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Fear factor : quel impact électoral quand la peur s'empare de l'opinion ?
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Suite à la vague d'attentats qui s'abat sur l'Hexagone depuis un an et demi, les Français semblent de plus en plus inquiets. Cette peur pourrait avoir des conséquences politiques profondes, surtout si les citoyens basculent dans l’irrationalité.

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Atlantico : Depuis l'attentat de Nice du 14 juillet dernier, la peur règne à nouveau sur l'Hexagone. D'une manière générale, quelles sont les effets de la peur et de l'anxiété sur l'électorat ? A quelles grandes catégories d'arguments ne répond-t-il plus, et à quels autres est-il sensible ? Voyons-nous les gens basculer vers des formes d'irrationalité ? 

Jérôme Fourquet : Tout d'abord, l'attentat de Nice n'est pas le premier de la série. Il s'agit du troisième grand attentat. Il a quand même causé un effroi manifeste en faisant de nombreux morts. Ensuite, le mode opératoire est totalement inédit. C'est un grand rassemblement populaire qui a été visé. La population française dans son ensemble pouvait s'identifier aux victimes. Et surtout, c'est une ville de province qui a été touchée, quelques jours après la fin de l'Euro, qui avait concentré toutes les craintes. La population et les autorités s'étaient rassurées et pensaient avoir échappé au scénario le plus noir. Tout le monde a été pris à contre-pied, à commencer par François Hollande qui, le jour du 14 juillet, annonce la fin de l'état d'urgence et l'allègement du dispositif Sentinelle. Le lendemain, pris au dépourvu, il a été obligé de rétropédaler en catastrophe. La peur ne nous avait jamais quittés, mais nous avions réussi à la mettre un peu à distance. Ces attentats ont donc à nouveau créé un sentiment d'effroi et de sidération. 

Cet attentat a alors réactivé des mécanismes qui étaient déjà en germe dans l'opinion. En plus de la peur et de l'effroi, il y a également de la colère. En janvier 2015, les Français étaient prêts à défiler dans une grande manifestation où figuraient François Hollande et de nombreuses personnalités politiques. En novembre dernier, ils acclamaient encore le discours du Président. Or, il y a quelques jours, la foule niçoise réunie sur la Promenade des Anglais a hué Manuel Valls. Il y a certes de l'inquiétude et de l'appréhension, mais il y a de la colère vis-à-vis du gouvernement. Cela s'explique par le fait que pour bon nombre de Français, la réponse gouvernementale n'apparaît pas à la hauteur du problème. Nous subissons le phénomène et l'exécutif est dans une position fataliste quand il explique qu'il va falloir s'habituer à la situation. Quelques chiffres illustrent ces sentiments d'angoisse, d'inquiétude, de colère et de défiance. Dans un sondage Ifop pour Le Figaro, publié le lundi 18 juillet, 40% des Français déclarent qu'ils vont changer leur mode de vie pour s'adapter à la menace. Alors que depuis janvier 2015 une majorité de Français faisait confiance à Hollande et au gouvernement pour faire face et lutter contre la menace terroriste, ils ne sont plus que 33% aujourd'hui. 

Certains redoutent un embrasement généralisé et des tensions intercommunautaires. Quelques tags ont visé des édifices religieux musulmans, notamment à Lyon. Mais à Nice, où cohabitent une forte population issue de l'immigration, un vote FN très enraciné et quelques groupuscules actifs, il n'y a pas eu apparemment d'actes de représailles majeurs. Il n'y en a pas eu non plus sur le reste du territoire. Il y a de la colère, de l'effroi et de la défiance, mais c'est surtout vis-à-vis du gouvernement. Nous n'enregistrons donc pas de basculement vers des comportements extrêmes, que nous pourrions qualifier d'irrationnels. Les citoyens demandent des comptes à leurs représentants et sont à la recherche de solutions. L'opinion publique voit, à mon avis, d'un très mauvais œil la polémique contre le ministre de l'Intérieur, sur la défaillance du dispositif de sécurité. Un sondage Ifop pour le JDD du 24 juillet montre que 64% des Français sont favorables à un gouvernement d'union nationale. Ce n'est pas la première fois que l'on pose ce type de question et que l'on obtient des scores élevés. Mais cela prouve que les Français demandent une attitude plus responsable de leurs dirigeants, qui doit s'incarner dans l'union pour faire face à une menace commune. Nous sommes dans des formes de rationalités et de pondération. Ils ne croient pas en une recette miracle et savent qu'il va falloir vivre avec cette menace terroriste. Ils partagent l'opinion du Premier ministre sur ce point. Ils souhaitent parallèlement à cela que des moyens appropriés soient pris pour réduire autant que possible ce risque.

En quoi cela peut-il alors représenter un défi pour les partis politiques traditionnels, qui ne sont pas habitués à gérer la peur ?

La position du gouvernement avait été rappelée par Manuel Valls après le double meurtre de Magnanville en juin dernier en disant qu'il n'y aurait ni ouverture aux ventes d'armes, comme le réclamaient certains pour s'auto-protéger, ni Guantanamo à la française. Cette attitude du Premier ministre visait à clore une séquence et à envoyer une fin de non-recevoir à la pression de la droite qui était dans la surenchère et souhaitait de nouvelles dispositions. C'est comme si Hollande et Valls avaient abattu toutes les cartes au lendemain du Bataclan, avec l'état d'urgence, les perquisitions, la proposition de la déchéance de nationalité qui les a affaiblis dans leur camp, et les frappes en Irak et en Syrie. Maintenant, ils vont continuer sur cette ligne. C'est d'ailleurs cohérent avec l'attitude d'Hollande quand il veut au matin du 14 juillet arrêter l'état d'urgence et alléger le dispositif Sentinelle. Le gouvernement était donc au bout de ce qu'il pouvait faire et cela ne suffit manifestement pas. L'opinion publique ne désire pas forcément plus de présence policière, puisqu'il a répondu en mobilisant la réserve, qui fait office de garde nationale. Les Français veulent surtout un alourdissement des peines des individus en lien avec le terrorisme et une amélioration de la capacité de l'Etat à mettre hors d'état de nuire ces personnes à risque. 

Nice a bien démontré qu'il est illusoire de penser que nous pourrons sécuriser tous les lieux visés potentiellement par les terroristes, les moyens consacrés ne seront jamais suffisants. Il faut donc prendre le problème à l'envers et arrêter, même préventivement, tous les individus qui pourraient poser problème. Mais certaines closes juridiques pourraient poser problème. Un gouvernement avec un logiciel de pensée traditionnel, comme celui du PS, ne peut pas se résoudre à embrayer sur ce type de mesures. Pour ce qui est de l'opposition, elle est dans le "y a qu'à, faut qu'on", puisqu'elle n'a pas à décider de ces mesures. Les Français là encore restent sur leur faim. Le sondage Ifop pour le JDD de ce week end montre que 77% des gens ne pensent pas que Les Républicains pourraient faire mieux si le parti était aux responsabilités. Ce sont des réponses de long terme, d'une détermination sans faille et d'une capacité à envisager des mesures auxquelles on n'aurait jamais songé il y a encore quelques années. De mon point de vue, le défi est là. Pour cela, le gouvernement doit prouver qu'il a le bon diagnostic sur la situation. Quand le FN et le PS rétorquent à la droite qu'elle a supprimé des milliers de postes dans la police et la gendarmerie, ils ont raison et paraissent crédibles.

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