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Bruno Lafourcade et Horace Engdahl sont snipers de la littérature.
Bruno Lafourcade et Horace Engdahl sont snipers de la littérature.
©Flickr

Atlantico Lettres

Un double régal pour dandys balnéaires et consommateurs d’humour noir. Une critique du journal "Service Littéraire".

Jacques Aboucaya

Jacques Aboucaya

Écrivain et journaliste, dernier ouvrage paru : “Éloge de la trahison” au Rocher.
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Ce n’est pas parce qu’il parle de suicide, enfin pas seulement, que je vous enjoins de lire Bruno Lafourcade, un écrivain peu connu, né paraît-il en 1966 dans le Sud-Ouest et très imprégné par Benarnos. Lafourcade, je n’ai pas vu dans la presse littéraire qu’il soit souvent mentionné – à vrai dire jamais. Et pourtant, il le mériterait cent fois plus que la plupart des essayistes en vue : il est d’une cruauté incroyable et d’une drôlerie face à tous les travers de nos sociétés qui vaut bien celles des grands pamphlétaires du siècle précédent. Il se demande, par exemple, pourquoi les cinéastes français se suicident si peu, contrairement aux écrivains. Est-ce une différence de clairvoyance ? La conscience de leur nullité pousserait-elle les uns à vivre et les autres à mourir ? C’est bien mystérieux. Évidemment, Lafourcade est un adepte de Schopenhauer : l’amour, la procréation, la famille, les ruses de la Nature pour perpétuer l’Espèce, il les épingle avec un sadisme consommé. Et il vous donne ce conseil : laissez ces cochonneries aux classes inférieures ! Montherlant voulait écrire un opuscule sur le suicide qu’il aurait intitulé : “Vite et bien – ou l’art de ne pas se rater en cinq leçons”. Vite et bien : ce pourrait être le mot d’ordre de Lafourcade, ce sniper de la littérature, qui ne rate jamais sa cible et pour lequel suicide, lucidité et élégance sont synonymes.

Horace Engdhal, lui, est une sorte de Cioran suédois, traduit pour la première fois en français, qui cultive la forme aphoristique avec une nonchalance distinguée. "Qui se souvient d’un critique, une fois qu’il n’est plus de ce monde ?" La réponse est dans la question… et je me garderai bien de faire de la critique sauf sous la seule forme qui me touche : raconter les aventures de mon âme à travers les livres que je lis. Certains livres vous inspirent et c’est le cas de celui d’Horace Engdhal. D’autant qu’avec le temps, les raisons de soutenir telle ou telle opinion finissent toujours par tomber dans le ridicule. Les opinions, à la rigueur, peuvent demeurer sensées : leurs raisons jamais. Soyons attentifs au style : la seule chose qui exaspère les gens sans qu’ils puissent dire pourquoi.... en nous gardant d’oublier que la postérité est un employeur bien avare. Si Lafourcade suit la règle de Montherlant : Vite et bien, Horace Enghdhal, lui, suit la règle de Stendhal : ne pas appuyer la tête contre l’épaule du lecteur. Comment faut-il écrire ? Peut-être, comme le disait un auditeur à la radio : "En y mettant de l’élan, mais sans que ça devienne barbant." Lafourcade et Engdhal ne le sont jamais, barbants !

A lire : Sur le suicide, de Bruno Lafourcade, François Bourin, 223 p., 16 €. La Cigarette et le néant, d’Horace Engdahl, traduit du suédois. Ed Serge Safran, 157 p., 17 €.

Source : Service Littéraire, le journal des écrivains fait par des écrivains. Le mensuel fondé par François Cérésa décortique sans langue de bois l'actualité romanesque avec de prestigieux collaborateurs comme Jean Tulard, Christian Millau, Philippe Bilger, Éric Neuhoff, Frédéric Vitoux, Serge Lentz, François Bott, Bernard Morlino, Annick Geille, Emmanuelle de Boysson, Alain Malraux, Philippe Lacoche, Arnaud Le Guern, Stéphanie des Horts, etc . Pour vous y abonner, cliquez sur ce lien.

Service Littéraire. Le mensuel de l'activité romanesque

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