Une victoire militaire de l’Ukraine reste possible et voilà comment<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Des soldats ukrainiens
Des soldats ukrainiens
©Anatolii Stepanov / AFP

Guerre en Ukraine

La stratégie qui permettrait de venir à bout de la Russie est parfaitement identifiée. Les Occidentaux sont-ils prêts à en assumer le prix politique ?

François Chauvancy

François Chauvancy

Le général François Chauvancy est consultant en géopolitique. Il est aussi l'auteur de « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d’influence, affrontement économique ».

Voir la bio »
Alexandre Melnik

Alexandre Melnik

Alexandre Melnik, né à Moscou, est professeur associé de géopolitique et responsable académique à l'ICN Business School Nancy - Metz. Ancien diplomate et speach writer à l'ambassade de Russie à Pairs, il est aussi conférencier international sur les enjeux clés de la globalisation au XXI siècle, et vient de publier sur Atlantico éditions son premier A-book : Reconnecter la France au monde - Globalisation, mode d'emploi. 

 

Voir la bio »

Atlantico : Les Occidentaux ont-ils donné les moyens qu’il fallait aux ukrainiens pour gagner la guerre ?

Général François Chauvancy : On en a donné beaucoup mais on les a donnés tellement dans le temps long qu'ils n'ont pas pu avoir les effets attendus. Pour gagner une guerre, il faut autre chose qu’un traitement homéopathique.

On n'a donné des moyens qu'au coup par coup. Or, l'un des trois grands principes dans la guerre, c'est la concentration des moyens et des efforts. Cela, on ne l'a pas fait. On n'a pas voulu donner tout ce qu'il fallait quand il le fallait et en même temps pour créer ce nécessaire effet de masse permettant de gagner sur le champ de bataille. Tout ce qui a été envoyé a été saupoudré dans le temps, ce qui a conduit à une efficacité limitée et temporaire.  Bref, on n'a jamais donné les moyens aux Ukrainiens d'avoir la supériorité opérationnelle et de bousculer l’ennemi.

Alexandre Melnik : Nous avons toujours gradué ces moyens d’aide. Il fallait donner à l’Ukraine tout ce dont elle avait besoin dès le début. L'Ukraine était en position de force à un moment donné. Toute cette politique au compte-goutte de l’Occident est une politique de procrastination. Nous en payons aujourd'hui le prix.

L'Ukraine a absolument besoin de l’aide occidentale en matière de livraison d’armes. Il faut aussi lui permettre de produire ses armements sur place. On s'installe dans une guerre extrêmement longue.

L'Union européenne a décidé une nouvelle aide de 50 milliards d'euros à Kiev. Est-ce que cela suffit ? 

Alexandre Melnik : Non. Cependant, ce n'est pas une question d'argent. C'est une donne géopolitique. Poutine s'arrêtera seulement là où il sera arrêté. Son but ? Reconstituer non seulement l'Union soviétique, mais aussi l'empire russe qui a impliqué la Finlande, les Pays-Baltes et une partie de la Pologne. Cela signifie que ne pas arrêter Poutine de façon urgente, c'est lui donner carte blanche pour continuer cette politique d'expansion impérialiste, voire colonialiste, pour reconstituer le contour de l'Empire russe. Cette vision du monde selon laquelle tout a été créé par les russes, puis par l'Union soviétique est complètement erronée. Cette expansion russe est très dangereuse parce que basée sur cette aberration historique, elle n'a pas de limites ou de frontières.

Poutine ne peut pas s'arrêter parce que s'il s'arrête, il devra expliquer pourquoi il a déconnecté, avec la guerre, son propre pays du monde, de la globalisation du XXIe siècle.

Pourquoi les jeunes russes, instruits, qui veulent communiquer, qui veulent voyager, qui veulent faire des études un peu partout dans le monde, sont-ils privés de leur propre avenir ? S’il explique cela, la situation politique à l'intérieur de Russie va basculer en sa défaveur.

C'est pour cela que la guerre est devenue en quelque sorte la norme pour maintenir son régime en place. 

Général François Chauvancy : Il y a le choc des chiffres et leur réalité. Ces 50 milliards, pour  l'instant bloqués par la Hongrie, sont prévus sur 4 ans, jusqu’en 2027, mais ne représentent que 12 milliards et demi d'euros par an. C’est un signe fort mais qui ne semble pas par ailleurs couvrir une aide militaire. Elle a pour objet d'éviter l'effondrement de l'Etat ukrainien dans son fonctionnement au quotidien. La question sous-jacente est la suivante: l'UE sera-t-elle prête à soutenir le fonctionnement de l'Ukraine dans la durée, ceci incluant la reconstruction d'un futur Etat-membre et son intégration dans le cas du retour à la paix ?  

Les occidentaux doivent passer en économie de guerre ?

Général François Chauvancy : Oui, mais ils ne le font pas. Il y a une raison. Comme tout a été privatisé, il faut offrir des contrats aux industriels de l'armement via appels d’offre etc. Il faut leur donner des marchés et de l’argent pour que les industriels s'impliquent et produisent . Avant, l'État décidait, les arsenaux produisaient. C'était étatique. Aujourd’hui, avec en outre toutes les normes à respecter, vous en avez pour des mois. Les entreprises sont capables de produire, mais que l'État soit capable de leur passer des commandes dans des délais très rapides pour répondre aux besoins, j'ai quelques doutes notamment sur la capacité administrative de la France au moins pour réaliser cet objectif, tout comme au niveau européen d’ailleurs. La bureaucratie règne.

Est-ce que l’on a la même volonté politique que Vladimir Poutine dans cette guerre ?

Alexandre Melnik : Non et c’est le problème ! Les démocraties sont molles alors que les autocraties sont dures. Aujourd’hui, les démocraties ne sont pas capables de relever ce défi lancé par les autocraties pour les détruire. Nous sommes devenus des herbivores face aux carnivores. Et pourquoi ? par manque de volonté politique. La procrastination de nos dirigeants, c’est le fléau de l’Occident. On se donne toujours des alibis pour ne pas agir de façon adéquate par rapport au danger auquel on est confronté. On fixe des lignes rouges. L’immobilisme caractérise aujourd'hui les démocraties, en premier lieu l'Europe, mais aussi les États-Unis.

Poutine, lui, prend toutes les décisions seul. Il fonce. Il dispose de tous les moyens pour parvenir à ses ambitions. 

Général François Chauvancy : Poutine a repris l'ascendant médiatique et politique. Il a été en difficulté en 2022. L’affaire Evguéni Prigojine l'a un peu déstabilisé. A partir de décembre 2022, il avait pourtant  commencé à remonter la pente. Souvenez-vous il y a un an, on disait que tous les oligarques autour de lui, les services de sécurité, allaient prendre le pouvoir en le destituant, éventuellement en l'éliminant. Aujourd'hui Poutine a repris la main sur l'ensemble du système. 

On le voit sûr de lui et serein ce qui n'était pas le cas il y a quelques mois. En outre, malgré toutes les analyses d'experts, son armée résiste sur le terrain et a repris l'offensive sur l'ensemble du front.

Les Occidentaux mesurent-ils le prix politique d'une victoire de la Russie ? 

Général François Chauvancy : Aujourd’hui, les discours s’appuient sur des principes. Le principe de non-agression a été transgressé. Au nom du droit international, on ne peut pas le tolérer. Je suis d’accord. Mais sommes-nous capables de repousser l’agresseur à tout prix, y compris en agissant dans la durée ? Or, la victoire de l'Ukraine paraît peu probable pour l'objectif qu'elle s'est fixée: le retour aux frontières de 1991. Je vois mal par ailleurs  les occidentaux accepter de soutenir une guerre pendant des années, encore moins s'engager directement sur le théâtre des opérations, sous une forme ou une autre, dans le cas d'une armée ukrainienne en forte difficulté. Si jamais l'Ukraine ne parvenait pas à gagner, il faudra donc accepter une certaine vision de la défaite et de la victoire de l'un par rapport à l'autre. Il faudra trouver la négociation adéquate pour que ni les uns ni les autres ne perdent la face, ce qui représente aujourd'hui peut-être la plus grande difficulté. Or, défaite et victoire sont deux mots qui fâchent. En tout état de cause, une défaite ukrainienne tout comme une victoire russe auront des conséquences géopolitiques et pas uniquement en Europe.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !