Violences sur les enseignants : qu’avons-nous fait de l’école ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Une institutrice de 34 ans a été poignardée vendredi à Albi par la mère d'un élève.
Une institutrice de 34 ans a été poignardée vendredi à Albi par la mère d'un élève.
©Reuters

Bonnet d'âne

Du statut initialement sacré de l'instituteur, la profession d'enseignant est aujourd'hui la plus exposée aux incivilités, selon une étude publiée par l'Insee cette semaine.

Patrick Cabanel

Patrick Cabanel

Patrick Cabanel est normalien, agrégé d’histoire, il est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Toulouse-Le Mirail. Il a publié une vingtaine de livres, dont La République du certificat d’études. Histoire et anthropologie d’un examen (XIXe-XXe siècles).

Voir la bio »
Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

Voir la bio »

Atlantico : Vendredi 4 juillet une institutrice de 34 ans a été poignardée par la mère d'un élève dans la ville d'Alby. S'il s'agissait de l'œuvre d'une personne souffrant de troubles psychiatriques, il n'en demeure pas moins que les instituteurs exerceraient le métier le plus exposé aux incivilités, selon une étude de l'Insee publiée cette semaine. Comment est-on passé de la figure de l'instituteur sacré à la situation actuelle ? Quelles sont les principales étapes de cette désacralisation ?

Patrick Cabanel : Deux phénomènes concomitants ont contribué à la désacralisation de l'instituteur, terme qui n'est d'ailleurs plus utilisé en France. Tout d'abord, l'affaiblissement de figures d'autorité et de transmission dans la société lié à une révolution culturelle que la France a connue dans les années 1960. Toutes les figures paternelles ont volé en éclat. La figure du père est ici à comprendre au sens de "celui qui transmet". L'instituteur est celui qui est debout, qui élève, qui institue un adulte, une nation.

De manière concomitante, l'accès au savoir et à la culture s'est démocratisé. Nous sommes donc passés d'un monde des autorités où l'information était relativement rare. Seuls peu de livres étaient disponibles à la majorité des Français, je ne parle bien sûr pas des classes bourgeoises. D’où l'importance des manuel scolaires, d’où l'importance de celui qui était le détenteur par excellence du savoir : l'instituteur. Dans des milliers de communes et de hameaux, il était le seul à détenir le savoir et son seul rival était le prêtre.

Aujourd'hui, les enseignants sont soumis à une concurrence effrénée de toute forme de savoir, ce qui modifie la relation que l'enfant entretient avec lui. Il n'est plus celui qui ne sait pas face à celui qui a été formé par la nation. Ce n'est pas mai 1968 qui est en cause mais c'est un phénomène que l'on constate dès la fin des années 1950. 

Pierre Duriot : Il y a eu une dégradation lente à une époque puis de plus en plus rapide depuis le milieu des années soixante-dix selon trois axes, à mon sens, identifiés lors de la rédaction de mon dernier ouvrage. Un axe éducatif avec un réel changement des principes éducatifs à l’œuvre dans les familles, sous l'impulsion du travail des femmes, de la libération des mœurs, de l'arrivée de nouveaux concepts et considérations éducatives en remplacement de ce qu'on percevait comme l'éducation traditionnelle, par le refoulement. L'enfant a petit à petit été sacralisé et on se doit de l'écouter dans ses désirs, ses pulsions. Parallèlement, des enfants de la crise, laissés plus ou moins sur le bord de la route, ne reçoivent pas les codes communs de communication et de comportement. Tout ce processus éducatif est plus ou moins gradué et l'éducation dite traditionnelle existe encore, mais elle est devenue minoritaire.

Le second axe est celui de l'institution elle-même qui a suivi ce mouvement avec une injonction aux professeurs de cesser les cours magistraux, les enseignements frontaux pour être à l'écoute d'un élève placé au centre du système. Des réformes et expérimentations pas toujours heureuses se sont succédé. Les professeurs également, ont donné le bâton pour se faire battre en abolissant le vouvoiement, en délaissant des tenues rigoureuses, en adoptant des attitudes de trop grande proximité, aujourd'hui, en étant amis facebook avec leurs élèves par exemple. Dans l'affaire nous avons perdu la barrière des générations et l'autorité qui va avec, autorité perçue comme moribonde à une époque et que l'on tente de restaurer devant les dégâts constatés, mais sans se donner de réels moyens. Nous avons également perdu l'alliance éducative entre parents et enseignants, dans laquelle les figures symboliques du père (l'école) et de la mère (la famille) s'imposaient à l'enfant de manière cohérente et coordonnée. Aujourd'hui les parents viennent mettre en cause les professeurs sur les dires de l'enfant sacralisé qui sert d'intermédiaire entre les deux mondes sensés être gouvernés par les adultes. C'est donc lui qui a le réel pouvoir et manipule à la fois parents et institution tout en se voyant édicter des obligations de réussite parfois très pesantes.

Et puis le troisième axe est médiatique, plus insidieux, cette société de consommation dont l'intérêt est de programmer l'enfant pour qu'il fasse acheter tout et n'importe quoi à ses parents. Cette publicité, cette ambiance médiatique, ce gosse de pub est tout puissant, sait mieux que ses parents ce qu'il est bon d'acheter dans un monde télévisuel très éloigné de la réalité mais dont la figure s'impose. La fonction paternelle, symbolique de la loi, est toujours ridiculisée afin de rendre ringarde toute velléité d'interdiction d'achat. Il suffit de regarder une série de spots de publicité pour se rendre compte que le père y est toujours l'idiot de service. Ces trois axes se coordonnent et aboutissent à une levée des cadres, des repères, des interdits, des limites... où l'enfant manipule la loi à sa guise avant d'accéder au monde des adultes, policier et coercitif, où il ne la manipule plus, ce pour quoi il n'a jamais été préparé.

Le professeur a été désacralisé, mais également le policier, le médecin, le juge, le pompier... tout ce qui peut ressembler à une personne porteuse de cadres et de contraintes.

Comment faire la part des choses entre la responsabilité qui relèverait de la façon dont nous envisageons désormais l'éducation, et celle qui revient à l'institution ?

Patrick Cabanel : Il est très difficile de désigner des responsables. L'évolution de la société est irréversible. Nous avons changé de modèle de société, nous sommes passés d'une société où il y avait des lieux de transmission obligatoires : le service militaire, l'école ou encore la messe. Nous sommes tous les bénéficiaires de cette nouvelle société mais la transmission n'y est plus verticale: de ceux qui savent vers ceux qui ne savent pas. La société se veut aujourd'hui égalitaire, libertaire. Les instituteurs et tant d'autres ont perdu de leur respect. La société est aujourd'hui en quête de consommation et l'espérance porte sur l'épanouissement dans le bonheur. Et cela n'est pas très bon pour l'école. Inutile d'incriminer un ministre, car aucune réforme n'y changera rien en raison de l'ampleur de la révolution culturelle qu'a connue la France.

Pierre Duriot : La question ne se pose pas exactement en ces termes puisque l'école devient le réceptacle de tous les manques et de toutes les incompétences constatées chez l'enfant : à l'école on doit ou l'on devrait, apprendre à lire, écrire, compter, mais aussi parler, nager, faire du vélo, attacher ses lacets, être poli, se laver les dents, connaître le code de la route, l'hygiène, l'alimentation, le secourisme... et le pouvoir, les pouvoirs, qui se sont succédé, ont toujours trouvé payant électoralement de reporter les responsabilités parentales sur l'institution, ce qui flatte certains parents mais en agace d'autres. Nous sommes donc aujourd'hui perdus en conjectures sur la part qui revient aux parents et celle qui revient à l'école.

Le ministre de l'Education Benoît Hamon a estimé que les résultats du baccalauréat 2014 pourraient être en deçà des espérances. En quoi cette désacralisation a-t-elle une influence sur la qualité de la formation des élèves ?

Pierre Duriot : Pas simplement la désacralisation. Le manque de formation des professeurs, la posture et les attitudes des élèves face aux apprentissages, le refus des cadres, de l'effort, se traduisent par des cours raccourcis du temps passé à obtenir des conditions de travail acceptables, une réduction du temps consacré aux apprentissages fondamentaux face à un ensemble de tâches ne relevant pas vraiment de l'école, les copiés/collés depuis internet en lieu et place d'un vrai travail de conception et d'analyse sur un sujet, l'irruption des nouvelles technologies de manière anarchique, dans les classes, chez les élèves, mais aussi chez certains profs et bien d'autres considérations encore, ont fini par donner à l'enseignement une impression d'un surfaçage permanent de faible densité, lequel ressort clairement lors des enquêtes PISA sur le niveau des élèves à plusieurs âges de la scolarité.

La formation des enseignants a beaucoup évolué au fil des réformes. Sont-ils aujourd'hui suffisamment bien armés pour accomplir au mieux leur mission ?

Patrick Cabanel : Depuis de longues années, les gouvernements passent leur temps à réformer la formation des enseignants. Quand on réforme sans cesse, c'est qu'il y a un malaise. Le problème de l'enseignement de réside pas dans la formation initiale des enseignants. Par ailleurs, je ne vois pas quelle formation donnée face à des élèves qui ne sont pas intéressés, qui vivent des formes de violences (car des parents en situation de chômage représente une violence), la dissolution de leur famille, sans parler des jeunes qui sont eux-mêmes porteurs de violence. D'autant plus que les enseignants de collèges que l'on envoie systématiquement loin de chez eux dans les établissements les plus difficiles sont les plus jeunes en raison du système de points. C'est un échec de la société dans son ensemble et non pas d'une institution. Et je suis consterné de voir que la violence est en train de frapper les établissements primaires.

Pierre Duriot : Clairement non, tous les spécialistes de la question sont d'accord sur ce point. Mais également, la meilleure des capacités professionnelles n'est plus forcément un rempart contre les incivilités de toutes sortes ni un gage de savoir mettre tout le monde au travail. Il n'est pas concevable de travailler à la réussite scolaire uniquement dans le cadre de l'école, l'enfant et l'élève sont la même personne et une partie importante de la réussite ou de l'échec scolaire se joue à l'extérieur du cadre scolaire. On peut reprocher à l'école de permettre moins bien que par le passé une compensation des inégalités sociales par l'acquisition de savoirs et de culture.

Faut-il considérer que les parents ont failli à leur mission d'éduquer leurs enfants ce qui empêchent à l'école de les instruire ?  

Patrick Cabanel : Franchement, oui. Si le milieu familial n'est pas propice, si les parents ne parient pas sur l'éducation, cela ne peut pas fonctionner. Pour réussir, il faut s'imposer et transmettre le sens de l'effort et la discipline. Le discours qu'il faut tenir, c'est qu'il faut travailler sans cesse. Et la bataille est perdue et les responsabilités de la défaite est à chercher auprès des parents...  

Pierre Duriot : Tout le monde a failli, comme expliqué la première réponse, les résultats scolaires globaux, comme les évolutions des comportements sont sans appel, les parents comme l'institution se sont fourvoyés. Mais un ministre ne peut pas culpabiliser les parents électeurs en s'aventurant sur ce terrain. Il explique donc que c'est l'école qui doit se réformer encore et encore et les réformes passent, les unes derrière les autres et rien ne s'améliore pour autant. En fait, l'école seule ne peut rien.

Comment aujourd'hui redonner à l'école le statut dont elle a besoin pour remplir la mission qui est la sienne ?  

Patrick Cabanel : Je ne vois pas de solution. Ceux qui savent, ceux qui peuvent, c'est-à-dire les bourgeois, autant ceux de gauche que de droite, choisissent les écoles dans lesquelles ils envoient leurs enfants. Et la réussite est reconduite. Malheureusement tout comme l'échec. La grandeur et la réussite de la IIIe République était de vouloir une réussite minimale pour tout le monde et ce modèle est terminé. Aujourd'hui la réussite reproduira la réussite. Et l'échec amènera l'échec.

Pierre Duriot : Vaste débat, quelle mission ? Préparer les enfants pour le monde ultralibéral de travail et de consommation que nous connaissons ? Donner à de jeunes gens la capacité de changer le monde ? Le sens de l'histoire semble nous porter vers une forme d'enseignement mercantile, glanée ici où là, de manière plus individuelle, devant des ordinateurs, avec des intervenants rémunérés au cours et en fonction de leur notoriété ? Il faut faire son deuil de l'école des trente glorieuses, elle est bien morte.

Propos recueillis par Carole Dieterich.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !