvelables.

La transition écologique est donc bienun relais de croissance formidable.Toutefois, pour l’instant, l’Etat doit aider, dans une certaine mesure, les entreprises françaises à s’insérer dans cette compétition mondiale.

Si investir dans la transition écologique des plus grands pollueurs pourrait booster leur croissance, dans quels secteurs exactement auraient-ils intérêt à investir ?

Les efforts pour préserver la planète sont de plus en plus importants dans de nombreux pays et l’intérêt est croissant dans nombre d’entreprises, associations, collectivités… Le développement durable et l’environnement ont donc le vent en poupe. Résultat : l’« économie verte »compte de belles perspectives de croissance et offre de nombreux métiers d’avenir.

Concernant le traitement des eaux et des déchets, il n’est pas nécessaire d’avoir un profil scientifique pour trouver sa place d’autant que les deux plus grandes entreprises françaises du secteur - Veolia et Suez - recrutent régulièrement de nouveaux salariés, techniciens comme ingénieurs.

Dans la prévention des risques environnementaux, le vivier d’offres d’emploi y est de plus en plus important et, pour cause, il touche de nombreux secteurs : le nucléaire, la production d’énergie, l’aménagement des territoires… Pour gérer les risques naturels ou encore les effets du changement climatique, il faut, en effet, des compétences. Autant dans l’étude, que la prévision, la prise de mesure, la médiation…

Dans la performance énergétique et l’urbanisme, le secteur de l’habitat connaît un succès grandissant en raison, notamment, d’une prise de conscience généralisée mais aussi d’une multiplication, ces dernières années, des dispositifs d’aide financière (éco-prêt à taux 0, éco-subvention, crédits d’impôts, etc.). En outre, par souci d’image ou de normes à respecter, de plus en plus de collectivités, entreprises ou industries ont également fait de la performance énergétique l’une de leur priorité.

Avec le changement climatique, la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre se fait de plus en plus pressante. Or, les énergies renouvelables permettent non seulement de réduire ces émissions, mais aussi de diversifier et de sécuriser notre approvisionnement en énergie. Sans surprise, ce secteur a donc le vent en poupe. D’autant qu’il ne cesse d’évoluer, intégrant de nouvelles technologies au fur et à mesure de leur apparition sur le marché : énergie solaire, hydraulique, éolienne, etc.

Enfin, si la protection et l’entretien des espaces naturels est un domaine moins qualifié, il n’en demeure pas moins que ce secteur recrute continuellement.

Quelles pourraient être les retombées économiques -à court et long termes- pour les pays occidentaux ainsi que pour les pays en voie de développement ?

De bonnes retombées économiques, quel que soit le terme, nécessitent des conditions de réussite, notamment un changement des comportements et une prise de conscience. L’offre ne rencontre la demande que… si elle existe.

Or, bien souvent, on ne s’adressequ’aux individus, leur demandant d’adopter des comportements plus responsables, comme d’acheter localement, d’isoler leurs maisons ou de prendre leur vélo plutôt que la voiture… Ces réponses individuelles posent la question de leur efficacité face à un changement de comportement qui nécessite d’être plus systémique, plus global. En effet, afin de contenir l’élévation de la température de la planète, il est indispensableque, tous, nous prenons conscience de la nécessité de limiter les émissions de gaz à effet de serre (GES) quantitativement et dans le temps. Sans cette contrainte, le « budget carbone » dont l’humanité dispose, pourrait être épuisé rapidement et conduire à un dépassement. Or, ce « budget carbone » n’est pas un budget au sens comptable puisque, contrairement au budget d’un État ou d’une entreprise, il ne peut classiquement « se boucler » par de l’endettement. Il est impossible d’hypothéquer le climat.

Par ailleurs, si le climat constitue un enjeu global, les causes et les conséquences du changement climatique ne sont pas uniformément réparties sur la planète.Le continent africain n’est ainsi responsable que de 4% des émissions de GES alors même qu’il est déjà sévèrement affecté par les conséquences des dérèglements climatiques.

Or, pour ce que cette transition écologique ait des retombées positivespour tous, en termes économiques, nous devons imaginer à quoi devrait ressembler la « nouvelle normalité » d’un monde durable au quotidien, en d’autres termes, passer de « comment changer les comportements des individus » à « comment changer le fonctionnement de la société ». Le changement social consiste à transformer ce que l’on considère aujourd’hui comme « normal ». Nous y sommes plutôt bien parvenus en ce qui concerne la cigarette ou le port de la ceinture de sécurité. C’est en changeant nos infrastructures de vies, les objectifs des institutions et des entreprises qui les façonnent ainsi que les conventions culturelles qui les sous-tendent que les comportements individuels changeront à leur tour ! Pas l’inverse.Tout comme le recyclage des ordures ne remet pas en cause la production de déchets - voire, au contraire, le légitime -, les politiques de changement de comportement renforcent le statu quo.

Aujourd’hui, celles-ci renvoient à la rationalité des individus, à leur responsabilité et à leur culpabilité, exonérant, dans une certaine mesure, les responsabilités politiques des institutions et des acteurs économiques : les mangeurs de viande ou les automobilistes sont pointés du doigt sans qu’on interroge le système d’alimentation ou les infrastructures qui favorisent ces comportements. Mettre l’accent sur le changement de comportement individuel tient donc bien plus d’une position politique qu’autre chose.

En attendant, elles sont de trois ordres : des politiques de décarbonisation (encouragement aux sources d’énergie renouvelable, aux voitures électriques, économie circulaire, agriculture durable…), d’efficacité énergétique (amélioration du rapport énergétique des appareils, véhicules, bâtiments…) et de changement comportemental (promotion de comportements plus durables). Les deux premières visent à rendre les modes de consommation existants moins gourmands en ressources, mais trop souvent en ne reposant que sur l’innovation technique. Elles oublient l’accompagnement social, ce qui explique qu’elles n’aient pas conduit à une diminution significative des émissions de CO2 ou de demande énergétique.

Au final, les retombées économiques de la transition énergétique et écologique, à l’instar de la question climatiquequi doit être envisagée dans un cadre global de solidarité internationale, doivent être l’opportunité de repenser le développement, une occasion de construire dans ce monde d’interdépendances, une prospérité partagée.

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