Violence et santé mentale des adolescents : une large étude américaine révèle que le Covid ne semble pas avoir eu d’impact majeur sur sa dégradation<!-- --> | Atlantico.fr
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"Lorsque les fermetures d'écoles et la distanciation sociale ont été mises en place en 2020, les adolescents avaient déjà perdu la plupart de leur vie sociale au profit de leur téléphone", selon Jonathan Haidt.
"Lorsque les fermetures d'écoles et la distanciation sociale ont été mises en place en 2020, les adolescents avaient déjà perdu la plupart de leur vie sociale au profit de leur téléphone", selon Jonathan Haidt.
©Thomas Samson / AFP

Les causes sont ailleurs

C’est ce qu’indiquent les données de l’enquête du principal institut national de santé publique des Etats-Unis, qui souligne que les causes sont ailleurs.

Jonathan Haidt

Jonathan Haidt

Jonathan Haidt est un psychologue social et un professeur d'éthique américain.

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Pierre-Marie Sève

Pierre-Marie Sève

Pierre-Marie Sève est délégué général de l'Institut pour la Justice. 

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Atlantico : En France, une enseignante de 53 ans a été mortellement poignardée lors d’un cours par un de ses élèves de 16 ans à Saint-Jean-de-Luz. Nous semblons, depuis quelques années, assister à une recrudescence des actes de violence perpétrés par de jeunes adolescents. Les chiffres le confirment-ils ?

Pierre-Marie Sève : L’impression générale que donnent ces faits divers est en effet clairement confirmée par les statistiques disponibles : le nombre de mineurs mis en cause par la police est passé de 132 000 en 2000 à 217 800 mineurs en 2017. Et la gravité de ces mises en cause a même augmenté encore plus vite : les tentatives d’homicide ont augmenté de 144% depuis 1996, les agressions de 124% et les agressions sexuelles de 315% !

Oui, la violence des adolescents est en croissance quasi-exponentielle et c’est un vrai problème -un de plus – à traiter pour les pouvoirs publics.

Alors que l’adolescent aurait des problèmes psychiatriques, peut-on également penser qu’il y a un défaut d'accompagnement de ces jeunes d’un point de vue psychiatrique ? À quel point y-a-t-il un enjeu de santé mentale ?

Pierre-Marie Sève : Qu’elle concerne le mineurs ou les majeurs, la prise en charge des problèmes mentaux est en profonde régression en France. Le nombre de lits en hôpital psychiatrique est par exemple passé, en 15 ans de 96 lits pour 100 000 habitants en 2003 à 83 lits pour 100 000 habitants en 2017. Et ce chiffre continue de baisser.

Les problèmes de santé mentale ont peu de raisons d’être plus graves qu’il y a 20-30 ans, même si l’on sait que les mouvements migratoires font évoluer la répartition des maladies mentales au sein d’une population, puisque chaque population a sa propre prévalence de maladies mentales.

Ce qui est certain en revanche, c’est que la prise en charge générale des maladies mentales évolue à la baisse, et c’est très inquiétant.

Vous pouvez retrouver l'article de Jonathan Haidt ici

Jonathan Haidt : Evoquons la publication par les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) de certains des résultats de sa Youth Risk Behavior Study (YRBS), l'une des études représentatives nationales de longue haleine sur laquelle Jean Twenge et moi-même nous appuyons dans nos recherches sur la génération Z. Le CDC a publié ce résumé de 89 pages des tendances de 2011 à la collecte de données de 2021, qui a eu lieu à l'automne 2021 et qui vient d'être publiée. L'enquête est administrée tous les deux ans, donc les changements observés entre 2019 et 2021 sont peut-être les preuves les plus claires que nous ayons sur la façon dont le covid a affecté les adolescents américains. Je vais laisser de côté les questions sur la consommation de drogues et d'alcool (en baisse pour la plupart, certaines de beaucoup, voir p.28) et sur la violence (inchangée pour la plupart, voir p.431). Je vais me concentrer uniquement sur les 6 items sur les maladies mentales qui ont été publiés dans ce rapport, dont cinq ont augmenté depuis 2019, comme vous pouvez le voir dans la figure 1 :  

Figure issue de l'enquête de surveillance des comportements à risque des jeunes des CDC, 2011-2021. Le pourcentage d'étudiants présentant des symptômes de maladie mentale. Les tendances n'ont cessé de s'aggraver au fil du temps.

Je suis heureux de constater que le rapport a été largement couvert par les médias américains, mais je tiens à signaler un défaut que je vois dans une grande partie du rapport : De nombreux articles attribuent une grande partie des problèmes rencontrés par les adolescents au covid et à ses restrictions. C'est logique. Nous devrions certainement nous attendre à ce que les fermetures d'écoles et les messages de peur constants (y compris la détestable phrase d'adieu "sois en sécurité") aient un impact sur la santé mentale des adolescents. 

Mais regardez attentivement la figure 1 et vous verrez qu'il n'y a pas beaucoup de preuves d'un effet covid. Ce que je vois dans la figure 1 n'est qu'une continuation de l'épidémie de santé mentale des adolescents qui a commencé vers 2012, comme je l'ai documenté dans mon post précédent. 

Voici le graphique du CDC sur les réponses au premier point, concernant la tristesse persistante :

Le pourcentage d'élèves de sexe féminin et masculin qui ont éprouvé des sentiments persistants de tristesse ou de désespoir a augmenté entre 2011 et 2021.

Si nous commençons par les filles, nous constatons une augmentation régulière depuis 2011, avec une accélération dans l'administration 2019, puis, si vous louchez, vous pouvez voir une légère accélération au-delà dans l'administration 2021. Nous pouvons appeler cette accélération supplémentaire l'effet covide. Pour les garçons, nous ne voyons pas du tout d'effet covid. Le grand saut a eu lieu entre 2017 et 2019, et l'augmentation ralentit entre 2019 et 2021.  

Nous observons le même schéma dans le graphique du CDC concernant les réponses à la question sur la considération sérieuse du suicide : aucun signe d'un effet covide pour les garçons, et un petit pour les filles :

Pourquoi le covid n'a-t-il pas provoqué une augmentation plus importante des maladies mentales chez les adolescents ? 

Jonathan Haidt : Lorsque les fermetures d'écoles et la distanciation sociale ont été mises en place en 2020, les adolescents avaient déjà perdu la plupart de leur vie sociale au profit de leur téléphone. Vous pouvez voir la perte spectaculaire de temps avec les amis dans ce graphique des données d'utilisation du temps par groupe d'âge :

Le temps moyen quotidien passé avec des amis a considérablement diminué pour les 15-24 ans. De 155 minutes par jour en 2003 à environ 40 minutes par jour en 2021.

Ici, vous pouvez voir un effet covid clair de 2019 à 2020, pour tous les groupes d'âge de 25 ans et plus. Vous pouvez voir comment les lignes se courbent vers le bas entre 2019 et 2020. Mais regardez attentivement la ligne du groupe le plus jeune, celui des 15-24 ans, en bleu. Ce groupe d'âge avait l'habitude de passer 2 heures par jour à traîner avec ses amis, car ce sont des adolescents et de jeunes adultes. La plupart sont étudiants, peu sont mariés. Ces deux heures par jour étaient donc la norme jusqu'au moment où les adolescents ont troqué leurs téléphones à clapet pour des smartphones, au début des années 2010. Ils ont alors déplacé leur vie sociale sur quelques grandes plateformes de médias sociaux, notamment Instagram, Snapchat et, plus tard, Tiktok. Ils passaient beaucoup plus de temps en ligne, même lorsqu'ils étaient dans la même pièce que leurs amis, ce qui signifie qu'ils avaient beaucoup moins de temps les uns pour les autres (en interaction face à face ou en jeu physique). 

Je pense que c'est la raison pour laquelle l'effet des restrictions coviduelles sur la santé mentale des adolescents n'était pas très important : Les vies sociales en personne de la génération Z ont été décimées par la technologie dans les années 2010. Ils étaient déjà socialement distancés quand Covid est arrivé.

Pourquoi les restrictions de la Covid nuisent-elles plus aux filles qu'aux garçons ? 

Jonathan Haidt : Parce que les restrictions de Covid ont envoyé les filles toujours plus loin dans les bras des médias sociaux, qui sont la plus grande cause de l'épidémie de santé mentale chez les adolescents qui a commencé vers 2012. Le temps passé sur les écrans a augmenté pour les deux sexes pendant la pandémie du Covid. Mais les garçons n'utilisent pas autant les médias sociaux ; ils passent beaucoup plus de temps que les filles à jouer à des jeux vidéo et à regarder des vidéos sur Youtube. Les garçons ne s'en sortent pas bien non plus, comme l'a montré Richard Reeves, et comme je l'expliquerai dans un prochain billet, mais leurs problèmes sont différents de ceux des filles. Les garçons ne parviennent pas à devenir des hommes socialement compétents et ambitieux, bien qu'ils souffrent également d'une augmentation de l'anxiété, de la dépression et du suicide, comme je l'ai montré dans mon précédent article, et comme vous pouvez le constater dans l'Adolescent Mood Disorders Collaborative Review. Ainsi, dans l'ensemble de données YRBS, qui ne comporte que des éléments liés à la dépression et aux idées suicidaires, nous constatons des augmentations plus importantes chez les filles. 

Dans mon prochain article, je montrerai les preuves que les médias sociaux sont une cause majeure, et pas seulement un corrélat, de l'épidémie de maladies mentales chez les adolescents qui a commencé vers 2012. Il existe désormais de nombreux types d'études, dont deux catégories d'expériences, qui démontrent la causalité. (Il existe de véritables expériences utilisant l'affectation aléatoire, et des expériences naturelles qui exploitent le déploiement échelonné de Facebook ou de l'internet à haut débit). 

Je pense qu'il est vital que les gens - en particulier les journalistes - cessent de dire que les preuves sont "simplement corrélationnelles", ou que les corrélations sont trop faibles pour avoir de l'importance. C'était des choses raisonnables à écrire en 2019, mais pas en 2023. Nous disposons maintenant de dizaines d'expériences, ainsi que de schémas très cohérents et incriminants dans les centaines d'études corrélationnelles. 

Si le drame qui s'est produit à Saint-Jean-de-Luz pouvait servir à quelque chose, quelles mesures immédiates faudrait-il prendre pour enrayer la spirale infernale ?

Pierre-Marie Sève : Malheureusement, il s’agit d’une course au temps long : cela fait des décennies que le problème empire et il faudra plusieurs années pour sauver la situation.

Cependant, il me semble qu’une stratégie globale doit être mise en place pour responsabiliser les adolescents, leurs parents et surtout rétablir l’autorité et certaines mesures immédiates pourraient avoir leur effet.

Pour rétablir l’autorité, il faut davantage punir qu’aujourd’hui. Notre Justice a une tendance à ne jamais vouloir punir, la conséquence au long terme est très mauvaise. Pour mieux punir, il est envisageable par exemple de réduire l’âge de la majorité pénale à 16 ans. C’est d’ailleurs déjà le cas au Danemark ou dans le Benelux.

Pour punir, il faut également enfermer : pour cela, la construction de plus de centres éducatifs fermés est indispensable. Malheureusement, Emmanuel Macron avait promis de faire passer leur nombre de 50 à 100 en 2022, mais il n’y en a aujourd’hui que 70. Il va falloir clairement accélérer.

Entre autres mesures, il serait également possible de créer un délit spécifique pour responsabiliser les parents. Lorsque leur enfant a commis un crime ou un délit et que le juge estime que ces parents ont été trop négligents, ils pourraient être condamnés.

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