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Visibilité de l'islam et prosélytisme en ligne : comment l'islam est-il marketé sur Internet ?
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Les sites de conversions en ligne présentent généralement l'islam comme une religion universelle sans frontière et sans race, mais le processus de conversion relève de mécanismes plus complexes.

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Atlantico : Parmi les jeunes islamistes radicaux pris dans le coup de filet de la police au début du mois d'octobre, certains avaient posté des vidéos ou des photos sur Internet relatant leur conversion. Les nouvelles technologies, et en particulier Internet, sont-elles devenues le premier biais par lequel les jeunes se convertissent à l'islam ?

François-Bernard Huyghe : Que des gens d'une génération habituée aux réseaux sociaux et à l'exhibition de soi sur le Web expriment leur fierté de néophytes en témoignant en ligne de leur conversion n'a rien d'étonnant. Même s'ils mélangent cela avec les codes du rap, par exemple, c'est pour rendre ce changement dans leur vie à la fois notoire et contagieux. Mais cela veut dire que l'usage du Net est un symptôme, pas forcément une cause.

Existe-t-il des sites exclusivement consacrés à la conversion à l'islam ? En comparaison, sont-ils plus nombreux que les sites consacrés à la conversion chrétienne ou juive ? Pourquoi ?

Il y a bien sûr des sites d'exégèse ou de commentaire religieux comme shiasource.com/al-Mizam ou masjidalislam.net

La conversion est le plus grand bouleversement qui puisse se produire dans une existence : l'adoption d'un code suprême qui régira désormais vos notions sur le but de la vie, le bien et du mal, votre alimentation, votre sexualité et votre socialité .. Cela ne se produit pas simplement parce que vous êtes exposé à certains mots ou à certaines images, en surfant par hasard. 

Mais la conversion relève de la contagion (rappelez vous que "propagande" est initialement un concept religieux qui désigne les méthodes pour répandre la foi) ; c'est donc un phénomène collectif qui suppose de s'intégrer dans une nouvelle communauté. Plutôt que de sites de conversion (au sens de : qui persuadent de la vérité doctrinale d'une foi), je parlerais plutôt de site d'intégration. Ceux qui sentent attirés par la nouvelle croyance rencontrent d'autres frères et se renforcent dans leur conviction. 

Il y en a davantage consacrés à l'islam dans la mesure où le besoin de se sentir rattaché à l'Ouma, la communauté des croyants, est plus fort chez des gens expatriés ou marginalisés, et vivant dans un milieu où l'islam ne prédomine pas : ils se tournent assez naturellement vers le Net pour maintenir le lien. Ils vont vers les réseaux sociaux, des forums comme ansar1.info ou http://dinhaqq.info, des plate-formes de type bab-ul-islam.net ou blogs de partisans (Par exemple : defendersoftheland.blogspot.com) pour se motiver et se rassurer en une incessante conversation avec les frères.

"L’Islam transcende toutes les barrières, les frontières, les nationalités, les couleurs de peau, les conditions de vie : en Islam, le riche prie à côté du pauvre, et peu importe leur richesse, ils jeûnent tous les deux", est le genre de phrases que l'on peut trouver sur ces sites. Est-ce représentatif de tous les sites spécialisés ? D'une manière générale, comment l'islam est-il markété sur la toile ?

Je pense qu’on aurait pu trouver le même type de phrases sur un site catholique. Il est évident que sur un site de conversion, on ne va pas écrire que l’islam est "une religion d’intolérance" et qu’"on veut convertir le monde entier par la force". L’une des surates du Coran qui est citée le plus souvent est "en matière de conversion, pas de contrainte…". L’islam est marqueté comme une religion universelle sans frontière et sans race. Ce discours ne m’étonne pas. C’est le discours type des sites de conversion.

L’argument qu’on trouve le plus souvent sur la toile est "nous sommes la troisième religion du Livre, la plus parachevée". Il y a aussi l’idée que plus d’un milliard de gens ne peuvent pas croire une chose pareille s’il n’y a pas un peu de vrai.  Ce qui fait l’attractivité de l’islam, plus que son corpus idéologique, c’est son aspect communautaire. C’est ce qu’explique Jérémy Bailly, jeune converti de la cellule terroriste de Cannes qui se voyait comme "un missionnaire". Le néophyte entre en religion, il entre dans une communauté avec de nouvelles valeurs, une nouvelle sexualité, de nouvelles coutumes alimentaires. Jérémy Bailly avait été marqué par le décès d’un proche. Il a sans doute trouvé une nouvelle famille dans cette religion. La plupart des convertis affirment éprouver un sentiment de "soulagement immédiat" lors de leur entrée en religion. Ils entrent dans un système d’interdits et de promesses qui les rassure. Il y a cette extraordinaire séduction de la simplicité et du fait que désormais la voie à emprunter est toute tracée.

Quelles sont les cibles privilégiées des sites de conversion ?

A priori des gens qui éprouvent un sentiment de frustration et de ressentiment. Et, pour la radicalisation, elle fonctionne largement sur le principe de ce que le philosophe Sloterdijk nomme les "banques de la colère", c'est-à-dire l'accumulation des griefs. Ces sites renforcent les participants dans leur paranoïa. Ils commencent à se persuader que les musulmans sont partout persécutés : ils ne cessent de leur rappeler les griefs et injustices que subit la communauté. Pour appeler au principe de vengeance et de compensation du sang versé. 

Une fois l'internaute converti, quel est le risque de radicalisation en surfant sur ce type de sites ? Une passerelle existe-t-elle entre les sites de conversion et les sites qui poussent à la radicalisation ?

Je dirais plutôt qu'il existe une structure hiérarchique de sites, forums et réseaux avec des passerelles et chicanes pour passer des plus ouverts à ceux pour initiés (avec identification, mot de passe). L'époque est révolue des sites "historiques" comme alneda.com ou azzam.com, aujourd'hui inaccessibles. Il y a désormais des forums primaires comme ansar-ahaqq.net ou de simples groupes Yahoo qui permettent de pénétrer dans un premier "tuyau". Puis ce sont des procédés de sélection que l'on nous excusera de ne pas détailler et qui permettent à l'impétrant de parvenir aux étages supérieurs ou de se rapprocher des éléments actifs. Vous n'entrez pas en contact avec des talibans en cinq minutes en tapant trois mots clefs sur Google...

Internet est-il l'un des premiers réseaux de recrutement pour les jihadistes ? De quelle manière les jeunes sont contactés ?

En fait ce sont souvent les jeunes qui vont sur la Toile rechercher à la fois cette fraternité et cette exaltation. S'il existe (et pas seulement chez les jihadistes) un phénomène de "loups solitaires", la règle générale dans l'histoire du terrorisme est que l'on passe à l'action avec des gens que l'on a connu tôt dans la même université, la même usine, le même quartier... La relation directe avec la fratrie des jeunes mâles impatients de se trouver des ennemis à combattre peut elle être remplacée uniquement par le lien des écrans interposés ? On peut en douter...

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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