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Vincent Monadé - CNL : "Malgré le retard de la France, l'avenir du livre c'est le numérique"
©Hannah Assouline / CNL

L'interview Atlantico Business

Le Salon du Livre débute cette fin de semaine et réunira professionnels et amoureux de la lecture. Pour Vincent Monadé, président du Centre National du Livre, l'année 2013 a été mauvaise pour le secteur et la France doit rattraper son retard sur le numérique, qui offre pourtant de belles perspectives pour ce marché.

Atlantico Business : Le Salon du livre débute ce vendredi. Dans quel contexte s’ouvre cette rencontre des professionnels du livre ?

Vincent Monadé : Pour la fin de l'année 2013, il faut le dire, elle a été mauvaise ! Sauf le mois de décembre, qui a été excellent. En général, elle a été plutôt bonne pour les librairies de premier niveau, c’est-à-dire les grandes librairies françaises. Pour elles, ça ne retombe pas. En 2014, il y a eu un excellent mois de janvier également. Le livre est un produit qui résiste plutôt mieux que les autres, avec un marché qui pèse encore plus de 4 milliards, et qui ne s’est pas effondré comme d’autres pans de l’industrie… On est très loin des phénomènes comme l’automobile. Un marché du livre qui réussit depuis quelques années avec quand même deux moments difficiles : la chute de Virgin en 2012 et la chute des librairies Chapitre en 2013. Pour ces dernières, nous avons réussit à mettre en place très vite un plan de sauvegarde pour le rachat de plus de la moitié des librairies du groupe en librairies indépendantes. On a compensé, je le crois, le risque de chute brutale du chiffre d’affaires.

La situation des libraires reste tout de même très sensible, non ?

Encore une fois, je vais nuancer ce constat. Le plan d’aide à la librairie d’Aurélie Filippetti est une vraie réponse pour les libraires qui se divise en deux : l’aide à la reprise et à la création de librairies, et 5 millions pour l’aide à la trésorerie. Il y a un véritable problème sur la trésorerie, qui est de notre faute et dont on va s’occuper après le Salon. Manifestement, nous n’avons pas bien fait connaître le plan d’aide, et nous peinons à trouver les moyens de suffisamment communiquer sur ce nouveau dispositif.  En revanche, nous avons très bien réussi à gérer les reprises et créations de librairies. La librairie de premier niveau, des grands centres-villes pour faire simple, résiste plutôt très bien, et même progresse ! La vente en librairie est un secteur d’avenir. En petites villes de province, c’est plus difficile, notamment parce qu’il y a une concurrence forte face aux espaces culturels, par exemple ceux de E.Leclerc, ou alors de Cultura, ou d’Amazon. Mais Dialogues à Brest, Le Divan à Paris, Ombres Blanches à Toulouse, l'Armitière à Rouen, donc au centre des grandes villes, pour toutes ces librairies, ça va bien ! Cela n’a jamais été un métier où l’on devient richissime, mais il y a un vrai travail, des signatures, des rencontres…

Le livre résiste à la crise, alors qu’il subit lui-même une crise du papier en général et de l’édition en particulier. Finalement quels sont les relais de croissance ?

Le numérique, évidemment ! Il peine à se développer en France. Longtemps, on a cru, moi le premier, que l’offre n’était pas présente. Mais en fait, non ! c’est l’équipement qui pose problème. Les grands éditeurs font du natif en numérique alors qu’il y a encore deux ans ce n’était pas le cas, c’est-à-dire que tous les livres papiers vendus le sont aussi en version numérique. On lit des livres dématérialisés parce qu’on lit également en papier. Les consommateurs gardent les deux usages. C’est vrai qu’avec une liseuse j’ai 350 gramme dans la poche et pas toute ma bibliothèque.  Peut être les générations qui viennent, en travaillant uniquement sur les écrans, prendront le chemin du tout numérique. Mais pour celles d’aujourd’hui et d’avant, on développe ces deux usages. C’est entré dans les mœurs, l’offre est là, et pourtant, le marché ne décolle pas réellement. J’y vois deux raisons : d’une part, un très fort attachement dans ce pays au livre papier ; et d’autre part, un taux d’équipement qui progresse énormément en tablettes, mais pas en liseuses. Or, on sait que sur tablette, la lecture est concurrencée par d’autres loisirs : le jeu vidéo, le film, ou les séries, sont plus faits pour la tablette, parce qu’un l’écran est rétro-éclairé, ce qui est particulièrement pénible pour simplement lire un livre. Il y a plus d’un jeune de moins de 19 ans sur 5 qui dispose d’une tablette pour son usage personnel, selon Ipsos. Et 37 % des Français ont une tablette à la maison. Sur liseuse, on ne peut que lire, mais le taux d’équipements sur ce produit ne progresse pas. Est-ce que le réseau de librairies indépendantes est capable de fournir une offre de liseuses, contrôlées par les libraires évidemment afin d’acheter les livres numériques facilement dans ces enseignes et qui permettrait de développer ainsi l’équipement, plutôt que Kindle qui autorise uniquement de commander sur Amazon? C’est une question que je me pose et sur laquelle j’ai envie de travailler avec libraires.

Le CNL soutient une étude Ipsos commandées par le Syndicat national de l’édition sur la lecture des Français. Il en ressort que les jeunes lisent beaucoup. Et pourtant ils sont en même temps extrêmement connectés, notamment aux réseaux sociaux. Pourquoi la consommation de livres marche moins bien chez les adultes ?

Je pense qu’une des explications, c’est que dans les 80 % de jeunes qui lisent, beaucoup sont encore sur leurs études post ou pré Bac, incluant dans leurs réponses la lecture obligatoire scolaire. Je le corrèle également à l’importance de la poésie chez les jeunes qui rejoint le fait que les jeunes ont l’habitude de lire de la poésie avec leur scolarité, prévue au programme. Il faut aussi prendre ça en compte. L’adulte lui est sorti nécessairement de la scolarité. Dans le monde du travail, il est comme le montre l’étude de moins en moins sollicité par les livres. La part du livre dans le domaine du travail baisse au profit vraisemblablement  de l’écran d’ordinateur par lequel on a l’information, et non plus par les livres.

Quelles pistes permettraient de maintenir les habitudes de consommation-lecture d’un âge à l’autre ?

Ce qui m’intéresse effectivement, c’est maintenir la lecture des jeunes en la renforçant, et sensibiliser les 30 % de Français qui ne lisent pas. Commet on travaille ça ? Je crois qu’il faut revenir à l’idée que la lecture est avant tout un plaisir et un loisir. Vous avez 57% des Français ne lisant pas qui vous dit ne pas aimer lire. C’est déclaratif, mais je crois que beaucoup disent aussi qu’ils lisent trop mal, qu’ils ne sont plus en lecture courante, quotidienne, comme on peut être au sortir des études. Il faut retravailler la médiation autour du livre, c’est-à-dire des lectures par des auteurs, par des écrivains, des acteurs, par les gens eux-mêmes. Avec la lecture à voix haute, on est sur une frontière entre l’art vivant et la littérature qui permet aux gens de s’emparer du livre comme d’une histoire et de l’écouter en s’évadant. Prendre appui sur les pratiques qui fonctionnent aujourd’hui comme le cross-booking : laisser un roman quelque part, puis quelqu’un d’autre le ramasse, le lit, et le laisse à son tour. Il y a tout un tas de choses assez innovantes pour dire que les lectures sont un plaisir passionnant, et j’ai d’autant moins de doutes là-dessus que lorsqu’on regarde l’image du livre dans le pays, elle est excellente : 94 % des Français sont d’accord pour dire qu’il faut lire aux enfants, 74 % disent que les livres sont un lieu de connaissance, plus de 70% placent le livre comme un divertissement. Il faut en profiter.

Propos recueillis par Youness Rhounna

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