Alstom Belfort : quel gain électoral ce type de sauvetage industriel peut-il vraiment rapporter à un gouvernement sortant ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Lorsqu'une crise industrielle a lieu, notamment dans le cadre d'un bassin potentiellement sinistré, les conséquences sont réelles. Cela engendre une déstabilisation du gouvernement, quelle que soit la gestion de la crise. Hollande est dans cette situation
Lorsqu'une crise industrielle a lieu, notamment dans le cadre d'un bassin potentiellement sinistré, les conséquences sont réelles. Cela engendre une déstabilisation du gouvernement, quelle que soit la gestion de la crise. Hollande est dans cette situation
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Jurisprudence Florange

Le gouvernement a annoncé ce mardi 4 octobre sa volonté de sauver Alstom et le site de Belfort. Mais le gain électoral sera faible pour François Hollande car lors d'une telle action les Français perçoivent un exécutif qui réagit à la crise au lieu de l'avoir anticipée.

Jean-Daniel Lévy

Jean-Daniel Lévy

Jean-Daniel Lévy est directeur du département politique & opinion d'Harris Interactive.

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Atlantico : Le gouvernement a annoncé ce mardi 4 octobre sa volonté de sauver Alstom et le site de Belfort au travers de l'achat de 15 trains. Cette stratégie peut-elle s'avérer payante électoralement où François Hollande joue-t-il un jeu auquel il ne peut pas gagner ?

Jean-Daniel Lévy : D'une manière générale, en France notamment, la préférence va très nettement à l'État stratège qui s'ancre dans une politique d'anticipation davantage qu'à l'État qui ne se situe que dans la réaction. Le dossier Alstom, comme de nombreux autres, témoigne d'une perception diffuse de la part des Français que l'État agit une fois de plus en réaction. Il n'a pas été, selon nos concitoyens, en capacité de jouer son rôle au conseil d'administration. 

Par conséquent, le gain en matière d'opinion, pour un gouvernement qui semble n'être que dans la réaction ne saurait être impressionnant. Rappelons-nous du dossier Florange, assez comparable avec la situation actuelle à Belfort : un bassin d'emplois avait été préservé sur le site. Pour autant, le sentiment des Français n'a pas évolué de façon notable : ils gardaient surtout l'impression que le gouvernement était intervenu après le débat ; après la prise de décision. 

La difficulté relève notamment du fait qu'il s'agit là de sujets particuliers. Sur ces thématiques, la demande à l'égard des gouvernements porte très nettement sur l'anticipation, comme dit précédemment. Or, le fait est que l'anticipation – par définition – n'est pas visible, palpable. De ce fait, l'État ne peut que se retrouver dans une situation de crise. C'était le cas à Florange, c'était également le cas à Vilvoorde… Les Français ont eu connaissance de chacun de ces dossiers. S'ils en ont connaissance, c'est qu'il y a eu une mauvaise nouvelle. Il faut garder à l'esprit qu'une vente de frégate, de navire, d'avion, n'apporte pas de crédit particulier aux politiques (en dépit du rôle qui est le leur dans la signature des contrats). En parallèle, lorsqu'une crise industrielle a lieu, particulièrement dans le cadre d'un bassin potentiellement sinistré, les conséquences sont réelles. Cela engendre un trouble, une déstabilisation du gouvernement, quelle que soit la gestion de la crise.

François Hollande est dans cette situation aujourd'hui. Il l'est d'autant plus que l'exécutif actuel est fortement perçu comme dans la réaction et non dans l'anticipation. Il agit a posteriori et non a priori. Cela ne peut qu'alimenter ce sentiment des Français. Et même s'il gérait la crise à la perfection, il ne serait probablement pas possible pour lui de faire mieux que de stabiliser la situation. Il n'a pas de possibilité de gain. Il n'est cependant pas le seul à avoir souffert de ce phénomène. Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, Pierre Mauroy ont également subi des situations de la sorte.

En matière de sauvetage, quels sont les précédents historiques les plus marquants ? Comment se sont-ils conclus et que permettent-ils de discerner de l'avenir de cette affaire ? Comment François Hollande peut-il espérer s'en sortir sans trop de casse ?

Les précédents historiques sont nombreux, nous en avons déjà abordés quelques uns. L'un des plus révélateur est la fermeture de l'usine Renault de Vilvoorde, en 1997. On peut également citer Florange… Tous ces moments sont autant de situations qui génèrent de réelles interrogations sur la capacité de l'État à pouvoir mener à bien ses missions ; à pouvoir lutter contre la mondialisation généralisée. Quand Lionel Jospin disait "L'État ne peut pas tout" les dégâts dans l'opinion ont été considérables. Lorsque, comme à Florange, le gouvernement donne le sentiment de laisser faire, il provoque d'importants dégâts dans l'opinion. Dès lors qu'il y a le sentiment que le gouvernement ne sait pas précisément où il va, cela génère un trouble conséquent.

Il est assez frappant de constater qu'aujourd'hui l'attente de protection est une attente manifeste. C'est tout particulièrement vrai dans des régions et des territoires qui comptent des bassins industriels forts, concentrés autour d'une ou plusieurs entreprises. La fermeture de l'une d'entre elles n'apparait pas seulement comme une fermeture industrielle. Elle devient un drame à la fois économique et identitaire. Le slogan "Alstom, c'est Belfort et Belfort c'est Alstom" l'illustre bien. Alstom apparaît comme un élément structurant de Belfort, comme un élément d'avenir, tout spécifiquement pour les catégories populaires. Il s'agit aussi d'un élément d'égalité dans l'avenir, pour ces mêmes catégories.

La seule façon pour s'en sortir à peu près correctement pour François Hollande est claire : il faut qu'il définisse ce que peut être la politique industrielle de la France, ce que pourrait être son avenir. Il ne peut se contenter de la réaction au cas par cas mais doit se concentrer sur la politique industrielle générale, montrer tout ce qui a été entrepris par le gouvernement pour une économie dynamique. Sur ces questions, il pourrait évoquer ce qui s'est passé à Saint-Nazaire, les ventes de rafales, etc. Son grand problème, et la raison pour laquelle cela le touche bien plus qu'aucun autre responsable politique avant lui, c'est que des cas comme Florange ou Goodyear ont créé un contexte de flou qui le déstabilise fortement : ce n'est pas la première fois qu'il est dans la réaction plutôt que dans l'anticipation…

Comment expliquer la propension des électeurs à juger si durement ce genre de situation ? 

En France, il faut le reconnaître, nous avons davantage tendance à retenir les mauvaises nouvelles que les bonnes. Il y a un tel imaginaire derrière l'industrie que l'opinion estime qu'il y aura nécessairement un aspect déceptif. Les attentes vis à vis de l'Etat sont en France plus grandes que dans d'autre pays. Dans ce contexte, tout ce qui ressemble à une absence d'État, surtout quand cela touche les catégories populaires, touche l'ensemble des Français. Il y a également une dimension relative aux promesses de sauver les bassins d'emplois, sans que cela ne se soit soldé de la sorte, mais c'est assez secondaire. Les Français attendent de l'État qu'il réagisse et n'aiment pas le voir subir. Ces crises contribuent à leur renvoyer une piètre image de l'État et les poussent à juger les dirigeants avec sévérité.

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