Voilà comment les milices Wagner se sont réinventées pour fournir des kits de survie russes à des régimes africains en danger <!-- --> | Atlantico.fr
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Le 23 février 2024, six mois après la mort d'Evgueni Prigojine, chef du groupe Wagner, des personnes visitent un mémorial improvisé dans le centre de Moscou.
Le 23 février 2024, six mois après la mort d'Evgueni Prigojine, chef du groupe Wagner, des personnes visitent un mémorial improvisé dans le centre de Moscou.
©Natalia KOLESNIKOVA / AFP

Conserver son influence

Le groupe Wagner est en pleine métamorphose en Afrique.

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Atlantico : Après la mort de Evgueni Prigojine, le général Andreï Averyanov, chef de l'unité 29155, aurait repris en main les commandes du groupe de mercenaires Wagner. En quoi consistent les missions de la Russie en Afrique via cette organisation ? Le groupe Wagner assure-t-il la sécurité et fournit-il des kits survie auprès de pays africains ou de juntes en échange de l’accès à des ressources naturelles ?

Viatcheslav Avioutskii : Le groupe Wagner est en pleine métamorphose en Afrique. La Russie, après la mort de Prigojine en 2023, est en train de prendre la main sur les activités de Wagner qui existent déjà dans certains pays. La Russie s’immisce au sein de ces activités d'une manière plus solide afin de transformer ces opérations en un outil de politique étrangère russe dans la région. Wagner était très influent en Afrique, notamment en République centrafricaine dont le régime coopérait d'une manière très étroite avec Wagner, qui représentait une force politique et militaire sur laquelle le régime centrafricain s'est basé.

Wagner est également présent au Mali et de manière plus discrète au Niger et au Burkina Faso. La Russie, via Wagner, est en train d’avancer ses pions dans le pré carré français en Afrique et essaye d’atteindre deux objectifs. Le premier objectif pour la Russie est d'élargir sa zone d'influence en Afrique. Cette étape est cruciale, notamment pour les votes aux Nations-Unies en faveur de son agenda, concernant notamment le conflit ukrainien et d’autres dossiers brûlants. Moscou souhaite ainsi s’appuyer sur de chefs d'Etat et des pays africains qui lui sont favorables et qui dépendent de la Russie. Sur le plan idéologique, la Russie soutient les pays dont les régimes politiques s'éloignent de plus en plus du modèle démocratique. Cela constitue une sorte de réplique africaine de l'expérience syrienne, lorsque la Russie a réussi à maintenir en vie le régime de Bachar el-Assad qui était un régime aux antipodes des valeurs occidentales et qui était accusé de crimes de guerre, de persécutions et qui était à l'origine de la guerre civile.

Selon le même principe, la Russie essaie de maintenir les régimes qui lui ressemblent plus ou moins. Tel est l'objectif. La Russie souhaite élargir sa zone d'influénce géopolitique et soutient les régimes autoritaires.

Malgré la mort de Prigojine, l’influence de Wagner en Afrique se poursuit via des opérations menées en Libye, au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Wagner protège-t-il les juntes et les pouvoirs en place en Afrique en échange de contrats pour exploiter certaines ressources des pays en question ?  

Dans la plupart des cas, ces régimes sont très pauvres. Ils n'ont pas d'argent pour payer les services de Wagner. Le modèle déployé serait en réalité basé sur les ressources nationales. Cette méthode a été testée pour la première fois en République centrafricaine. 

Après la mort de Prigojine, le chef de Wagner, on a découvert qu'il y avait des actifs très importants, notamment des concessions dans les mines d'or qui sont situées en République centrafricaine et qui étaient sous son contrôle. Ce même format de coopération a été validé pour le Mali qui a accordé l’exploitation de certains minerais à la Russie qui va puiser des ressources là-bas. La législation malienne a même été changée récemment pour faciliter l'accès à ces gisements.

Concernant la présence française en Afrique, le risque principal avec Wagner va être au Niger. Ce pays est un fournisseur d’uranium très important pour la France, pour notre électricité et nos centrales nucléaires. La Russie n'a pas besoin de se fournir en uranium directement car elle a déjà ses propres ressources. Elle a suffisamment d'uranium pour ses propres centrales et se retrouve même en capacité d’en exporter. La Russie est un grand fournisseur d'uranium au niveau mondial. Mais le Kremlin joue ici une carte dans le cadre de la guerre énergétique, via le rôle et les missions de Wagner en Afrique. Cette arme de la guerre énergétique a déjà été utilisée dans le passé, d'abord contre l'Ukraine, puis contre la Géorgie dans les années 2000 et plus tard ensuite contre l'Union européenne après le début de la de la guerre contre l'Ukraine en 2022. Cette stratégie redoutable est maintenant utilisée afin d’exclure la France de l'accès à ces gisements. Cet accès est pourtant stratégique et peut affaiblir l'autonomie énergétique de la France qui est basée depuis les années 1970 sur le nucléaire qui est produit grâce à l'uranium. Cette stratégie déployée est donc extrêmement inquiétante et le sujet n’est pas suffisamment abordé en France pour ne pas froisser la Russie qui commence à agir de manière de plus en plus agressive. Le fait qu’Emmanuel Macron ait évoqué la possibilité d'envoyer des troupes occidentales en Ukraine était probablement une réaction à ce type d'avancées russes en Afrique et dans le pré carré français concernant les ressources énergétiques.

La France commence à se mobiliser face à cette pénétration russe au cœur de l'Afrique francophone.

Est-ce que ce corps expéditionnaire russe, les survivants de Wagner, ne cherche-t-il pas à exacerber les crises dans la région pour tenter de déclencher des « incendies » et de rendre le monde de plus en plus instable, et notamment concernant la politique en Afrique ?

La présence de Wagner en Afrique est relativement récente. En République centrafricaine, Wagner s’est montré relativement efficace pour maintenir et assurer la sécurité du régime en place. Mais la situation n’est pas stabilisée. Les crises et les tensions au sein du pays ne sont pas résolues. La République centrafricaine est déchirée par une guerre civile et ne peut pas être ressoudée par une force militaire étrangère. La solution doit passer par un dialogue politique.

En Afrique subsaharienne, notamment au Mali, la présence de mercenaires de type européen qui parlaient une langue inconnue a été constatée. Il s'agissait vraisemblablement de mercenaires russes.

Ils font régner la terreur et utilisent une très grande violence qui vise les civils et les djihadistes. La violence est généralisée. Cette absence de distinction entre les civils et les combattants djihadistes peut conduire à une nouvelle mobilisation dans cette région qui est très pauvre, où les possibilités de développement sont relativement limitées et dont les populations souffrent déjà. Les rébellions djihadistes ont été menées sous un slogan anticolonial, contre la présence européenne et française en Afrique. Une autre force va donc se substituer à la force française sur place à travers la présence et l’influence de Wagner dans la région. Le groupe paramilitaire va se comporter de manière brutale. Au lieu de mettre un terme à ce conflit, cela va entraîner une nouvelle spirale de violence. L’intervention maladroite de Wagner dans la région risque d’enflammer cette partie de l'Afrique et de créer une nouvelle zone de tension. Cela va aussi servir à distraire l'attention de l'Occident, de l'Europe en particulier, en se focalisant vers cette région en Afrique au lieu de s'intéresser et de se préoccuper de la situation en Ukraine.

Est-ce que ce corps expéditionnaire, les « survivants » de Wagner, est-il capable de défendre les régimes africains concernés ? Est-ce que ces kits de survie russes pour les juntes de la région sont-ils suffisamment efficaces comme au temps de l'URSS ? Est-ce que cette proposition faite aux pays africains peut-elle tenir dans les faits ?

En République centrafricaine, Wagner et les unités de mercenaires russes qui ont pris la relève se sont quand même maintenus pendant une période relativement longue. Cette stratégie est tout à fait réaliste et porte ses fruits. Wagner dispose de plusieurs milliers de mercenaires bien entraînés et qui ont une bonne expérience de combat. Les membres de Wagner qui ont survécu à la bataille de Bakou ont renforcé leur expérience militaire. Ils n’ont pas de problème en termes d'équipements. Comme ils sont connectés directement au régime russe, la Russie est assez généreuse pour leur fournir des armes nécessaires. Selon les informations qui filtrent dans les médias, ce corps expéditionnaire, les survivants de Wagner, représente une force redoutable et efficace. Ces mercenaires sont donc en mesure d’assurer et de garantir la sécurité pour des régimes ou des juntes en Afrique à court terme.

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