Ecologie : et si le scénario « net zéro » commençait à devenir réalité ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le terrain de jeu de la décarbonation est devenu mondial, et on assiste à une nouvelle course visant à faire émerger des superpuissances vertes face à des ambitions de conquête de souveraineté énergétique nationale.
Le terrain de jeu de la décarbonation est devenu mondial, et on assiste à une nouvelle course visant à faire émerger des superpuissances vertes face à des ambitions de conquête de souveraineté énergétique nationale.
©JONATHAN NACKSTRAND / AFP

Atlantico Green

A l’heure où le débat énergétique français semble plus passionné que jamais par le clivage entre les « pour » et les « contre » le nucléaire, l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) vient de sortir, il y a, à peine quelques jours - mai 2023 -, un nouveau rapport.

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni est présidente du fonds de dotation E5T. Elle est l'ex présidente d'Economie d’Energie et Primagaz. 

Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages majeurs: Intelligence émotionnelle (2008, Maxima), Mutations énergétiques (Gallimard, 2008) ou Comprendre le nouveau monde de l'énergie (Maxima, 2013), Understanding the new energy World 2.0 (Dow éditions). 

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A l’heure où le débat énergétique français semble plus passionné que jamais par le clivage entre les « pour » et les « contre » le nucléaire[1], l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) vient de sortir, il y a, à peine quelques jours - mai 2023 -, un nouveau rapport titré : « L’état de l’industrie des technologies propres » -The state of clean technologies manufacturing-, visant à donner un état des lieux sur les progrès et les perspectives en matière de technologies vertes ».

Ce rapport, en saluant les progrès réalisés sur les cinq différentes technologies considérées comme clés, à savoir, le solaire photovoltaïque (PV), l’éolien (EO), les batteries, les électrolyseurs (ELY) et les pompes à chaleur (PAC), vient étayer le message d’espoir du dernier rapport du GIEC, qui invitait à être plus lucide que jamais sur les conséquences du changement climatique, mais également à garder espoir car les solutions pour réduire les émissions de CO2 semblent réellement exister.

Avant d’examiner les principales conclusions de ce nouveau rapport, il est intéressant de noter que l’ensemble de ces technologies sont clairement sous-jacentes à l’électrification croissante de l’économie, et sont donc clairement en lien avec la production et le stockage de l’électricité verte, même si, la question des PAC est un peu différente.Dans tous les cas, ces technologies sont considérées comme majeures pour pouvoir atteindre l’objectif de décarbonation de l’économie mondiale, connu comme l’objectif « net zero » (c’est-à-dire zéro émission nette). 

 A ce sujet, rappelons, qu’il existe différents scénarios de décarbonation, puisque chaque pays reste maître de son mix énergétique national considéré comme un enjeu absolu de souveraineté. Néanmoins, la technologie de production d’électricité renouvelable d’origine solaire, les batteries nécessaires pour le stockage ou les électrolyseurs notamment concernés dans la production d’hydrogène vert répondent à une logique de marché « glocal », c’est-à-dire à la fois global et local. On produit localement (le meilleur exemple étant celui du soleil bien connu de tous comme ressource disponible partout sur la planète), mais les moyens de production nécessaires sont fabriqués dans les pays disposant des savoir-faire technologique et industriel, de la volonté politique et des moyens financiers nécessaires. Ce qui explique, que l’AIE, raisonne sur un scénario de décarbonation plutôt orienté sur la faisabilité technique et globale que sur les scenarios « net zero » locaux. En l’occurrence, ce rapport permet de suivre la faisabilité de mise en œuvre de ces technologies, pour permettre de couvrir l’ensemble des engagements annoncés par les pays concernés[2], avant la COP 26, sachant que lorsqu’on évoque cette somme de contributions déterminées au niveau national (CDN) , -connue sous le nom de « Scenario Engagements Annoncés » ou en anglais Scénario APS -Announced Pledges Scenario-) on suppose qu’ils sont respectés dans leur intégralité et dans les délais annoncés.

Le Scénario Zéro Émissions nettes d’ici 2050 (NZE– Net Zero Emissions by 2050 Scenario) construit par l’AIE[3] se veut ambitieux puisqu’il définit la voie pour permettre au secteur mondial de l’énergie (on l’a compris aujourd’hui purement virtuel) d’atteindre l’objectif zéro émissions nettes de CO2 d’ici 2050. Ce scenario n’inclut pas repose pas les réductions d’émissions à l’extérieur du secteur de l’énergie pour atteindre ses objectifs. En clair, le scenario NZE construit par l’AIE ambitionne de montrer ce qui doit être fait au niveau des différents secteurs d’activité, dans le monde et à quel moment, pour pouvoir réaliser l’objectif zéro émissions nettes d’ici 2050.

Il est donc très intéressant de se plonger dans ce rapport qui permet de mesurer la capacité des cinq technologies identifiées, et citées précédemment à pouvoir répondre à cet enjeu de décarbonation globale.

Ce rapport indique clairement, d’entrée de jeu, que l’industrie des technologies propres se développe rapidement, notamment sous l’impulsion de politiques de soutien, de stratégies d’entreprise ambitieuses et, last but not least, de la demande des consommateurs. Il met en lumière, l’impact de la crise énergétique mondiale et du retour des questions liées aux souverainetés énergétiques qui paraissent avoir  largement contribué a donner un nouvel élan au développement des capacités de fabrication susceptibles de renforcer la sécurité énergétique grâce à des productions locales et des chaines d’approvisionnement diversifiées.

En effet, il ne se passe plus une semaine sans que de nouveaux projets industriels, tels que les giga-factories notamment, ne soit annoncés, partout en Europe et dans le monde. L’AIE, elle-même constate une accélération jamais vue en la matière, puisque depuis leur dernier rapport sur les Perspectives des technologies énergétiques 2023 (qui recensait l’ensemble des annonces de projets présentés à fin 2022), la production future de ces filières, à horizon 2030, a explosé. La filière photovoltaïque enregistre une hausse supplémentaire de 60%, celle des batteries de près de 25% et celle des électrolyseurs de 20%. Ces perspectives de croissance future s’accompagnent d’une forte croissance déjà effective à date. En effet, entre 2021 et 2022, les capacités de production de batteries affichent +72%, le PV +39%, les électrolyseurs +26% et les pompes à chaleur +13%. La filière éolienne reste un peu plus modeste avec +2%.

Ces technologies sont essentielles dans l’idée d’atteindre le Net zéro en 2050 

Toujours d’après l’AIE, l’essor de ces filières est tel que si l’ensemble des projets annoncés se concrétise, la capacité de fabrication des panneaux solaires photovoltaïques, pourrait largement dépasser, les besoins nécessaires au déploiement de leur scénario net zéro (0 émissions nettes nulles ou NZE) en 2030. De fait, l’AIE considère que, même si on n’utilisait que la moitié de ces nouvelles capacités, le débit serait toujours suffisant pour atteindre les niveaux de demande figurant dans leur scénario NZE et représentant environ 650GW par an, en 2030.

Autre sujet de satisfaction, corollaire du précédent, pour la première fois, les projets annoncés, concernant plus spécifiquement la capacité de fabrication de batteries, pourraient pratiquement couvrir tous les besoins de déploiement mondiaux de ce même scénario NZE à l’horizon 2030.  

Aux batteries s’ajoutent les capacités de production d’électrolyseurs, nécessaires à la production d’hydrogène vert à partir de l’électrolyse de l’eau, également jugées aptes, en cumulant capacités existantes et projets annoncés, à couvrir un peu plus de 60 % des besoins permettant d’atteindre le scénario NZE pré-mentionné.

Face à ces deux nouvelles de poids, l’AIE, signale les lacunes importantes de la filière éolienne, qui, quant à elle, ne semble, en tout cas,  pas encore, donner le même niveau de garanties, en termes de capacités existantes et de projets annoncés,  puisque l’ensemble n’équivaudrait qu’à un peu moins de 30 % des niveaux de déploiement du scénario NZE.

Pour le cas spécifique des PAC , le pipeline de projets annoncés représente un peu plus de 40 % du taux de couverture nécessaire au scénario NZE de l’AIE.

Dans tous les cas, pour l’AIE, l’optimisme prévaut, car, même face aux constats d’écarts, l’Agence considère que les délais, entre le moment ou intervient l’annonce d’un nouveau projet, et celui nécessaire à la construction d’une unité de production, sont suffisamment courts pour être résorbés assez facilement. A ce sujet, l’AIE, qui semble s’être livré à un exercice de recensement précis des capacités existantes mais surtout, plus complexe, des projets à venir, en tenant compte de leur stade de développement, explique qu’à l’échelle mondiale, un quart des projets annoncés par la filière photovoltaïque peut être considérés comme engagés. Pour les batteries ce chiffre est d’environ 30%. L’excédent global de l’offre, au niveau mondial, se reflète pour les technologies requises pour le solaire photovoltaïque, les batteries et les électrolyseurs mais masque des déficits pour d’autres, notamment pour les éoliennes et pompes à chaleur. Dans l’ensemble, cela suggère que, pour plusieurs technologies, les niveaux de déploiement nécessaires pour respecter les engagements climatiques des gouvernements dans l’APS sont hautement réalisables.

Le développement des capacités de production de ces technologies (en termes de prix, de présence dans le mix énergétique, etc.) semble de nature à pouvoir provoquer un rebattage des cartes du jeu géo-énergétique

Le terrain de jeu de la décarbonation est devenu mondial, et on assiste à une nouvelle course visant à faire émerger des superpuissances vertes face à des ambitions de conquête de souveraineté énergétique nationale. Cela explique que l’analyse  géographique à laquelle se livre l’AIE dans ce rapport présente une importance capitale.Ainsi l’AIE, constate une forte concentration de projets industriels dans 4 pays en plus de l’UE qui représentent 80 à 90% de la capacité de production mondiales pour les 5 technologies analysées dans le rapport. La Chine, déjà largement identifiée comme un des premiers pays investisseurs dans ces technologies, représente à elle seule, une part de 40 à 80% de ces dernières. Si l’ensemble des projets dans le pipe aboutissaient, les parts passeraient respectivement à 70-95% et 30-80%. En principe, la capacité chinoise de fabrication de technologies vertes, deviendrait excédentaire par rapport aux besoins intérieurs du pays, ce qui supposerait de trouver des marchés d’exportation. L’Union Européenne, quant à elle, si tous les projets annoncés finissent par aboutir, pourrait enfin être en mesure de répondre à tous ses besoins nationaux en batteries, électrolyseurs et pompes à chaleur dans le SPA en 2030.

Bref, les enjeux de souveraineté énergétique sont en choc frontal avec la course aux capacités de production mondiale dans les technologies vertes. On constate d’ailleurs que désormais, au-delà de la Chine et de l’UE, les États-Unis qui étaient plutôt en retard sur le sujet de la décarbonation, semble désormais afficher l’ambition de devenir une superpuissance verte. Le rapport de l’AIE met en évidence la forte multiplication  des annonces au cours de l’année dernière et en ce début d’année, en général,  et depuis la publication de l’IRA (Inflation Reduction Act) -qui alloue des moyens absolument gigantesques aux énergies vertes- aux Etats-Unis en particulier, avec une montée en puissance massive des annonces de projets sur le territoire américain. Ainsi, les annonces américaines du second semestre 2022 et du premier trimestre 2023 représentent près de la moitié du pipeline total de projets pour la fabrication de batteries jusqu’en 2030…. En clair, les États-Unis pourraient également être pratiquement autosuffisants en ce qui concerne leurs besoins en batteries d’ici 2030 dans l’APS, sur la base de ces dernières annonces de projets.

Au global, les moyens financiers engagés pour accroitre les capacités de production de ces cinq technologies, estimés à près de 800 milliards de $ par an, sont devenus supérieurs à celle de la taille projetée du marché en termes de demande -évaluée à 640 milliards de $- en 2030, dans le cadre d’un scénario dans lequel les gouvernements mettraient en œuvre l’intégralité de leurs engagements climatiques annoncés, dans les délais prévus[4].

Faut-il encore malgré tout accélérer le mouvement ? Et sa mise en place ? 

En soi ce rapport cumule une série de bonnes nouvelles pour le climat, car les moyens pour changer de paradigme éco-énergétique se mettent en œuvre avec un niveau de faisabilité croissant. Néanmoins, il y a encore loin de la coupe aux lèvres, car il faut pouvoir et vouloir. L’AIE, termine d’ailleurs son rapport en insistant sur des questions de gouvernance tout aussi nécessaires voire peut être même plus, à la mise en œuvre effective de ces technologies et des feuilles de route locales et globales vers le « net zéro ». L’AIE termine son rapport par une série de recommandations stratégiques destinées aux membres du G7, mais applicables à tous les gouvernements intéressés. Ils reflètent le fait qu’aucun pays – ni aucun segment de la chaîne d’approvisionnement – ne peut exister en vase clos. Des évaluations stratégiques de la chaîne d’approvisionnement aux partenariats stratégiques, les gouvernements devront formuler des stratégies industrielles qui équilibrent les impératifs de sécurité climatique et énergétique avec les opportunités économiques.

Il y a bien sûr beaucoup d’autres défis sous-jacents à la réalisation de ce scenario net zero centré autour de « technosolutions ». La guerre russo-ukrianienne est venu nous rappeler la difficulté de créer un consensus commun et solide sur les meilleures voies pour régler la priorité de l’urgence climatique.



[1] … on aurait mieux compris d’ailleurs, que le débat se passionne contre les « pour » et les « contre » du nucléaire… et donc sa place « idéale »  dans le mix électrique et énergétique français et européen, ce qui permettrait de rendre le débat général un peu plus constructif

[2] Ces pays représentent 70% des émissions mondiales de CO2

[3] Pour mémoire, le scénario de l’AIE, présenté en 2021, envisage que « la consommation mondiale d’énergie soit environ 8% plus faible en 2050 qu’aujourd’hui, tout en satisfaisant les besoins d’une économie deux fois plus importante et d’une population de 2 milliards de personnes supplémentaires et prend donc bien cen compte la question de l’efficacité énergétique .Par ailleurs, l’'AIE imagine un système énergétique reposant en 2050 aux 2/3 sur les énergies renouvelables (éolien, solaire, bioénergies, géothermie, hydroélectricité), tandis que la part des énergies fossiles chuterait à « un peu plus d’un cinquième » (contre près de 80% à l’heure actuelle). La part du nucléaire augmenterait quant à elle de près de 5% en 2020 à environ 11% en 2050. Cette révolution envisagée par l’AIE profiterait en premier lieu au solaire qui deviendrait, dans le scénario de l'AIE, la principale source d’énergie en 2050, satisfaisant alors près d'un cinquième des besoins énergétiques mondiaux(3). Dans le scénario « Net Zero » de l’AIE, la consommation de pétrole chuterait de 75% entre 2020 (près de 90 millions de barils par jour) et 2050 (24 Mb/j), celle de gaz naturel de 55% et celle de charbon de 90%. Point très commenté lors de la présentation du rapport « il n’y aurait plus de nouveaux champs pétroliers et gaziers dont le développement serait approuvé » au-delà des projets déjà engagés en 2021.

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