Veille d’élection au Royaume-Uni : le modèle britannique post-brexit résisterait-il à un gouvernement travailliste ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des drapeaux de l'Union bordent le centre commercial menant au palais de Buckingham le 31 janvier 2020, le jour où le Royaume-Uni quitte officiellement l'Union européenne.
Des drapeaux de l'Union bordent le centre commercial menant au palais de Buckingham le 31 janvier 2020, le jour où le Royaume-Uni quitte officiellement l'Union européenne.
©GLYN KIRK / AFP

Modèle anglais

Depuis le Brexit de 2016 et les difficultés du gouvernement conservateur, l’impression régnait que la France d’Emmanuel Macron, jeune, réformatrice, européenne, l’emportait dans la vieille rivalité franco-britannique.

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

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C’était, dans le nouveau siècle, le retour de la Crise britannique du XX° siècle, diagnostiqué en 1931 par André Siegfried. Depuis l’annonce surprise d’une dissolution risquée par le président français, au lendemain d’élections européennes que Londres n’a plus besoin d’organiser, cette perception se dissipe et le modèle anglais semble, de nouveau, avoir le vent en poupe.

Sur le plan politique, les élections britanniques devraient voir, le 4 juillet, les tories perdre leur majorité au profit du parti travailliste. La France aura aussi, trois jours plus tard, une nouvelle assemblée. Mais, contrairement à l’atmosphère du débat à Paris, où les perspectives de l’arrivée de Rassemblement national ou du Nouveau front populaire font douter de la stabilité du pays, l’élection britannique se déroule dans le climat habituel des rivalités politiques anglaises. Le Royaume-Uni demeure stable, là où les Français envisagent déjà une révolution. « Avez-vous la constitution française, plaisantait-on au XIX° siècle ? Non : nous ne faisons pas les périodiques ». 

Nul ne voit l’Angleterre sombrer avec l’entrée au 10 Downing Street du fade Keir Starmer. Celui-ci a pris soin de se distancer de son prédécesseur à la tête du parti, le bouillant Jérémy Corbyn, qui avait laissé l’antisémitisme prospérer à la gauche du Labour. Même la possibilité que le parti Reform, du charismatique Nigel Farage, éclipse les conservateurs ne remue guère les esprits. Le scrutin uninominal à un tour protège les tories qui, dans leur affaiblissement, viendraient rejoindre le parti libéral, supplanté à gauche par les travaillistes depuis plus d’un siècle. La stabilité britannique l’emporte, une fois encore, sur les soubresauts français.   

Sur le plan économique, le Brexit est, à ce stade une mauvaise affaire, qui plombe le commerce avec le continent. Artisan de la rupture avec l’UE, l’amusant Boris Johnson a triomphé aux dernières élections de 2019 en reniant en pratique l’héritage de Thatcher : il s’est engagé dans un programme de dépenses publiques dans l’objectif de rallier les suffrages du « mur rouge », les comtés travaillistes du nord de l’Angleterre. Le résultat est un niveau de dépenses publiques élevées et l’insatisfaction des marchés qui, lorsque l’éphémère Liz Truss a voulu réduire les impôts, ont durement sanctionné le Royaume-Uni.

Mais le modèle britannique conserve des atouts. Contrairement à la France, confortablement installée dans les délices de Capou de l’euro, l’Angleterre doit défendre sa monnaie. Après la crise de 2008, les conservateurs de David Cameron avaient mené une politique de rigueur budgétaire qui explique le différentiel de dette entre les deux pays (110% contre 100%). Le taux d’emploi britannique (75%) est supérieur de dix points à celui de notre pays. Le taux de chômage britannique reste inférieur à celui de la France (4,3% contre 7,3%). Enfin, le PIB par habitant Outre-Manche demeure supérieur (49 000€ contre 44 000). La capitalisation de la bourse de Londres vient de dépasser celle de Paris (qui avait pris l’avantage en 2022).   

Enfin, sur le plan social, le modèle britannique ne s’en sort pas si mal. Certes, le mode de vie français attire les suffrages des élites libérales anglaises : le correspondant du Financial Times à Paris, Simon, brosse dans Impossible City (2024, non traduit), un portrait facétieux mais très favorable d’une ville dans laquelle il est venu habiter pour fuir les prix londoniens mais où il compte en somme finir ses jours, entre gastronomie imbattable et Sécurité sociale efficace. Il est vrai, si l’on écoute les critiques de l’opposition travailliste, que la situation sociale de l’Angleterre semble pour le moins précaire, entre immigration incontrôlée et faillite du NHS.

En même temps, le Royaume-Uni conserve des avantages enviables. Les immigrés massés à Calais rêvent d’y pénétrer (12 000 passages par small boats à travers la Manche depuis janvier 2024). Dans le classement PISA, le système scolaire britannique, au cinquième rang mondial, dépasse notre école. Enfin, l’espérance de vie, avec 81 ans, demeure dans la moyenne de l’OCDE. Surtout, malgré les tensions inhérentes à toute société démocratique, qui plus est multiculturelle, l’Angleterre semble ne pas connaître les épisodes de violence urbaine que la France affronte régulièrement.

Il reste à voir si l’Angleterre maintiendra ses avantages avec le gouvernement travailliste qui s’annonce. Pays en déclin, comme la France, ayant sensiblement la même population, elle garde toutefois des atouts avec lesquels notre pays aura du mal à rivaliser. Sauf à imaginer que notre république se transforme, dans les années qui viennent, en un royaume à la dynastie mondialement connue (2 milliards de téléspectateurs pour le couronnement de Charles III), avec une économie libérale et libre-échangiste (Londres a signé près de 70 accords de commerce depuis son départ de l’UE) et un modèle de société à la fois aristocratique et multiculturel (Rishi Sunak, d’origine indienne, est passé par Oxford).   

En revanche, la France possède un atout dans sa manche, qu’elle serait bien inspirée de ne pas gâcher, et qui est son appartenance à l’UE. Le Brexit de 2016 reste l’éléphant dans la pièce de toute la vie politique britannique. En quittant une union où il exerçait une large influence, nourri d’un lien privilégié avec l’Allemagne, inquiète du dirigisme français, et les Etats de l’Europe orientale, le Royaume-Uni a commis la même erreur que la France de 1966, imposant le départ d’une OTAN qui avait son siège à Paris. A part les libéraux démocrates, marginaux et très à gauche du spectre politique, aucun parti ne parle d’un retour dans l’UE même si 55% des Britanniques (contre 31%) considèrent aujourd’hui que le Brexit était une erreur. 

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