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Vous connaissiez les OGM, voilà les BGM made in China (les bébés génétiquement modifiés) et là où ça pourrait nous mener
©Reuters

Meilleur des mondes

Une équipe de scientifiques chinois annonce avoir commencé à développer des embryons génétiquement modifiés. Le début d'une nouvelle forme d'eugénisme scientifique ?

Axel Kahn

Axel Kahn

Axel Kahn est Président de la Ligue contre le cancer. Il a été à la tête de l'Université Paris Descartes de 2007 à 2011.

Axel Kahn est l’auteur d’une vingtaine de livres dont plusieurs ont été des bestsellers, notamment Et l’homme dans tout ça ? (NiL, 2000), Comme deux frères. Mémoire et visions croisées, avec Jean-François Kahn (Stock, 2006), L’Homme, ce roseau pensant (NiL, 2007),"Être humain, pleinement", (Editions Stock, 2016).

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Atlantico : Les premiers bébés génétiquement modifiés sont nés en Chine. Les embryons, nés d'un père atteint du VIH, auraient été « traités » par la technologie CRISPR-cas9. Comment fonctionne cette technologie et comment cette expérience a-t-elle été menée ?

Blanche Streb : Cette annonce tonitruante faite par un scientifique chinois est intervenue à la veille de l'ouverture d’un nouveau Sommet international de l'édition du génome humain qui se tient à Hong Kong, ce 27 novembre. N’ayant fait l’objet d’aucune publication ou confirmation pour l’instant, la prudence reste de mise. Pourtant, cet événement, en mettant toute la communauté internationale devant le fait accompli, a fait l’effet d’un coup de tonnerre et a suscité une vague d’indignation.

CRISPR-Cas9 sont les initiales d’une technique qui permet de modifier l’ADN de n’importe quelle cellule, végétale, animale et bien sûr humaine.

Cette technique est la combinaison de deux éléments - une enzyme qui coupe et un indicateur qui cible la zone à couper - qui agissent comme des « ciseaux moléculaires ». Grâce à elle, modifier l’ADN devient presque aussi simple que faire un copier-coller dans un trai­tement de texte. C’est pour cela qu’en anglais, on parle « d’édition du génome ». Mais précisons bien que ce n’est pas la technique CRISPR-Cas9 – dont les potentialités thérapeutiques sont extraordinaires et prometteuses - qui soulève des préoccupations éthiques majeures, mais c’est bien l’usage qui en est fait. La ligne rouge est simple : c’est son utilisation sur l’embryon humain ou les gamètes, pour faire naître des enfants génétiquement modifiés. Vient-elle d’être franchie ?

Dans l’expérience qui vient d’être révélée, le scientifique chinois explique avoir réalisé des fécondations in vitro pour sept couples dont les hommes étaient séropositifs et les femmes séronégatives. Une seule grossesse en a résulté, aboutissant à la naissance de deux jumelles. L'hypothèse poursuivie par ce scientifique était de « rendre ces bébé résistants au VIH », en désactivant un gène (le gène CCR5 codant pour un récepteur présent sur les lymphocytes, des cellules du système immunitaire que certaines formes de virus VIH infectent en utilisant justement ce récepteur pour entrer).

La folie de cette annonce est que pour soi-disant éviter une maladie, des embryons ont été créés de toute pièce, puis bricolés, en dépit des risques inhérents que la technique fait courir à ces enfants. Dans ce cas précis : l’impérieux besoin de répondre, par la technique, au désir d’enfant à tous prix s’accorde avec l’absence totale de principe de précaution. S’accorde avec l’idée d’en faire des cobayes des techniques qui auront contribué à les faire naitre. S’accorde avec le risque d’atteindre délibérément à leur intégrité physique. Quel paradoxe.

Pourrait-on éradiquer des maladies avec cette technologie, et lesquelles ?

Axel Kahn : Le but n'est pas d'éradiquer des maladies, en l'occurrence ici il s'agit de créer des hommes ou des femmes augmentés. Il n'y a pas beaucoup d'indication d'utilisation de cette méthode pour traiter des maladies génétiques. Pour quelle raison ? C'est que quand un bébé est à risque, quand un embryon est à risque de se développer en un bébé malade, ce que l'on fait dans un premier temps, si on veut soigner l'embryon, c'est après une fécondation in vitro on fait un diagnostic pré-implantatoire. Mais compte tenu des lois de la génétique, une fois qu'on a fait le diagnostic pré-implantatoire, on a sous la main des embryons qui sont sains et des embryons qui sont destinés à être malades, et il est beaucoup plus facile tout de même d'écarter les mauvais, pour ne placer dans les voies génitales de la mère que les bons, plutôt que de traficoter de manière incertaine les mauvais, sans avoir la certitude absolue qu'ils soient guéris. Donc pour traiter une maladie génétique, cette technique n'a pas beaucoup d'intérêt. En revanche, dans l'idée de faire naître des lignages de femmes ou d'hommes ayant des traits génétiques soi-disant améliorateurs, c'est ainsi qu'il faudrait s'y prendre. C'est la raison pour laquelle, si ces petites filles sont bien nées, et si en effet – ça n'est pas encore vérifié – elles portent la modification génétique qui a été introduite au niveau de l'embryon, ce serait les deux premières petites filles génétiquement modifiées, non pas pour guérir une maladie du tout, mais pour leur conférer un trait améliorateur, en l'occurrence une résistance à … par le VIH.

Blanche Streb : C’est ce qu’évoquent fréquemment les rares promoteurs de l’utilisation de ces techniques sur les embryons humains. C’est pourquoi il me semble d’autant plus fondamental de relever qu’ici, il n’est pas même question de « soigner » des embryons malades, ils ne l’étaient pas, mais de les doter d’une résistance à une maladie qu’ils pourraient potentiellement contracter… Nous serions ici déjà dans le cadre d’une « augmentation » et non pas d’une correction....

Les maladies qui seraient éventuellement concernées sont les maladies génétiques qui ne concernent qu’un seul gène. Notons que pour mettre en œuvre cette technique, il est nécessaire de savoir par avance qu’on va concevoir un embryon malade, pour ensuite tenter de le « soigner ». La fécondation in vitro serait donc requise pour « fabriquer » quelqu’un puis la technique serait convoquée à nouveau pour réparer ce qu’elle-même a conçu… drôle de vision de la médecine, qui par ailleurs pour se perfectionner devrait consommer des embryons sains surnuméraires, issus de FIV, comme matière première de tests dans l’optique de peut-être, un jour, tenter de soigner des embryons malades qui n’existeront que parce qu’on les concevra artificiellement et délibérément… 

Sur la perspective d’éradiquer des "mauvais gènes", dont certains peut-être nous protègent contre d’autres maladies, qui peut prévoir avec certitude l’absence de conséquences néfastes ? La biodiversité humaine est peut-être globalement très bénéfique, sur le long terme ? 

La technologie CRISPR-CAS9 pourrait être utilisée sur les gamètes mâles et femelles, ou sur un embryon de 3 à 5 jours. Pour obtenir des embryons génétiquement modifiés, il faut donc passer par l'Assistance Médicale à la Procréation. La procréation naturelle disparaîtra-t-elle bientôt pour préférer des enfants garantis en bonne santé ?

Blanche Streb : Rien ne peut garantir à 100% des enfants en bonne santé, c’est une utopie, cette quête de perfection est une illusion.

Mais en effet, s’observe une augmentation du recours aux techniques d’AMP dans les pays riches, pas seulement pour des questions malheureusement bien réelles d’infertilité croissante, mais pour des questions de sélection des embryons. Ce qui est d’ailleurs en totale contradiction avec l’autre face de la médaille conduisant à fabriquer la vie à tout prix, en dépit de tout principe de précaution, comme évoquée précédemment. Au fond, cela relève de la même tentation de toute-puissance, de mainmise sur l’embryon.

La représentation que nous avons de la procréation humaine est en train de basculer, avec cette idée qu’il faut à tous prix tenter de tout « maitriser » et que la technique, seule garante d’obtenir un « enfant de qualité », deviendrait un passage obligé. On passe lentement du sexe sans bébé au bébé sans sexe…. 

Nous voyons des pressions croissantes en ce sens, pour analyser toujours plus les embryons in vitro, par l’extension du diagnostic pré-implantatoire à de plus en plus d’indications et à de plus en plus de couples (y compris ceux qui réalisent des FIV sans lien avec une quelconque prédisposition familiale connue, mais juste parce que leurs embryons sont disponibles).

Il y  aussi un début de glissement vers un dépistage pré-conceptionnel plus systématique, ce qui soulève aussi de nombreuses questions. Ces nouvelles « mentalités » qui se développent autour de la procréation humaine ne risquent-t-elles d’être terriblement anxiogènes, pour rien ? 

Cette expérience et cette technologie sont mal accueillies, et pas seulement dans le milieu scientifique. Est-ce le fait d'une réticence face au progrès ou certaines craintes pourraient-elles être justifiées ?

Blanche Streb : Les craintes sont évidemment justifiées. Les mises en garde déjà nombreuses. Nous parlons de la possibilité d’intervenir sur la vie humaine à son commencement, d’agir directement sur l’espèce humaine ! Les enjeux sont sanitaires, bioéthiques, anthropologiques, philosophiques, juridiques. Ils ne concernent pas que les scientifiques, mais bien l’humanité toute entière.

Il est important de réaliser qu’il n’existe aucune certitude sur l’efficacité et encore moins sur la sécurité de ces méthodes. Difficile de savoir si toutes les cellules de l’embryon sont bien « corrigées » avant implantation, toutes ne peuvent être analysées, puisque séquencer leur ADN les détruit. Ensuite, CRISPR-Cas9 induit parfois des mutations ou agit à des endroits non désirés (effet hors-cibles). Par ailleurs, comment s’assurer par avance que cette modification n’aura aucun impact collatéral ? Il est impossible de réaliser des essais cliniques préalables, chaque embryon et donc chaque enfant étant toujours un modèle unique, avec un ADN unique.

Il est aussi vertigineux de se dire que ces modifications génétiques seront bien évidemment transmissibles aux générations suivantes, car si le génome d’un embryon humain st modifié, ses propres gamètes le seront également.

Je ne vois pas de réticence face au progrès, mais un questionnement profond: est-ce un progrès, tout simplement ?

Les garde-fous deviennent urgents.

Axel Kahn : Ca n'a Rien à voir ac pogrès en soin, je veux dire que la technique existe, ça fait très longtemps qu'elle est pratiquée tous les jours, dans des centaines de laboratoires à travers le monde, qu'on l'utilise pour les plantes, qu'on l'utilise en expérimentation, qu'on commence à l'utiliser chez des animaux, donc il n'y a pas ici vraiment de nouveauté scientifique. Il s'agit si vous voulez d'une audace, et d'une audace parce qu'on s'adresse à l'homme. Et si c'est mal accueilli, c'est tout simplement que l'idée de modifier le génôme d'un embryon pour faire naître un homme augmenté, cela soulève énormément de questions. Tout d'abord la première question c'est celle de la sécurité génétique. Honnêtement comme on ne l'a jamais fait, si l'équipe chinoise a bien réalisé ce qu'elle dit qu'elle a réalisé, il s'agit d'une expérience sur l'humain de première intention.

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