Y-a-t-il assez d’armes dans le pays pour qu’éclate la guerre civile que redoute Emmanuel Macron ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Quelque 1 500 armes à feu d'époque sont présentées par le Service central des armes et explosifs à la suite de sa campagne de 2022 incitant les citoyens à se débarrasser de leurs armes non déclarées, le 14 novembre 2023.
Quelque 1 500 armes à feu d'époque sont présentées par le Service central des armes et explosifs à la suite de sa campagne de 2022 incitant les citoyens à se débarrasser de leurs armes non déclarées, le 14 novembre 2023.
©MATHIEU RABECHAULT / AFP

Contrôle des armes

Le président de la République dit redouter des troubles si le RN ou le NFP arrivaient au pouvoir. En tant que garant du fonctionnement régulier des institutions, a-t-il pris les mesures nécessaires pour y faire face ?

Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. Il a également publié en 2022 La vraie victoire du RN aux Presses de Sciences Po. En 2024, il a publié Les racines sociales de la violence politique aux éditions de l'Aube.

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Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Atlantico : Emmanuel Macron dit craindre une "guerre civile" en cas de victoire, à l'issue des élections législatives anticipées, du NFP ou du RN. Gérald Darmanin a également participé à la mise en garde, estimant pour sa part que "ce n'est pas la rue, ce n'est pas la force, ce n'est pas le coup de poing qui fait la démocratie, ce sont les Français". Quelle est, selon-vous, la part de pronostic et la part d'argumentaire politique ? Dans quelle mesure ce dernier peut-il s'avérer inquiétant, s'il consiste à alimenter la crainte des électeurs en amont de leur vote ?

Luc Rouban : Pour qu’il y ait une guerre civile, il faudrait que les institutions s’écroulent complètement, comme au Liban : plus de gouvernement, une décomposition sociale avancée, une justice inexistante, une armée qui prendrait partie ou éclaterait et n’obéirait plus à sa hiérarchie et notamment au président de la République. Je vois mal les militaires français jouer les colonels africains. Les conflits civils nécessitent des conditions qui ne sont pas remplies, notamment l’espoir d’un gain politique de conquête du pouvoir par l’un des camps et l’embrigadement d’une grande partie des Français dans un camp ou l’autre au risque de leurs libertés ou de leur vie. Or, il faut rappeler que les Français sont méfiants, ne sont pas prêts à s’engager pour un parti ou un leader, pensent surtout à leur vie personnelle, à leur métier ou à l’avenir de leurs enfants. On ne déclenche pas une guerre civile parce qu’un parti qu’on n’aime pas obtient la majorité à l’Assemblée nationale. Du reste, tous ceux qui ont nourri des espoirs d’insurrection avec le mouvement des Gilets jaunes en 2018, qui s’étaient lancés dans des violences systématiques, ont été fort déçus car ce mouvement a fait long feu et n'a pas nourri le vote de gauche radicale, bien au contraire. Les Français sont fatigués des violences au quotidien, dans la rue, à l’école, contre les femmes, au travail, ce n’est pas pour en ajouter de nouvelles et vivre sur des décombres.

Cette montée en hystérie est très dommageable pour un parti censé incarner la raison, l’équilibre et le « en même temps ». C’est la fin du macronisme qui se joue sous nos yeux. Mais celles et ceux qui développent ce type d’arguments, qui inquiètent effectivement à l’étranger, devraient se demander pourquoi la conflictualité politique a autant augmenté en France depuis 2017. Quant aux électeurs français, nos dernières enquêtes montrent qu’ils ne rejoignent pas vraiment le camp macroniste et que l’argument de la peur ne semble pas avoir beaucoup d’effet à part celui de les convaincre un peu plus qu’une page doit être tournée.

Gérald Pandelon : Une fois n’est pas coutume mais je crois qu’Emmanuel Macron a peut-être raison. J’ai été amené à conduire une étude dans les cités, il y a de cela plusieurs années et j’en ai traversé une cinquantaine dans tout le pays. C’était l’occasion, bien évidemment, de discuter des années durant avec les parrains et les gangs. Ceux-ci, il faut bien le dire, sont armés jusqu’aux dents. On compte environ 150 000 armes cachées dans les greniers et les caves, du 9mm au 357 Magnum en passant par les traditionnelles Kalashnikov. Sans compter le reste des autres armes illégalement acquises sur le pays. Ces gens-là sont donc tout à la fois très violents et aussi très armés. Ils ne redoutent pas les forces de l’ordre, que l’on parle des brigades anti-criminalités ou des CRS. A leurs yeux, il ne s’agit guère que d’une vaste plaisanterie. Ils n’ont pas peur d’un affrontement… et ils sont même nombreux à le vouloir. Dès lors, j’ai bien peur que nous empruntions, pas à pas, le chemin vers une guerre civile. La victoire du Rassemblement national, le 7 juillet prochain, pourrait constituer un pas de plus dont on sous-estime aujourd’hui l’impact.

Dix ans durant, j’ai été amené à travailler sur le narcobanditisme. Ses pratiquants n’ont que faire de nos valeurs ou des droits de l’Homme. Ils ne se sentent limités par aucune éthique et moins encore de normes. Rien ne vient stopper leur volonté mortifère mais tout porte à croire que l’axe islamo-gauchiste – qui est réel et qui existe depuis des années puisque j’y ai été confronté il y a plus de trente ans, quand encore jeune, j’étudiais à Sciences-Po – contribue au contraire à l’alimenter. Ce dont Gilles Kepel parle souvent est une réalité que j’ai vécue personnellement.

Nous savons tous combien le chef de l’Etat est doué pour la communication et la stratégie politique. Je pense donc qu’il profite de l’occasion pour attiser les peurs et tâcher de faire remonter Gabriel Attal. Cela fonctionne peut-être, celui-ci étant désormais crédité de 22% des intentions de vote. Cela ne veut pas dire pour autant que son propos ne charrie pas un fond de vérité. Nous allons, me semble-t-il, au devant d’une guerre civile. Pas le 7 juillet au soir, bien sûr, mais dans les mois à venir, sinon plus tard. La seule réponse à laquelle nous pouvons nous attendre est l’omniprésence policière, qui deviendra la seule façon de préserver la sécurité des concitoyens.

Faut-il craindre, selon-vous, que certains mouvements (antifascistes, par exemple, ou une partie des Insoumis) soufflent sur les braises et nourrissent des mouvements potentiellement violents ? Dans quelle mesure le degré de politisation de certains quartiers (défavorisés, notamment) peut-il également jouer ?

Luc Rouban : On ne sait pas encore sur quoi les élections législatives vont déboucher, un RN avec la majorité absolue ou un RN avec une majorité relative conduit à monter une coalition gouvernementale avec LR. La gauche, malgré tous les espoirs de LFI, ne réunit pour l’instant guère plus de 30% des électeurs. En revanche, le potentiel d’action des syndicats et notamment des plus engagés à gauche comme la CGT ou Solidaires est réel et pourrait conduite à des blocages et des grèves dans les services publics. Cela étant, il ne faut pas non plus sous-estimer l’intérêt de leurs propres adhérents et de leurs soutiens dans les entreprises ou les administrations. Rappelons que plus de 50% des ouvriers ont voté pour la liste Bardella aux européennes. Environ 25% des adhérents de la CGT votent pour le RN. L’action sociale c’est une chose, l’action purement politique une autre, surtout face à un RN qui a un programme social profitant, du moins en théorie, aux plus modestes, baisse du coût de l’énergie, fin des injonctions écologiques aux utilisateurs de voitures, sans parler du renforcement de l’autorité de l’État que la très grande majorité des catégories populaires et moyennes appellent de leurs vœux. Un recours irresponsable au conflit de rue pourrait se retourner très vite contre ses protagonistes car personne ne soutiendra des violences qui ne pourront déboucher sur rien. 

Gérald Pandelon : C’est ce vers quoi nous nous dirigeons, car d’aucuns souhaitent désormais en découdre. Les tenants de l’anti-fascisme et une partie des insoumis n’hésitent pas, en effet, à souffler sur les braises du potentiel conflit à venir : ils y ont tout intérêt, puisqu’ils ne peuvent que s’attendre à une défaite. Dès lors, la seule manière pour eux de réhausser la perte qui s’annonce le 7 juillet prochain, c’est le recours à la violence. Nous parlons, après tout, de gens qui ne sont démocrates que lorsqu’ils parviennent à gagner le pouvoir. Le jeu démocratique ne les intéresse pas vraiment.

Du reste, mon enquête m’a permis de noter un paradoxe important : la plupart des parrains votent Rassemblement national. Les petites mains de leurs trafics et empires ne sont pas nécessairement politisés, mais eux feraient tout pour s’embourgeoiser et donc se faire oublier. On parle ici d’une forme de gentrification à part entière.

Une telle guerre civile mobiliserait donc les forces de gauche, qui auraient tendance, je pense, à s’associer avec d’autres forces. Naturellement, ce ne sont pas les électeurs de Raphaël Glucksmann qui poseraient problème. Ce sont davantage ceux de Jean-Luc Mélenchon et de la France Insoumise, qui auraient davantage tendance à porter le coup de poing, accompagnés des figures du banditisme que nous avons évoquées et de l’islamisme.

Les armes à feu, nous l’avons dit, circulent sur le sol français. Certaines proviennent ainsi d’Ukraine et d’autres sont détenus par ceux qui possèdent des permis de chasse. Sait-on combien il y en a en France et qui les détient exactement ? Cela suffirait-il à armer les camps d’une potentielle guerre civile ?

Xavier Raufer : Non, certainement pas. Commencer à compter les baïonnettes, d’ailleurs, ne permet pas de prendre la pleine mesure de ce qui est en train de se passer. Rappelons d’abord qu’une guerre civile n’éclate que si deux camps s'affrontent. Une guerre civile, ce n’est pas la réaction violente de quelques-uns qui, ayant perdu une élection, descendent dans les rues et cassent des réverbères ou des vitrines. Une guerre civile, en témoignent la guerre de Sécession comme la guerre d’Espagne et bien d’autres encore, c’est un conflit qui s’inscrit dans la durée, qui oppose au moins deux camps (ou deux milices) suffisamment armés. Cela a des implications internationales et cela engendre énormément de morts. Nous en sommes très loin en France. Notez que l’hexagone dispose de l’un des plus vieux (et des plus solides !) appareils d’Etat. Le seul qui soit plus âgé que le nôtre, c’est celui du Vatican. Voilà huit siècles, maintenant, que la France multiplie les traités, les décrets, les arrêtés. A titre de comparaison – et c’est d’ailleurs l’un des grands problèmes rencontrés par Giorgia Meloni – l’appareil d’Etat italien n’existe sous sa forme actuelle que depuis 1870. En France, on peut s’attendre à ce que, comme d’habitude, l’appareil d’Etat se plie à la volonté du chef de la nation. Cela ne veut pas dire qu’il ne faudra pas remercier quelques juges socialistes ou communistes, par exemple, mais ce n’est pas un point essentiel de l’analyse. Notre appareil d'État, c’est un fait, est solide. A cet égard, l’idée même d’une guerre civile est proprement absurde. Il y aura peut-être – sans doute ! – des bagarres de rue et peut-être même quelques coups de pistolet dans une cité hors de contrôle. Nous resterons loin des centaines de milliers de morts causés par la guerre d’Espagne entre 1936 et 1939.

S’il faut évoquer l’ensemble des armes détenues en France, on pourrait commencer avec les fusils de chasse : on en recense 4,5 millions environ, pour l’essentiel à la campagne. Dans les banlieues, on trouve également un certain nombre d’armes clandestines servant pour les guerres entre gangs. Les gauchistes, cloîtrés dans leurs zones à défendre, en ont peut-être quelques-unes aussi. Mais il faut bien comprendre qu’une arme à feu, c’est quelque chose qui s’amadoue. Il faut apprendre à s’en servir, ce qui demande des mois. On ne peut pas se contenter de piller une armurerie et d’espérer savoir tirer ensuite… et compte tenu du bruit que peuvent faire les armes de guerre et les armes automatiques, cela implique de trouver un endroit particulièrement reculé. Rappelez-vous du fanatique lyonnais, râttaché au GIA qui a voulu prendre le maquis pendant le premier mandat d’Emmanuel Macron. 48h après, il est mort.

En tout et pour tout, on dénombre environ 5 millions d’armes non déclarées en France, qu’elles soient illicites ou mal déclarées. Naturellement, le chiffre nécessite de la prudence, puisqu’il s’agit d’armes non répertoriées. Cela ne veut pas dire, par ailleurs, qu’elles seraient nécessairement disponibles en cas de guerre civile puisqu’elles sont pour l’essentiel entre les mains de bandits, de trafiquants d’armes qui n’entendent pas les donner. Ceux-là ne se mobiliseraient certainement pas en cas de conflit. Ils n’ont rien à faire des élections, de Marine Le Pen, d’Israël ou du Hamas : ce qui les intéresse c’est de gagner toujours plus d’argent.

Gérald Pandelon : Commençons par le commencement. En l’état actuel, les stocks d’armes en France sont au plus bas. Dans le cadre d’un conflit de haute-intensité, comme cela serait le cas si l’on imaginait une guerre France-Russie par exemple, nous ne disposerions pas d’assez de munitions, d’obus, de missiles ou de torpilles pour tenir beaucoup plus qu’une semaine. Nous sommes proprement sous-équipés.

Ceci étant dit, il est indéniable que des armes en provenance de l’Est soient entrées sur le territoire. Elles gonflent aujourd’hui les stocks des cités et des quartiers difficiles. C’est bien pour cela que nous assistons aujourd’hui et dont Atlantico a déjà eu l’occasion de parler. Le problème de fond, me semble-t-il, émane d’une réelle sous-évaluation du risque du côté de la police, de l’armée, du politique – au sens, du régalien – alors même que nous faisons face à des gens surarmés et prêts à en découdre. L’idée de fond, c’est celle de la partition de la France, par les armes.

En tout et pour tout, comme j’ai eu l’occasion de le dire, on compte environ 150 000 armes cachées, plusieurs millions d’armes illégales et des dizaines de millions d’armes légales sur notre sol.

Toute guerre civile nécessite également des combattants. Faut-il croire que les Français les plus à cran seraient prêts à passer à un conflit militarisé ?

Gérald Pandelon : C’est ce que je pense, en tout cas. Naturellement, il ne s’agit pas de dire que nous allons tomber dans une redite de la guerre d’Espagne le soir même du deuxième tour des élections législatives. Toutefois, il s’agirait de ne pas sous-estimer le phénomène de contagion qui pourrait engendrer un véritable embrasement général en cas de conflit dans l’une ou l’autre des cités de France. La solidarité entre les narco-bandits, qui participeraient très certainement au soulèvement, est indéniable… et en l’état, nous ne disposons pas d’assez de policiers pour ramener ces gens à la raison. Les ferments de la violence sont présents.

Xavier Raufer : Prenons le temps de nous attarder, un instant, sur les combattants supposés de cette prétendue guerre civile. On sait aujourd’hui que les gendarmes, pour l’essentiel, votent RN. Ils sont au moins 80% à lui accorder leur voix, comme on peut l’observer à chaque fois qu’il y a modification de la géographie d’un canton et que le commissariat change de zone. Il faut aussi penser à tous les gens qui travaillent dans la sécurité privée et qui, régulièrement, sont harcelés par les racailles. Songez aussi à ceux qui, à la campagne, font face au vol ou au pillage… A la fin des fins, on aligne donc peu ou prou 150 000 policiers, 120 000 gendarmes environ et un peu plus de 130 000 personnes issues de la sécurité privée. En admettant qu’un sur trois décide de se battre, on en arrive à environ 300 000 combattants supposés probablement en faveur du Rassemblement national.

Pour faire face à qui ? Face à eux, il n’y a guère que des petites bandes de racailles – ceux que l’on retrouve dans les quartiers nord de Marseille ou analogues. Ils n’ont aucune réelle science du combat et ne font que s’entretuer, en témoigne l’exemple de la cité phocéenne ou les règlements de compte ont coûté 49 vies depuis 2023. Ces gens-là ne sont pas de taille à affronter des policiers ou des gendarmes aguerris, rompus au maintien de l’ordre. Il n’y aurait même pas besoin de mobiliser l’armée française. Où sont, de plus, les armes dont disposerait une potentielle force d’insurrection anti-Rassemblement national ?

Tirer sur des gens, c’est un point essentiel, c’est aussi être prêt à mourir soi-même. Généralement, au moins au bout d’un moment, l’ennemi finit par tirer à son tour. Pour avoir déjà eu à faire avec les racailles dont l’on parle aujourd’hui, je peux vous assurer qu’il ne s’agit pas de personnes braves ou courageuses. Confrontés à l’imminence de leur propre mort, c’est-à-dire au sentiment le plus brutal que l’on peut ressentir de sa vie, ils n’en mènent pas large. Et cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas, chez certains, une propension à tolérer la violence. Mais entre cela et donner la mort, l’écart est très grand. On ne parle tout simplement pas de la même chose.

Dans une guerre civile, on tue. On donne la mort.

"Aujourd'hui on vit côte à côte... Je crains que demain on ne vive face à face", avait affirmé Gérard Collomb en 2018. Depuis cette mise en garde, qu’on fait les gouvernements successifs ?

Gérald Pandelon : J’ai eu l’occasion d’examiner les plans successifs mis en place par les différents ministre de l’Intérieur en poste depuis. Qu’il s’agisse de Castaner ou de Darmanin, il n’y a rien eu de concret. Parfois ils ont évoqué des pistes, ou des idées mais rarement plus. Le trafic de stupéfiants n’a jamais été aussi important en France, et la recrudescence des actes de violence est particulièrement élevée. Nous comptons environ 225 000 cambriolages à l’année. C’est colossal. La plupart du temps, la réponse consiste à revoir la politique de la ville, à mettre en place des plans en faveur de cités difficiles ou de zones sensibles dans l’espoir d’assécher les trafics. Le résultat est connu : les trafics croissent sans cesse davantage.

Xavier Raufer : Les gouvernements successifs n’ont rien fait depuis les avertissements de Gérard Collomb. Ils ont fait comme si le problème n’existait pas. Pourtant, la solution paraît évidente : il faudrait, une fois pour toute, s’occuper du problème que représente la politique de la ville et faire en sorte que les gens vivent paisiblement. Prenons l’exemple de l’agglomération bordelaise où, dans les quartiers de la politique de la ville, les trafics de drogue et le travail du sexe a fleuri. Ces quartiers représentent environ 9% de la surface de la métropole pour 70 000 habitants. Comment expliquer, dès lors, que l’on soit capable de maintenir l’ordre et la discipline dans l’intégralité de la métropole à l’exception de ces 9% et 70 000 habitants ? Nous n’y allons tout simplement pas. Nous ne faisons rien. C’est le même genre de logique que l’on retrouve à l'œuvre dans les quartiers nord de Marseille, dont nous avons encore récemment parlé dans vos colonnes. Il existe, en France, de véritables favelas. Ce n’est pourtant pas une réalité inexorable : nous pourrions procéder différemment, en créant et en installant des commissariats ou des gendarmeries dans ces zones. A Sevran, sont le maire est communiste, cela fait des dizaines d’années que nous exigeons la construction d’un commissariat. Pourquoi n’est-il pas possible d’en construire un ? C’est une question de courage politique.

Qu'est-ce qu'un tel discours et de telles angoisses, dans un cas comme dans l'autre, peuvent-ils dire du rapport d'Emmanuel Macron à l'exercice du pouvoir ?

Luc Rouban : De tels propos sont effectivement très significatif de la vision très particulière que le macronisme s’est faite de la politique et de la vie sociale. On a l’impression qu’il découvre que la politique c’est le heurt de modèles de société et de valeurs et que ce n’est pas une conversation aimable au bar du Ritz entre grands patrons. L’histoire politique française a toujours été chaotique même pendant les périodes de croissance, rappelons-nous de Mai 68 alors que le chômage était au plus bas et la France au plus haut. En réduisant la politique à une action de gestion, de management, le macronisme a nourri de lui-même des radicalités qui le menacent à gauche et à droite et qui expriment, chacune à sa façon, un désir de politique, d’action directe sur la vie quotidienne, sur les destins individuels comme sur le devenir collectif. On ne peut diriger un pays comme la France sans tenir compte des valeurs, des mémoires, des drames qui ont ponctué les familles, on n’évoque pas sans risque la possibilité de s’engager militairement en Ukraine, on ne peut écarter d’un revers de la main ce qui constitue le tissu républicain, à savoir la volonté populaire et si on appelle cette volonté, on n’en fait pas ensuite une tragédie sans précédent. 

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