Ça passe ou ça casse : voilà pourquoi les énergies renouvelables font face à leur moment de vérité <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Environnement
Des panneaux solaires et des éoliennes fonctionnent dans une centrale électrique intégrée de la ville de Yancheng, dans la province du Jiangsu, en Chine.
Des panneaux solaires et des éoliennes fonctionnent dans une centrale électrique intégrée de la ville de Yancheng, dans la province du Jiangsu, en Chine.
©AFP / Hector RETAMAL

Atlantico Green

Avec les dysfonctionnements des chaînes d’approvisionnement suite aux conflits en Ukraine et au Moyen-Orient, les ressources et le financement des filières industrielles consacrées aux énergies renouvelables sont de plus en plus menacés.

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre est ingénieur en optique physique et docteur en sciences économiques. Il est professeur à la Paris School of Business, membre de la chaire des risques énergétiques.

Il est le co-auteur de Perspectives énergétiques (2013, Ellipses) et de Gaz naturel : la nouvelle donne ?(2016, PUF).

Voir la bio »

Atlantico : Le business des énergies renouvelables fait aujourd’hui face à une situation critique, du fait notamment du dysfonctionnement des diverses chaînes d’approvisionnement engendré par les différents conflits observés dans le monde. Ceux-ci constituent un enjeu susceptible de mettre en danger une telle industrie, à eux seuls ?

Stephan Silvestre : Les filières industrielles d’énergie renouvelable (ENR) font appel à des technologies nouvelles très pointues, en particulier pour permettre des baisses de coût de production. Ces technologies nécessitent presque toujours des matériaux ou des composants innovants, voire critiques. On peut citer ainsi le polysilicium, matériau de base pour la production de cellules photovoltaïques, le cobalt et certaines terres rares, utilisés pour les aimants permanents des turbines éoliennes, ou encore des aciers spéciaux utilisés dans la fabrication de centrales solaires à concentration, d’éolienne ou encore d’hydroliennes. Comme toute nouvelle technologie, celles-ci n’échappent pas à un phénomène de forte concentration de la production, dû non pas à la rareté géologique des matériaux, mais surtout au faible nombre d’acteurs maîtrisant le savoir-faire pour produire ces matériaux ou composants. Il n’existe en général qu’une poignée de spécialistes, certains pouvant détenir d’énormes parts de marché, comme par exemple, le cobalt, produit à 82% en République Démocratique du Congo, les terres rares, produites à 68% en Chine ou encore les cellules photovoltaïques produites à 85% en Chine. On retrouve d’ailleurs cette situation dans d’autres industries de pointe comme les circuits intégrés, l’automobile, l’aéronautique ou encore l’industrie de défense.

Dès lors, une croissance de la demande notablement plus forte que celle de l’offre entraîne inévitablement une forte volatilité des prix et une criticité sur la chaîne d’approvisionnement. Le prix du cobalt a ainsi triplé entre 2017 et 2018 et celui du néodyme quintuplé entre 2020 et 2022. Il faut toutefois relativiser l’impact de cette volatilité des prix des matières premières sur ceux de l’électricité produite, leur poids dans la chaîne de la valeur restant modeste. Cependant, ces filières se trouvent très exposées à des ruptures sur la chaîne d’approvisionnement, d’autant plus que les possibilités de stockage sont très faibles sur ce type de matériaux.

Rappelons qu’il reste aussi des filières d’ENR bien moins sujettes à ces risques : l’hydroélectricité, le bois-énergie ou encore les agrocarburants.

La hausse des taux d’intérêts ainsi que la montée du protectionnisme dans un nombre conséquent de nations pourraient-elles aussi menacer l’industrie du renouvelable ?

La hausse des taux d’intérêt est en train de renchérir le coût des investissements dans les ENR et donc de dégrader les ratios de rentabilité, qui étaient déjà fragiles car dépendants de politiques publiques qui interviennent sur les subventions d’investissement et sur les tarifs de l’électricité de manière toujours limitée dans le temps. De plus, cette dégradation se combine dans certaines filières avec la hausse de certains coûts, comme celui de l’acheminement de l’électricité, ce qui provoque un effet ciseau sur la rentabilité.

À cela viennent s’ajouter des contraintes de politique économique répondant à d’autres logiques, notamment sociales (le maintien de tarifs acceptables) et protectionnistes. Face à l’explosion d’une offre compétitive, et bien souvent intensément subventionnée, en provenance de la Chine, les pays occidentaux ont déployé des outils visant à protéger leurs industries locales. Aux États-Unis, l’administration Biden a mis en place l’Inflation Reduction Act (IRA) en faisant fi de plusieurs règles de l’Organisation Mondiale du Commerce sur l’autel de la lutte contre les émissions de CO2 et du renforcement de l’industrie américaine face à la concurrence chinoise. Face à cela, l’Europe craint que le territoire américain ne draine les industries de pointe dans le secteur énergétique, mais aussi les composants et matériaux stratégiques, en particulier dans les filières d’avenir comme celle de l’hydrogène. Entre une Chine imbattable sur la puissance de frappe industrielle et des États-Unis dominants sur le plan de des nouvelles technologies, l’Europe peine à trouver sa place.

Le renouvelable regroupe différentes industries à proprement parler. Toutes connaissent-elles la même criticité aujourd’hui ? Quelles sont les plus en danger ?

L’industrie des ENR est confrontée à une problématique déjà connue par ailleurs : à mesure qu’elle se développe, elle doit faire face à des enjeux d’échelle qui obligent les opérateurs à opter pour de nouvelles solutions industrielles et logistiques, déjà éprouvées dans les filières existantes. Mais toutes ne sont pas confrontées aux mêmes difficultés. Dans le cas des centrales éoliennes offshores et même terrestres, les sites les plus faciles à exploiter et les plus rentables ont déjà été équipés. Les nouveaux sites sont de plus en plus éloignés, moins efficaces et surtout nécessitent de plus gros investissements pour l’acheminement, ce qui met en question leur modèle économique. Le cas des hydroliennes (turbines sous-marines) est encore plus critique : il existe très peu de sites susceptibles d’être équipés et le coût des nouveaux sites, notamment en maintenance, sera prohibitif. Il est peu probable que cette filière perdure. Idem pour les centrales électriques à concentration : si le concept reste intéressant pour des pays à forte exposition solaire, cette filière a peu d’avenir dans les pays du nord. Quant à la filière de l’hydrogène, très prometteuse sur le plan de l’efficacité dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, sa situation est complexe car il existe énormément de technologies qui émergent pour la production décarbonée d’hydrogène ; mais toutes ne passeront pas le cap de l’industrialisation et de la rentabilité. La difficulté est donc de miser sur le bon cheval et les risques sont importants en raison des investissements lourds à consentir très en amont.

Une telle situation doit-elle nous amener à repenser notre rapport aux autres sources potentielles d’énergies, comme le nucléaire par exemple ?

Oui, il est fondamental de toujours garder en ligne de mire l’efficacité environnementale dans nos choix stratégiques. Ainsi, dans un pays comme la France, quel est l’intérêt de déployer massivement des filières comme le photovoltaïque ou l’éolien, alors que l’électricité, essentiellement nucléaire et hydraulique, est déjà décarbonée ? C’est même contre-productif puisqu’on sait que lorsque l’on développe des installations de production d’énergie intermittente, on doit les accompagner de centrales pilotables, généralement à gaz ou à charbon, ce qui conduit à recarboner une électricité qui était propre ! Comme d’autres pays, la France ferait mieux de concentrer ses efforts financiers et technologiques sur des filières d’alternative aux hydrocarbures comme les agrocarburants ou carburants de substitution dans le secteur aérien ou encore l’hydrogène. De plus, ces secteurs sont encore épargnés par la domination chinoise et la France a sa carte à jouer.

Quant à la filière nucléaire, la France a aussi d’énormes atouts grâce à son histoire dans ce secteur. En particulier, elle avait déjà développé du savoir-faire sur les réacteurs de 4e génération, voire de 5e, plus sûrs et permettant de réduire fortement la production de résidus de fission. Il s’agit d’une voix majeure dans la décarbonation de l’énergie dans laquelle la France peut exceller. Il faut ajouter à cela un autre intérêt environnemental de la filière nucléaire, qui est sa très faible emprise au sol : c’est la source d’électricité qui permet la plus forte production de MWh sur une très faible surface, ce qui minimise à la fois son impact environnemental en termes de surface de production, mais aussi en termes d’acheminement par des lignes à haute tension. Cela constitue un atout économique indéniable, mais aussi un avantage en termes d’acceptabilité par les populations riveraines.

Enfin, il faut aussi penser, à plus long terme, à la filière de la fusion nucléaire, qui, bien que complexe à mettre au point, permettra à terme de disposer d’une source d’énergie propre, sûre, durable et inépuisable. Là aussi la France a des atouts, c’est là qu’elle doit concentrer ses efforts financiers et de recherche.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !