Y a-t-il vraiment des radiations des listes électorales mettant en cause la sincérité des résultats électoraux en France comme le dénonce Jean-Luc Mélenchon ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Luc Melenchon s'exprime lors du dernier meeting de campagne à Toulouse, le 1er juin 2024, avant les prochaines élections européennes
Jean-Luc Melenchon s'exprime lors du dernier meeting de campagne à Toulouse, le 1er juin 2024, avant les prochaines élections européennes
©ED JONES / AFP

Élections européennes

Spoiler : le leader des Insoumis est de plus en plus complotiste…

Jean-Pierre Camby

Jean-Pierre Camby

Docteur en droit, Jean-Pierre Camby est administrateur à l’Assemblée nationale où il a notamment dirigé la division de la commission des finances. Il a été le chef du service juridique du Conseil constitutionnel entre 1992 et 1995. Hors cadre depuis 2019, il se consacre à des activités d’enseignement à l’université de Paris Saclay (UVSQ) et d’écriture.

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Atlantico : Jean-Luc Mélenchon a mis en cause, à Toulouse puis à Garges-les-Gonesse, les conditions de distribution de la propagande officielle et évoque des radiations d’électeurs. Quelle est la réalité des radiations des listes électorales ? Quelles sont les principales estimations chiffrées ?

Jean-Pierre Camby : 49 339 714 électeurs sont appelés aux urnes le 9 juin. 227 000 électeurs ont été radiés au cours de  l’année précédant le 1 er tour de l’élection présidentielle de 2022. Ces chiffres doivent être à peu près constants d’une année sur l’autre. Pour l’élection des députés européens, pour laquelle la France constitue une circonscription unique, le lieu du vote n’est pas déterminant du droit de vote. Être inscrit suffit pour voter. Il n’y a donc pas lieu de polémiquer sur le nombre de radiations.  

Existe-t-il des preuves ou des indicateurs que ces radiations sont plus fréquentes dans certains départements ou régions ? Et quel est le processus et les critères pour radier un électeur sur les listes électorales en France ?

Une très importante réforme est intervenue par une loi du 1 er août 2016, entrée en vigueur en 2019. Les précédentes élections européennes du 26 mai 2019 se sont déjà déroulées selon ce système, et le rodage ne s’est pas fait sans difficultés, compte tenu de l’importance de la réforme qui a consisté à faire de la liste électorale un document permanent géré par l’INSEE : le répertoire électoral unique ( REU). Les radiations en cas de décès sont enregistrées automatiquement.  Depuis 2019, les autres mouvements dépendent d’une décision du maire qui a cinq jours pour s’opposer à une demande  d’inscription si elle ne lui paraît pas légale, ou qui peut radier un électeur après une phase contradictoire. 

Les  intéressés peuvent contester ces décisions devant une commission de contrôle établie dans chaque commune, puis devant le juge, qui peut aussi être saisi par un tiers électeur. Le maire est ici agent de l’Etat (Conseil d’Etat 27 mars 2023)  : il risque gros s’il inscrit, maintien ou radie individuellement des personnes de manière arbitraire. L’INSEE n’agit pas  de sa propre initiative, le gouvernement ne peut modifier le REU, le maire est tenu par la loi. Qui est l’accusée ? 

La commission de contrôle  doit se réunir 21 jours au moins avant un scrutin et peut donc à ce moment radier des électeurs indument inscrits, ici encore après procédure contradictoire. Lorsque les radiations sont prononcées  par les maires ou les commissions, les électeurs ont été informés et ont pu saisir le juge. De plus, tout électeur peut s’adresser au fichier pour vérifier son inscription, ou demander communication de la liste électorale actualisée de la commune ( Conseil d’Etat 9 novembre 2022). Si des électeurs sont radiés « dans les quartiers populaires » ou ailleurs ces décisions sont dues aux communes concernées, les électeurs en ont été informés et ont pu les contester. Qui est l’accusée ? 

Aucun élément ne permet donc de dire que l’application de ce système uniforme serait différenciée dans certains quartiers et qu’il y aurait des lieux où les radiations seraient plus ou moins fréquentes : elles suivent les mouvements de population.  

Jean-Luc Mélenchon souhaite déclencher une Commission d’enquête sur les électeurs radiés dans les quartiers populaires et sur les conditions de distribution de la propagande. En quoi la radiation des listes est un phénomène automatique et administratif et non une volonté politique remettant en cause les résultats électoraux comme le pense le représentant de La France insoumise ?

Sans être automatique sauf en cas de décès, la radiation des listes est bien un processus administratif. L’appréciation du maire ou de la commission est contrainte par les conditions d’inscriptions, qui relèvent de la loi ( article L 11 du code électoral)  Des erreurs d’adresse ou des distributions défectueuses de la propagande officielle proviennent souvent de déménagements sans que les intéressés aient répercuté ce changement sur la liste électorale – donc une radiation aurait dû se produire – ou  de défaillances de la Poste. Mais l’absence de distribution touche toutes les listes qui ont demandé à bénéficier de l’envoi et qui bénéficient du même pli, et non certaines d’entr’elles seulement. Et pour que l’accusation ait une consistance, il faudrait mettre en évidence une collusion entre la Poste et certains candidats. Ici encore qui est l’accusée ? 

Enfin la livraison des bulletins de vote dans les bureaux, si elle donne lieu parfois à des incidents mineurs, peut-être suppléée par les candidats eux-mêmes. Si une rupture de stock durable ou totale est avérée, les résultats du bureau concerné peuvent être annulés par le juge. 

Distiller le doute sur la sincérité du scrutin, remettre en cause par avance les conditions du vote, c’est sans doute s’apprêter à contester les résultats eux-mêmes. L’amalgame n’est pas un moyen de preuve.  Il est facile de critiquer l’organisation du scrutin, quitte à jeter la suspicion sur l’INSEE, les maires, le système électoral ou la Poste par des affirmations générales qui ne sont pas, à ce stade, étayées par des « faits déterminés » sur lesquels une commission d’enquête peut être réunie. 

Jean-Luc Mélenchon ne se trompe-t-il pas de combat en pensant que tous ces électeurs radiés voteraient forcément pour La France Insoumise ?

C’et une supposition indémontrable, d’autant qu’ il faudrait d’abord mettre en évidence que ces électeurs ont été radiés à tort, et de plus, qu’ils n’ont pas pu voter.  Et c’est oublier que chaque électeur peut tout vérifier et contrôler, à commencer par sa propre inscription. 

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