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Variole du singe & angoisses épidémiques : petites réponses scientifiques à l’attention de ceux qui redoutent un retour des campagnes de vaccination massive
©JOSEPH PREZIOSO / AFP

Nouvelle épidémie

Face à l’apparition de cas dans plusieurs pays de l’UE, l’agence de santé européenne a recommandé aux Etats membres de planifier une potentielle campagne de vaccination.

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

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Atlantico : Le directeur de l’OMS en Europe a alerté que les cas d’infections à la variole du singe risquent d’augmenter fortement sur le continent. Face à cette nouvelle épidémie, une nouvelle campagne de vaccination pourrait s’imposer ce qui amènerait à nouveau un large flot d’inquiétude pour une certaine frange de la population. La vaccination face à de nouvelles épidémies pourrait-elle devenir un réflexe avec le développement des vaccins ARN ? Devrons-nous nous poser des questions à chaque campagne ? Est-ce le même biais intellectuel mis en œuvre ?

Antoine Flahault : Il n’existe pas de vaccin spécifique contre la variole du singe. Les vaccins contre la variole - qui ne sont pas des vaccins à ARN messager,  mais des vaccins à virus vivant atténué – provoquent une immunité croisée contre la variole du singe. Que les gouvernements réfléchissent aujourd’hui à s’approvisionner en vaccins antivariolique est une anticipation bienvenue, car si la situation devait s’aggraver, ce vaccin pourrait en effet faire partie des outils de lutte contre la propagation du virus. On pourrait réfléchir à des campagnes de vaccination circonscrites aux cercles des contacts des personnes diagnostiquées porteuses du virus. Mais il est encore prématuré d’envisager la vaccination de toute la population ou la revaccination de ceux qui ont été vaccinés contre la variole avant les années 1970. Ce n’était pas un vaccin toujours bien toléré et il faudra à tout le moins peser les bénéfices au regard des risques connus de la vaccination.

Parmi les inquiétudes lors du Covid, on entendait que la technologie était nouvelle et que le vaccin l’était aussi. Qu’en est-il de celui contre la variole du singe ?

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"Tous vaccinés, tous protégés". Vraiment ?

Le vaccin contre la variole est l’un des plus anciens. En France il a été utilisé dès 1902 ! Et il a été utilisé encore plus tôt en Angleterre ou en Allemagne. D’ailleurs durant la guerre de 1870-71 si 23400 soldats français périrent de variole car l’armée n’était pas vaccinée, en revanche « seuls » 500 soldats Prusses en moururent. Bon, il ne s’agit pas de variole présentement mais de variole du singe. On sait d’après les études conduites en Afrique que le vaccin antivariolique protège à plus de 85% contre la variole du singe, un niveau d’efficacité tout à fait honorable. Cela n’est pas très étonnant car le vaccin antivariolique est élaboré à partir d’un orthopoxvirus vivant atténué, celui de la vaccine. L’immunité croise bien avec les autres orthopoxvirus, celui de la variole comme celui de la variole du singe. On en est désormais à la troisième génération dans la fabrication de vaccins contre la variole. L’Union Européenne et la HAS ne recommandent plus les vaccins de première et deuxième générations mais uniquement celui de troisième génération, l’Imvanex, commercialisé depuis 2013 par une firme danoise. Imvanex recourt toujours au virus de la vaccine vivant et atténué et serait aussi, voire plus efficace mais moins réactogène que ses prédécesseurs. Ainsi, le nouveau vaccin ne provoquerait pas les effets indésirables rares mais graves (1 pour 10'000 injection), voire mortels (1 par million d’injections) des anciens vaccins.

On a beaucoup parlé de la réduction de l’efficacité des vaccins Covid qui diminuait avec les variants et avec le temps. Risque-t-on d’avoir les mêmes problèmes avec celui sur la variole du singe ?

S’il est toujours bienvenu de retenir les leçons du passé, et notamment celles récemment apprises avec la pandémie de COVID-19, il faut savoir où s’arrêter dans l’analogie entre les phénomènes. Le SARS-CoV-2, virus de la COVID-19, est un virus à ARN, léger, qui n’est pas très bien équipé pour redresser les erreurs de copie durant sa réplication. En conséquence, il mute facilement et souvent, on le voit encore aujourd’hui avec les nouveaux sous-variants d’Omicron venus d’Afrique australe ou des Etats-Unis. Pour le virus de la variole du singe, il s’agit d’un virus, plus de six fois plus lourd en patrimoine génétique, un double brin d’ADN qui code pour de nombreuses protéines visant notamment la stabilité du virus. Depuis 60 ans qu’on le connaît, il n’a que deux variants : celui d’Afrique centrale et celui d’Afrique occidentale répondent pareillement aux vaccins contre la variole.


Dans leur empressement à encourager la vaccination, les pouvoirs publics ont parfois été trop prosélytes, quitte à se retrouver démentis par les faits, ce qui a affaibli la parole publique. Comment éviter ce scénario ?

On attend des pouvoirs publics qu’ils fassent tout leur possible pour, sinon stopper, du moins ralentir au maximum la progression d’un nouveau virus émergeant sur leur territoire. Ils doivent utiliser les dispositifs disponibles pour contrer le risque épidémique, bien sûr de façon proportionnée à l’ampleur et la gravité du phénomène. La variole du singe est heureusement beaucoup moins sévère que la variole. Il persiste cependant de nombreuses inconnues, tant sur son niveau de transmissibilité, que sur les modes de transmission, et sur la virulence. Face à ces inconnues, on peut comprendre que les autorités de santé recommandent aujourd’hui la vaccination des personnes contacts qui se retrouvent à haut risque d’être contaminés. Nous nous insurgerions si tel n’était pas le cas me semble-t-il. On sait que l’on peut proposer ce vaccin jusqu’à quatre jours après un contact infectieux, tant la durée d’incubation est longue (5 à 21 jours), laissant le temps à l’organisme de se défendre contre l’invasion virale. Il est probable que les pouvoirs publics proposent aussi, comme mesure complémentaire à la vaccination des contacts, l’isolement des personnes malades et contagieuses. Il faut agir vite, lorsqu’il n’y a pas encore trop de virus circulant sur le territoire et donc de cas répertoriés. Après cette fenêtre de temps qui peut être assez brève, on a vu et appris que la gestion pouvait devenir beaucoup plus difficile si le virus venait à se répandre rapidement dans la population.

La Haute Autorité de Santé recommande aussi en France de « vacciner les cas contact » des positifs à la variole du singe. Que penser de cette recommandation ? Est-elle cohérente avec la situation sanitaire et la dangerosité de la maladie et les effets du vaccins ?

En matière de préconisation médicamenteuse ou vaccinale, il est toujours préférable de se référer aux expertises collectives conduites par les agences de sécurité sanitaire. C’est pleinement le rôle de la HAS de conduire de telles expertises indépendantes dans le cadre des recommandations vaccinales. Ses experts ont planché sur la question et proposent de ne pas tergiverser mais de tout faire pour ralentir la propagation d’un virus encore largement méconnu. On dispose d’un vaccin de troisième génération dont on sait qu’il est mieux toléré que les premiers. J’imagine que c’est celui-là que les autorités françaises préconisent aujourd’hui. 

Est-il possible qu'alors que nous sommes actuellement encore dans l'épidémie de Covid nous soyons trop prompt à vouloir recourir à la solution vaccinale ?

La solution vaccinale est une option que nous offrent les temps modernes face aux épidémies. Elle a prouvé son efficacité à maints moments de l’histoire contemporaine des maladies infectieuses. Si l’espérance de vie à plus que doublé sur tous les continents en l’espace d’un siècle, on le doit en partie aux vaccins. Maintenant, lorsqu’il y a peu de cas comme actuellement avec la variole du singe, je crois qu’il faut d’abord isoler ces cas, probablement à l’hôpital, comme le propose les Belges pendant 21 jours (fourchette haute de la durée d’incubation). Il faut tracer tous les contacts possibles de ces premiers cas et démanteler toutes les chaînes de transmission. Ainsi, il faut tout faire pour empêcher de se propager cette maladie qui ne circulait pas jusqu’à présent sous nos contrées.


Si le vaccin est ainsi recommandé peut-on avoir confiance dans la balance bénéfice risque ?

Je fais confiance pour ma part à l’expertise collective indépendante conduite par la Haute Autorité de Santé. Il va sans dire que les experts ont analysé toutes les données dont ils disposaient et ont évalué favorablement, à plusieurs, le bénéfice-risque dans ce cas.


Plus largement, comment répondre à ceux qui, notamment depuis le Covid, sont dans une attitude de crainte ou de refus vis à vis des vaccins ? 

L’histoire de la variole est riche d’informations qui intéresseront les tenant des médecines traditionnelle dites - parfois à tort - douces. J’en racontais une dans un livre que j’ai rédigé avec le Professeur Thomas Hanslik en 2001 sur les vaccins, voici un extrait (page 79) : « Les anciens avaient découvert que l’inoculation du pus desséché de pustules [prélevé sur des malades atteints de variole] par voie nasale ou par injection sous la peau, n’était responsable que d’une réaction locale bénigne, et qu’elle protégeait définitivement contre la forme grave de la variole. La médecine officielle occidentale a longtemps refusé ce procédé jusqu’au début du XIXème siècle. Mais le procédé fut à cette époque rapporté d’Istanbul par la femme de l’Ambassadeur d’Angleterre en Turquie, Lady Montagu, qui n’hésita pas à faire « varioliser » ses deux enfants. La méthode s’est ensuite progressivement développée en Angleterre puis dans le reste de l’Europe. On transmettait ainsi l’inoculation de la variole d’un bras à l’autre. Cependant le procédé n’était pas dénué de risque. Le risque de mourir de l’inoculation pouvait atteindre selon le procédé employé de 1 pour 50 à 1 pour 250 inoculations. »

(référence : https://www.fr.fnac.ch/a1453213/Thomas-Hanslik-Vaccinations-quand-pour-qui)

Les peurs de telles campagnes de vaccination par une partie de la population, qui conteste l’intérêt sanitaire, ou qui trouve que c’est un outil de contrôle social, sont-elles fondées ? 

Les vaccins sont des outils très précieux de la lutte contre les maladies infectieuses. On oublie leur rôle lorsque ces maladies disparaissent de notre quotidien, mais supprimez demain le vaccin contre le tétanos, dont le bacille de réservoir tellurique n’a pas disparu de la surface de la planète, et reviendraient rapidement des cas de cette terrible maladie. On a presque oublié aussi les ravages de la poliomyélite qui rendait 350 000 enfants paralysés à vie chaque année, dans plus de 120 pays encore durant les années 1980. Nous avons tendance à ne pas nous rendre compte qu’en l’absence de vaccins nous aurions eu une véritable hécatombe lors de la vague Omicron en Europe. Hong Kong qui n’avait « que » 60% de ses personnes âgées de vaccinées en a fait la cruelle expérience récemment. La Chine et la Corée du Nord se confinent douloureusement actuellement pour tenter de pallier le manque de couverture vaccinale de leur population. Il est cependant fondé de toujours peser les bénéfices d’une campagne de vaccination au regard de ses risques. Si la variole du singe, que l’on connaît encore mal comme la plupart des maladies tropicales négligées, s’avère une maladie aussi bénigne que la varicelle par exemple, alors pourquoi pas un vaccin, mais à condition qu’il soit aussi bien toléré que celui de la varicelle. Le vaccin contre la variole engendrait des effets indésirables graves une fois sur 10 000 injection qui étaient mortelles tous les millions d’injections, ce n’est pas un vaccin particulièrement bien toléré. Il est donc tout à fait fondé de se poser ces questions de rapport bénéfices/risques.

Devons-nous céder au même biais intellectuel à chaque apparition d’épidémie, infection, recherche de vaccin, campagne de vaccination ? Pourrions-nous trouver une nouvelle voie ? 

Il n’y a pas de « biais intellectuel » à chercher à protéger la population contre une maladie infectieuse avec les outils d’aujourd’hui. Les armes dont nous disposons pour la lutte contre les maladies transmissibles sont ou bien des mesures non pharmacologiques dont certains remontent à l’époque médiévale, comme les confinements, les quarantaines, les couvre-feux. Ou alors on peut recourir aux gestes barrières, au port du masque lors de maladies à transmission aérienne, au préservatif s’il s’avère que la maladie est sexuellement transmissible (ce qui n’est pas encore démontré dans le cas de la variole du singe). Enfin, nous disposons désormais des innovations de notre époque moderne, que sont aujourd’hui les tests de diagnostic biologique moléculaire (les PCR), les médicaments antiviraux et les vaccins. A chaque fois, il convient d’évaluer la proportionnalité de la riposte à mettre en place en fonction de la gravité de l’épidémie à laquelle on fait face.

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