Affaires étrangères, défense et Europe : qui déterminerait vraiment la politique française en cas de cohabitation Macron / RN ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron.
©Ludovic MARIN / AFP

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En matière de partage des compétences, la Constitution contient des ambiguïtés.

Ramu De Bellescize

Ramu De Bellescize

Ramu de Bellescize est maître de conférence (HDR) à l’université de Rouen. Il a été visiting scholar à Georgetown Universitity (Washington DC) et à Wolfson College (Université de Cambridge, Royaume-Uni). Son dernier livre est intitulé « Le système budgétaire des Etats-Unis », LGDJ, 2015. 

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Atlantico : Comment la Constitution française répartit-elle les responsabilités en matière de politique étrangère, de défense et de politique européenne entre le Président de la République et le Premier ministre ? Comment ces dispositions seraient-elles mises à l'épreuve en cas de cohabitation entre Emmanuel Macron (Renaissance) et un gouvernement du Rassemblement National (RN) ? Le domaine réservé du Président couvre-t-il ces trois domaines (politique étrangère, de défense et politique européenne) ?

Ramu de Bellescize : En matière de partage des compétences, la Constitution contient des ambiguïtés. A priori, dans ces trois domaines que vous évoquez, la prééminence du chef de l’État est nette. Le chef de l’État est chef des armées. Il décide de l’emploi de l’arme nucléaire et il préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale (article 5). En matière de politique étrangère, la constitution dispose qu’il négocie et ratifie les traités internationaux et accrédite les ambassadeurs. L’article 5 est encore plus explicite, puisqu’il dispose qu’il est le « garant de l’indépendance nationale et de l’intégrité du territoire national ». Enfin, en cas de circonstances exceptionnelles, il dispose des pleins pouvoirs (article 16).

Mais deux articles donnent également des pouvoirs importants au gouvernement. L’article 21 : « Le premier ministre dirige l’action du gouvernement, assure l’exécution des lois et est responsable de la défense nationale ». Et l’article 20, au terme duquel « le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation, il dispose de l’administration et de la force armée ».

Les contradictions entre ces dispositions relatives au chef de l’État et au Premier ministre peuvent être sources de conflits, tout particulièrement en ce qui concerne ce qui concerne ce que l’on appelle le domaine réservé. Il faut noter que la constitution n’utilise pas cette expression domaine réservé, utilisée pour la première fois par Jacques Chaban Delmas en 1959. Depuis, elle est instrumentalisée, au profit du chef de l’État ou du Premier ministre. Lorsque Jacques Chaban Delmas utilise l’expression en 1959, la politique européenne est marginale, il est donc peu probable qu’à l’origine elle recouvrait ce domaine.

Quels enseignements pouvons-nous tirer des précédentes périodes de cohabitation en France (Mitterrand-Chirac, Chirac-Jospin) concernant les défis et dynamiques potentiels d'une cohabitation actuelle entre Emmanuel Macron et un Premier ministre du Rassemblement National, en particulier sur les affaires étrangères, la défense et la politique européenne ?


Vous rappelez les trois cohabitations qui ont eu lieu sous la Ve République. Durant les trois cohabitations il y a eu des accrochages célèbres, pour ne pas dire de vrais conflits, au sommet de l’État, dans les domaines de la défense et de la politique étrangère. 

En 1986, François Mitterrand refuse de signer des ordonnances de privatisation de nombreuses entreprises. Il invoque notamment l’argument selon lequel ces privatisations portent atteinte à l’indépendance de la France et à sa souveraineté économique. En tant que chef de l’État et donc garant de l’indépendance nationale, il a un rôle à jouer, distinct de celui du Premier ministre. Les privatisations seront finalement réalisées par voie législative. 

En 1988, deux jours avant le premier tour de l’élection présidentielle, des d’indépendantistes kanaks attaquent la gendarmerie de Fayaoué, sur l’île d’Ouvéa en Nouvelle-Calédonie. Ils prennent des otages détenus dans une grotte. Les otages sont libérés par la France. L’assaut est ordonné par Matignon. Cela donne lieu à un conflit avec l’Élysée.

Que peut-on imaginer comme scénarios dans le cadre d’une cohabitation Macron - RN ? Ne risque-t-on pas d’assister à une cohabitation extrêmement dure ? Quels scénarios et tensions peuvent émerger en matière de défense et d’engagement militaire si Emmanuel Macron, en tant que chef des armées, doit collaborer avec un gouvernement du Rassemblement National, dont les priorités et orientations pourraient diverger sensiblement des siennes ?

Les prochaines élections présidentielles auront lieu en 2027. Il pourrait donc y avoir une cohabitation de deux ans et demi. Le sujet de tension pourrait être la Russie. Quelle attitude avoir ? Faut-il envoyer des troupes ? Le Rassemblement National milite pour une certaine retenue dans ce conflit tandis qu’Emmanuel Macron paraît plus interventionniste. Cela pourrait être un sujet de conflit.

Comment les différences de sensibilité, d'expérience historique personnelle et de vision politique entre Emmanuel Macron et une figure du Rassemblement national comme Jordan Bardella ou Marine Le Pen pourraient-elles influencer la politique européenne de la France, notamment au sein du Conseil européen ?

On peut tenter une comparaison, même si c’est très différent, avec le Shutdown aux États-Unis. Lorsque le Congrès et le président ne trouvent pas d’accord sur le budget, l’administration n’est plus financée. Les services qui ne participent pas à l’exercice de la souveraineté cessent de fonctionner. La différence est que cela dure de quelques jours à quelques semaines et non quelques années, comme la cohabitation. Mais il y a peut-être un point qui rapproche les deux événements. Durant le Shutdown, le président et le Congrès ne savent jamais contre qui se retournera la crise : les républicains ou les démocrates. Ils ont donc intérêt à s’entendre, à trouver un accord. Durant la crise, chaque parti cherche à deviner quelle est la volonté de la majorité, pour éviter que cela se retourne contre eux. S’il y a une crise grave en matière de politique européenne, ce qui pourrait se produire, le chef de l’État étant favorable à des États davantage intégrés dans l’Union européenne, au contraire du Rassemblement national, plus souverainiste, elle pourra être tranchée par une nouvelle dissolution. Mais il faudra attendre au moins un an. 

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