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Coronavirus : l’arrêt forcé de la pêche permettra-t-il aux océans de se repeupler en poissons ?
©Ben STANSALL / AFP

Atlantico Green

L'arrêt de la pêche a donné un répit aux poissons, mais il sera de trop courte durée pour avoir un impact sur les stocks en leur permettant de se reproduire.

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier est ingénieur de l’école de Mines et économiste. Il a dirigé pendant dix ans l’Ecole supérieure d’agronomie d’Angers (ESA). Il est également l’auteur de livres sur les enjeux alimentaires :  Faim zéroManger tous et bien et Nourrir l’humanité. Aujourd’hui, il est conférencier et tient un blog nourrir-manger.fr.

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Atlantico : En cette crise liée au coronavirus, l’arrêt forcé de la pêche permettra-t-il aux océans de se repeupler en poissons ? 

Bruno Parmentier : Il est sûr que ce brusque répit profite aux poissons, qui doivent apprécier ce virus à sa juste valeur ! FranceAgriMer estime que, vu la chute de la demande et les craintes de la contamination sur les bateaux, les pêcheurs français ont réduit par cinq les quantités pêchées : 612 tonnes pour 146 navires dans la semaine du 23 au 29 mars, contre autour de 3 000 tonnes et 500 navires d’habitude. Les pêcheurs sont carrément sinistrés, ainsi que les poissonniers, mais ce sont 2 400 tonnes de poisson qui ont eu la vie sauve !

Malheureusement ce petit et bref répit ne sera aucunement suffisant pour repeupler les mers, car c’est bien de cela qu’il s’agit, à l’heure ou pollution, surpêche et réchauffement climatique vident littéralement nos mers, rivières et lacs…

En seulement 70 ans, la consommation de poissons annuelle des Français est passée de 9 à 35 kg par habitant. Dans nombre d’autres pays également. Ça n’a pas été sans conséquence.

Aujourd’hui, on estime que 29 % des 600 espèces de poissons et crustacés sont en passe de s’éteindre, dont le cabillaud, la morue du Canada, le saumon sauvage de l’Atlantique, le thon rouge, la sole, etc. et que 90 % de la population des grands poissons a déjà disparu.

Or le repeuplement est une œuvre de longue haleine, car par exemple il faut 3 à 5 ans pour qu’un bar, un cabillaud, une dorade, une limande, un maquereau ou un merlan atteigne la maturité sexuelle, et ils ne pondent qu’une fois par an. Et quand on est descendu trop bas, c’est trop tard pour agir.

L’histoire est là pour nous rappeler les conséquences de nos inconséquences ! Par exemple la morue de l’Atlantique nord, particulièrement à Terre Neuve, semble avoir atteint le point de non-retour. Entre 1500 et 1950 cette pêche a largement contribué à nourrir l’Amérique du nord et l’Europe et façonné la culture des villes côtières ; les prises avaient progressivement monté à 300 000 tonnes par an pour les seuls bancs de Terre Neuve. Puis on a investi dans de puissants chalutiers, qui ont fini par y prendre jusqu’à 800 000 de tonnes en 1968, plus 1 million de tonnes supplémentaires dans le reste de l’Atlantique nord… Ce furent les campagnes de pêche de trop, et là les stocks se sont carrément effondrés, pour disparaître purement et simplement en 1992 (probablement à 1 % de ce qu’ils étaient). Aujourd’hui on ne pêche plus que 40 000 tonnes par an…

La morue est une espèce qui arrive à maturité entre 5 et 8 ans d’âge, et les plus vieux sont de bien meilleurs géniteurs que les petits : une jeune morue produit 3 millions d’œufs contre 11 millions pour une génitrice plus âgée ; or le taux de survie des larves n'est que de une sur un million, et les proies des morues adultes (comme le hareng et le capelan) sont aussi des prédateurs de ses larves ; les jeunes qui restent sont donc incapables à eux seuls de maintenir la population…

Autre exemple : en 1945, on a pêché jusqu’à 235 000 tonnes de sardines au large de Monterey, Californie, faisant tourner les 30 conserveries qui avaient transformé cette ville en capitale mondiale de la sardine, et fournisseur important et stratégique des soldats américains de la 2e guerre mondiale… Cette activité a subitement et définitivement disparue : les prises de 1948 ont à peine atteint 15 000 tonnes. Les sardines ne sont jamais revenues et il y a longtemps qu’il n’y a plus de conserverie dans cette ville, qui s’est transformée, mais un peu tard, en centre d’une zone de protection maritime ! Les sardines, comme les anchois ont une espérance de vie courte (4 ans), et on ne trouve donc pas de vieux géniteurs plus féconds, et leurs larves sont très sensibles aux conditions du milieu (température, acidité, courants, etc.) ; donc dans leur cas les disparitions peuvent être définitives. On a ainsi bien faille perdre les anchois du Golfe de Gascogne, qu’on a pu néanmoins sauver in extremis par une interdiction totale de la pêche durant 4 ans, de 2006 à 2010.

Le saumon était tellement abondant dans les rivières françaises il y a un siècle que certains règlement intérieurs d’entreprises précisaient qu’il était interdit d’en servir à la cantine plus de 3 fois par semaine ! Malgré l’apparition des élevages industriels de ces poissons, on n’est pas prêt de relire cela dans la littérature contractuelle !

Donc, un petit répit de quelques semaines, dramatique pour les pêcheurs, est toujours bon à prendre pour les poissons d’aujourd’hui, mais il faudrait qu’il dure plusieurs années pour qu’il annule réellement la menace de disparition pure et simple des poissons dans la mer au XXIe siècle…

Des espèces sont-elles plus touchées que d’autres ? 90% des espadons en Méditerranée devraient être préservées par exemple selon la revue Science. Ces données sont-elles exploitées ou faudra-t-il attendre des années avant que cela n’advienne ?

Bien sûr toutes les espèces n’en sont pas au même stade de danger d’extinction. Les lecteurs les plus âgés peuvent constater par exemple que la sole, qui était de consommation courante il y a quelques dizaines d’années, est maintenant devenue rare et chère ; ses stocks sont très bas… Actuellement on est très inquiet pour la survie du thon rouge ; malgré la mise en place de quotas, les prises restent beaucoup trop fortes… de même pour l’espadon, entre autres.

Des organismes comme Seafood watch publient régulièrement des listes de poissons en grand danger pour s’en abstenir, tant au domicile qu’au restaurant. Arrêtons de manger anguilles, espadons, loups de mer, raies, soles, thons rouges, etc., et concentrons-nous sur les espèces correctement gérées comme le cabillaud du Pacifique, le colin d’Alaska, le hareng, le maquereau, ou encore la truite ou le tilapia d’élevage.

Doit-on être obligé de compter sur des épidémies pour s’attaquer à ce type de questions ? Qu’est-ce-que cela dit de notre rapport aux océans ? à la nature ?

Peut-être que cet événement en tout point extraordinaire sera l’occasion de réfléchir collectivement à de vrais défis de l’humanité. Par exemple : souhaitons-nous que nos petits-enfants connaissent encore des poissons ? Allons-nous considérer les océans comme un trésor commun de l’humanité, à préserver pour garantir le climat, et une partie de notre nourriture, ou bien va-t-on continuer à considérer que ce sont d’immenses poubelles, des bases de loisirs utilisables a gogo, et des réservoirs sans fin de poissons, de sable, de pétrole, de métaux ?

Et plus généralement, (presque) tous les politiques et les experts nous disaient depuis des années que la mondialisation, la croissance, l’industrialisation, la déforestation, etc. étaient inéluctables, et que rien ne pourrait les arrêter,… et nous venons de découvrir qu’il y avait en fait une poignée rouge bien cachée dans notre planète, et qu’on pouvait tout arrêter du jour au lendemain, avec des conséquences incalculables à ce jour…

Or le coronavirus n’est qu’un petit problème ponctuel et provisoire en comparaison des « vrais » problèmes du XXIe siècle : le réchauffement de la planète et l’épuisement des ressources. Il a seulement l’avantage de faire très peur à court terme, contrairement aux autres. Est-ce que cet avertissement changera durablement notre rapport à la planète, à la nature, aux océans, aux forets vierges, aux terres agricoles, etc., et qu’on appliquera collectivement la même énergie stupéfiante qui nous a fait vigoureusement tirer le signal d’alarme à la construction collective d’un avenir plus durable, plus humain, plus raisonnable ?

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