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Vers un hiver 2022/2023 pire que la grande crise financière de 2008 ?
©©Reuters

Panique à bord

Inflation, crise énergétique, changements de politique monétaire, effondrement de l'anticipation des ménages ... Suite à la pandémie de Covid-19 et plus récemment à la guerre en Ukraine, la conjoncture économique a rarement été aussi inquiétante

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Que cela soit la crise énergétique, l’inflation, les changements de politique monétaires ou l’effondrement des anticipations des ménages, à quel point y a-t-il actuellement une conjonction de phénomènes délétères pour l’économie ?

Don Diego de la Vega : Il n’y a pas d’inflation, il y a une taxation, un quadruplement des prix du baril et du gaz couplée à une désorganisation temporaire des chaînes de valeurs liée au télétravail, au Covid, aux mesures de Trump contre la Chine etc. Mais ce n’est pas l’inflation des années 1970. Si l’on n’y répond pas trop bêtement, on doit pouvoir s’en sortir. Il va y avoir une récession mais nous sommes en récession, puisque les acquis de croissance étaient à plus de 2% et finalement on va faire à peine 2%. Cela veut dire que pendant quatre semestres de suite on fait zéro.

Le vrai problème, c’est la dégradation du climat intellectuel. La Fed n’est plus la Fed, on met des personnes incompétentes aux postes importants, les présidents médiocres se succèdent en France et aux Etats-Unis, les universités sont désormais le règne du wokistan, les débats sont de piètre qualité, etc.  On paie actuellement cette médiocrité sur les sujets énergétiques par exemple. On est passé d’un extrême à l’autre. On est passé de Volcker à Powell à la Fed sans trop de transition. La vie intellectuelle a suivi la même trajectoire que Star Wars. Une saga originale, bien, une prélogie, vingt ans plus tard, moins bien et une postlogie dans les années 2010, nulle. Les moyens ont été augmentés mais les scénaristes, les dialoguistes sont moins bons.

Jean-Paul Betbeze : Un vol de Cygnes noirs : nous sommes au cœur d’une polycrise, la rencontre d’événements individuellement graves, mais plus encore très rares. La guerre d’Ukraine est évidemment la plus dangereuse des crises actuelles, introduisant une rupture totale dans nos anticipations à long terme. C’en est fini des « dividendes de la paix » et du « multilatéralisme » : il va falloir, dépenser plus pour s’armer plus, et faire en sorte d’être du côté des plus forts (Etats-Unis et Otan bien sûr). Le prix du risque a partout augmenté, notamment en Europe, et ce n’est pas fini. Ainsi, le rendement du bon du trésor allemand à 10 ans, est-il passé de -0,2% il y a un an, à 1,6%  actuellement. Et comme l’inflation s’inscrit aujourd’hui à 7,9% contre 2,3% dans ce pays, on peut penser que cette hausse n’est pas finie. En sommes-nous conscients en France ?

Cette guerre a fait sauter tous les compteurs. Elle est une guerre du gaz, dont le prix explose d’autant plus que l’Allemagne est très dépendante du gaz russe, sans substitution aisée. Elle est aussi une rupture des chaînes de valeur internationales, qui allaient de la Chine vers l’Europe et qui étaient autant efficaces que désinflationnistes. Cette guerre met en évidence nos lacunes, pour les masques et surtout les puces, faisant s’arrêter ou freiner des chaînes de production.

Moins de croissance et plus d’inflation : le spectre de la stagflation arrive, qui ne peut se gérer que par les Banques Centrales et les hausses des taux d’intérêt. Si, en Europe, cette hausse des taux fait évidemment ralentir l’inflation, elle pèse aussi sur la croissance qui est d’ores et déjà faible du fait d’une autre catastrophe, le Covid, qui a non seulement perturbé les systèmes de production, notamment dans l’industrie, mais également fait chuter les services qui se relèvent avec des hausses de salaires, donc de l’inflation. 

Au total, l’ensemble de ces Cygnes noirs conduit à peser sur la croissance économique à moyen et long terme, au-delà des interruptions d’activité et des inquiétudes actuelles. Il met en avant nos dépendances et nos faiblesses que la réduction des dépenses, notamment en matière militaire et la recherche des gains de sous-traitance, en allant vers le moins disant, nous ont  conduits à faire, sans en être conscients. Aujourd’hui, tout ceci nous revient : l’inflation est le premier signe de notre réveil.


Nous dirigeons-nous vers un hiver 2022/2023 pire que la grande crise financière de 2008 ? Les situations sont-elles comparables par leur ampleur ?

Jean-Paul Betbeze : Bien sûr, la crise de 2007/2008, celle des subprimes, était une crise essentiellement financière, d’origine américaine, qui avait soutenu la croissance par le financement aisé du logement. En 2008, cette bulle du crédit explose et a des répercussions en Europe surtout, mais aussi dans les pays émergents. Elle se résout par le fameux Quantitative Easing dont la FED organise actuellement la sortie : Il aura fallu 14 ans ! Et ceci nous pose aujourd’hui, en Europe, plus que quelques problèmes. En effet, l’Europe n’a pas encore retrouvé son niveau d’activité d’avant crise Covid, à la différence de la Chine bien sûr et même des Etats-Unis. Lutter contre l’inflation en zone euro pour des raisons d’inflation importée (par les prix du gaz, du pétrole et des produits alimentaires), alors même que les déficits budgétaires ne sont pas réglés, est prendre un grand risque. 

Don Diego de la Vega : Il sera différent, je ne dirais pas pire. 2008 avait une dimension très financière et lorsqu’on n’était pas dans la sphère économique et financière, il y avait moyen de ne pas être très impacté. Beaucoup de gens n’ont pas payé 2008, notamment en France. La Société générale, le Crédit agricole et tout un tas d’établissements dysfonctionnels auraient dû fermer et ce n’a pas été le cas. Il y a même eu très peu de licenciements. Alors bien sûr il y a eu une récession dure, mais la crise était relativement localisée. Cette crise, plus énergétique, va être plus large, plus diffuse. Mais qui dit plus diffus dit aussi moins aigu. Avoir Christine Lagarde plutôt que Jean-Claude Trichet va nous aider. Donc ça touchera un peu tout le monde mais moins violemment. En 2008, les Chinois ont été très peu touchés. Depuis le Covid, on a le sentiment que tout le monde prend. Les problématiques ne sont pas non plus exactement les mêmes, elles étaient très étroitement économiques et financières en 2008, aujourd’hui il y a aussi une dimension forte portant sur les libertés.

Le risque de récession est-il bien réel ? Quelles pourraient être les conséquences au niveau mondial ou pour les ménages, dont le moral est en forte baisse en France comme en Allemagne ?

Jean-Paul Betbeze : Le risque de récession est bien réel. Agiter ce spectre pour demander aux Banques Centrales de monter peu leurs taux d’intérêts ou, dans le cadre de la Banque Européenne, de fabriquer un bazooka pour acheter des bons du Trésor italien, est insuffisant. Comme l’est  de souhaiter que les déficits budgétaires augmentent sans problème. Tout ceci est un ensemble de mauvaises raisons pour expliquer la dépendance dans laquelle nous sommes. Nous en sortirons en développant, en Europe notamment, des structures plus solides et résilientes, avec des liens plus forts avec les Etats-Unis et l’Afrique. Si l’on veut s’associer à l’Afrique, en particulier, il faudra revoir les règles de production et de qualité qui forment notre Marché solide et sûr sans doute, cher et protecteur aussi. Sans qu’on le dise, le Marché Unique est aussi protectionniste : si on veut s’associer avec des pays moins développés il faudra revoir nombre de nos normes. Le risque de récession est donc le début d’une reconsidération profonde de notre stratégie de croissance à long terme, cette fois plus ouverte et coopérative, interrompue par la guerre en Ukraine.

Quels sont les éléments de la conjoncture actuelle qui vont avoir les effets les plus profonds sur la situation économique et sociale ? A quelles conséquences concrètes faut-il s’attendre ?  

Don Diego de la Vega : Difficile à dire car l’économie est quasi-soviétisée. On est à 60 % de dépense publique ce qui aseptise les conséquences. Il faudra évidemment que quelqu’un paie dans le futur. Ce que je crains, c’est une décennie perdue. Les erreurs de 2008-2011 on les a payées pendant toute la décennie. Les erreurs de 2020-2022, on va aussi les transporter sur dix ans, j’en suis persuadé. 2022 n’est pas tant le problème que toutes les années qui vont suivre. Notre système est biberonné à la croissance et on risque de ne pas en avoir dans les prochaines années. Si l’on veut être très pessimiste, si l’on ne fait rien, on s’achemine vers un rationnement par les quantités.

Jean-Paul Betbeze : La conjoncture ne nous dit pas tout. Nous pouvons espérer en zone euro de la compréhension de la Banque Centrale Européenne ou des différents Trésors Nationaux en matière de déficits. Mais ceci n’est évidemment pas de nature à répondre à la profondeur des problèmes que la guerre d’Ukraine, la tension américano-chinoise et, partout, la montée des problèmes économiques, sociaux et politiques, révèlent.
Les conséquences concrètes, c’est qu’il faudra dire la vérité sur le nouveau monde qui s’ouvre. Cette attitude est bien différente de la naïveté que nous avons eue en pensant que commercer, échanger, faisait  évidemment progresser tous les partenaires, mais en oubliant les dépendances ainsi créées. Cette naïveté apparait aujourd’hui au grand jour et, quand on sous-estime aussi les coûts et les difficultés de la transition écologique, on voit que nous n’en sommes pas encore sortis.

Tout ceci conduit à faire un environnement plus compliqué et tendu avec des investissements importants en matériel et en formation, des mises au rebut et des prises de risques, tout ceci impliquant une inflation qui dépassera les 2% qui sont, de ce point de vue là, datés. 

Pour sortir d’affaire, il faudra donc que les Banques Centrales reconnaissent que leur objectif est aujourd’hui plutôt de 4%, même si elles continuent à dire, prudemment, qu’elles dépasseront 2%... pendant plusieurs années ! Pour sortir de la naïveté, rien de tel que la vérité.

Que faire face à cette situation ?

Don Diego de la Vega : On parle beaucoup des contraintes énergétiques, géopolitiques, des ralentissements, des incertitudes, du durcissement monétaire en cours qui va nous coûter très cher en 2023 et tout un tas d’autres choses. Mais si tout le monde en parle, ça signifie qu’au moins une partie est pricée et intégrée aux anticipations. Faute reconnue à moitié digérée. Il faut éviter le biais qui consisterait à tout négativer alors que nous sommes dans une période de creux. Je ne dis pas que nous sommes dans le creux, on peut encore descendre, mais actuellement on voit les choses en noir, alors qu’il y a six mois tout le monde voyait l’avènement d’un nouveau monde ou alors une surchauffe. Et cela donne presque envie d’être positif, pourquoi ? Car quand les gens commencent à tous être négatifs c’est le moment où cycliquement il convient d’être plus positif et constructif. 2023 sera certes une année terne, nous avons tout fait pour. Mais c’est peut-être l’occasion de changer les choses, de proposer des choses. Il y a des entreprises qu’il pourrait être pertinent de racheter car elles ne sont pas chères, Il y a des opportunités nouvelles alors qu’il n’y en avait plus beaucoup il y a six mois. On peut aussi essayer d’avancer à titre collectif. Cela peut être de conseiller à Zelenski d’être un peu plus constructif pour éviter de financer dix ans de guerre supplémentaires aux portes de l’Europe. Cela pourrait vouloir dire trouver une porte de sortie pour les Russes afin de mieux les contenir. En politique monétaire, cela peut être ce que fait la Fed depuis quelques jours timidement, et ce que ferait la BCE sans le clan allemand, pour essayer d’aider l’Italie, l’air de rien. Le clan allemand a tout de suite demandé la compensation du nouveau mécanisme proposé par Christine Lagarde. En tout cas, c’est parce que nous sommes dans l’ornière qu’il faut se risquer à des choses innovantes : la reprise des dettes, la monnaie hélicoptère, etc. Ce qui est sûr c'est que des contradictions vont devoir être levées.

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