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Union européenne : les incompréhensions du couple franco-allemand
©Odd ANDERSEN / AFP

Bonnes feuilles

Luuk Van Middelaar publie "Quand l'Europe improvise : dix ans de crises politiques", aux éditions Gallimard, dans la collection Le Débat. Cet ouvrage raconte l'émergence d'une scène politique à partir de l'ovni bruxellois. Protagonistes et visions d'avenir s'y affrontent, de tragiques dilemmes s'y creusent. Extrait 1/2.

Luuk van Middelaar

Luuk van Middelaar


Luuk van Middelaar (1973) est philosophe politique et historien, chroniqueur et professeur à l’université de Leyde. Il vient de publier Quand l’Europe improvise: dix ans de crises politiques (éd. Gallimard). De 2010 à 2014, il fut la “plume” du président du Conseil européen, Herman Van Rompuy. Son ouvrage Le Passage à l’Europe (Gallimard 2012), traduit en dix langues, avait remporté le Prix du Livre européen.
Son site personnel : luukvanmiddelaar.eu
 

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Si les Français et les Allemands se comprenaient à la perfection, il n’y aurait plus de Français ni d’Allemands. Leurs tentatives de l’après-guerre visant à surmonter le malaise de leur proximité ont donné naissance à l’Europe en tant que projet politique. Tant que ces deux protagonistes resteront fidèles à eux-mêmes, l’Union continuera de produire des compromis « bancals » et de compter des institutions « illisibles ». 

Les différences de caractère entre ces peuples rejaillissent dans leur façon d’interpréter les concepts « règle » et « événement ». En Allemagne, la règle équivaut à l’équité, l’ordre, l’intégrité. En France, par contre, le centre de gravité sémantique du mot se déplace légèrement, passant de la protection à l’obstruction : et voilà que la règle renvoie à la coercition et à la soumission. 

La politique européenne étant traditionnellement axée sur la production de règles, cette discordance suscite une défiance systématique entre Paris et Berlin. En 2007, un conseiller du président Sarkozy avançait que « le contre-pouvoir le plus contraignant auquel est confronté un dirigeant français est dans la règle européenne ». Face aux règles, Paris a tendance à plaider en faveur d’un surcroît de flexibilité, tant pour les autres que pour elle-même. La France justifie de préférence la violation d’une règle en avançant des « circonstances exceptionnelles ». Berlin, qui observe cette attitude depuis quatre décennies, l’estime irresponsable, opportuniste et témoignant de mauvaise foi. Aux Allemands, qui donnent la priorité à une juste application de la même règle budgétaire par tous, on reproche d’être rigides et bornés quand on n’attaque pas leur obsession historique de l’inflation. Pendant la crise grecque relative à l’euro, on les a de surcroît accusés de manifester une trop grande soif de pouvoir et de vouloir imposer leur diktat. 

Avec le concept de l’événement, les connotations positives et négatives se trouvent inversées. En France, un événement, y compris un événement dramatique, reste un signe de vie, de renouveau et un appel à l’action. En Allemagne, par contre, un événement sape l’ordre établi. Il porte le risque d’une déstabilisation, de brusques changements de cours, par exemple l’abandon de l’énergie nucléaire en 2011 après le tsunami au Japon, ou les zigzags entre souci humanitaire et fermeture des frontières lors de l’afflux de migrants durant l’été 2015. 

Emmanuel Macron a comparé la bataille sémantique franco-allemande sur la norme budgétaire européenne à une « guerre de religion ». La comparaison avec la Réforme n’est pas déplacée. Souplesse dans les affaires budgétaires en 2018, compréhension quant au péché en 1518 — l’enjeu est le même : comment se rapporter à la loi ? Le catholique confère un pouvoir discrétionnaire à l’Église et conserve la possibilité d’être pardonné. Le protestant jure par la lettre et l’autorité autonome du Livre, bien qu’il soit amené à condamner le pécheur à l’Enfer. 

Ce dialogue de sourds sur la règle et l’événement se double d’une incompréhension sur l’organisation du pouvoir. Tandis que la politique de la règle s’appuie sur le contrôle et les équilibres entre institutions ou parties, la politique de l’événement exige incarnation et personnification. La gestion de la France s’opère de manière verticale, pour ainsi dire pyramidale. Le président fixe la ligne, le gouvernement exécute, l’administration suit. Quant au public, une fois un président élu, il veut une direction, un cap, une mise en scène, avant soit d’applaudir, soit de descendre dans la rue. En Allemagne, le pouvoir est divisé, plus encore depuis 1945. La Constitution de la République fédérale a été rédigée en 1949 par les puissances occidentales pour éviter tout déraillement du pouvoir. Le niveau exécutif se voit contrebalancé par des garde-fous considérables, en particulier un Parlement élu en grande partie à la proportionnelle, une Cour constitutionnelle faisant autorité ainsi qu’une Banque centrale très indépendante. 

Un chef d’État français et un chef de gouvernement allemand ne peuvent s’engager de la même manière. Ils « ne jouent pas dans la même pièce ». Aussi est-il d’autant plus remarquable qu’ils aient réussi, de temps à autre, y compris au cours de ces dernières années de crise politique, à prendre des décisions qui ont profondément influencé le cours de l’histoire européenne.

Extrait de l'ouvrage "Quand l'Europe improvise, dix ans de crises poltiques"  de Luuk Van Middelaar, publié aux éditions Gallimard. 

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