Une étude majeure de l’Université de Cambridge établit qu’une agriculture PLUS productive est aussi… meilleure pour la biodiversité<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Environnement
Des personnes récoltent du coton dans les champs du district de Warangal, en Inde, à quelque 170 km au nord-est d'Hyderabad.
Des personnes récoltent du coton dans les champs du district de Warangal, en Inde, à quelque 170 km au nord-est d'Hyderabad.
©NOAH SEELAM / AFP

Sandrine Rousseau a encore tout faux

Une étude de l’Université de Cambridge fait état d'un lien positif entre une agriculture plus productive et la préservation de l’environnement. Ce principe d’agriculture avec des espaces limités est-il possible dans un monde qui devrait accueillir 10 milliards de personnes dès 2050 ?

Marcel Kuntz

Marcel Kuntz

Marcel Kuntz est biologiste, directeur de recherche au CNRS dans le laboratoire de Physiologie Cellulaire Végétale. Il est Médaille d'Or 2017 de l'Académie d'Agriculture de France

Il est également enseignant à l’Université Joseph Fourier, Grenoble.

Il tient quotidiennement le blog OGM : environnement, santé et politique et il est l'auteur de Les OGM, l'environnement et la santé (Ellipses Marketing, 2006). Il a publié en février 2014 OGM, la question politique (PUG).

Marcel Kuntz n'a pas de revenu lié à la commercialisation d'un quelconque produit. Il parle en son nom, ses propos n'engageant pas son employeur.

Voir la bio »

Atlantico : Une étude de l’Université de Cambridge publiée début octobre fait état d'un lien positif entre agriculture intensive et préservation de l’environnement. Comment expliquer cette approche a priori contre intuitive ?

Marcel Kuntz : Cet article pose la question suivante aux sujets des terres agricoles : concentrer ou étendre notre empreinte ? Il y a depuis le milieu des années 90 un débat scientifique entre ce que l’on appelle en anglais le land sparing et le land sharing. En français, on peut le traduire par épargner des terres ou partager les terres (avec la faune et flore naturelle).

Dans le cas du « partage », un champ est vu comme, en quelque sorte, une réserve naturelle, en tout cas comme devant accueillir le plus possible de vie sauvage, afin de préserver cette dernière en lui fournissant un habitat. C’est évidemment le plus intuitif.

Dans l’autre cas, il s’agit de produire avec les meilleurs rendements sur la surface la plus petite possible pour satisfaire les besoins humains, ce qui permettra de laisser libre des terres pour la vie sauvage. L’idée est que ces terres épargnées seront les plus favorables pour certaines espèces qui sont défavorisées par même les perturbations faibles d’une agriculture à faible rendement.

En fait, ce qui est proposé, comme une solution possible, dans cet article de l’Université de Cambridge, c’est en fait un modèle à trois compartiments : des champs de productions intensives, des zones naturelles non-cultivées, et aussi des poches de cultures extensives à rendements faibles.

Réduire la taille des exploitations tout en garantissent un bon rendement semble impliquer l’emploi d’engrais et autres produits chimiques parfois néfastes à la biodiversité. Cela est-il compatible avec la préservation de l’environnement ?

À Lire Aussi

L'agriculture française peut-elle se réconcilier avec la culture écologique ?

Disons d’abord, que le concept de partage ou épargne n’a pas besoin d’être extrême. On peut très bien explorer un continuum de solutions impliquant des rendements et des zones sous pratique intermédiaire.  Il est bien clair qu’en Europe on ne va pas revenir à une agriculture productiviste, c’est-à-dire qui va produire sans prendre en compte des normes environnementales. D’un autre côté, aucun mode de production agricole ne peut se passer d’engrais, voire même de produits phytosanitaires. Je rappellerais que l’agriculture biologique en utilise : pas les mêmes, mais pas forcément sans impact à long terme.

Comme l’article le souligne, nous aurons besoin de nouvelles technologies. Elles peuvent être plutôt « low tech » ou « high tech ». Dans cette dernière catégorie, on peut citer des variétés de plantes à la photosynthèse (fixation du gaz carbonique) améliorée ou possédant des gènes de résistance aux maladies ou aux ravageurs. Dans la première catégorie, on peut imaginer toute sorte de pratiques agroécologiques.

Ce principe d’agriculture aux espaces limités est-il possible dans un monde qui devrait accueillir 10 milliards de personnes dès 2050 ?

On peut poser la question dans l’autre sens : est-ce que l’agriculture où les rendements sont faibles, soit parce que les meilleures solutions techniques ne sont pas disponibles, soit parce que certaines normes environnementales, dans une vision de land sharing, limitent les rendements, pourra-t-elle nourrir l’humanité ? La question a été largement débattue pour l’agriculture biologique : ses rendements sont en général plus faibles, ce qui mécaniquement impose d’utiliser plus de terres pour produire la même quantité. Sauf quelques idéologues, personnes ne pensent que l’agriculture biologique  pourra seule nourrir l’humanité.

À Lire Aussi

Les Français ont choisi : ils veulent du bio...mais connaissent-ils vraiment les conséquences ?

Il faudra beaucoup de pragmatisme. Sans oublier que la question socio-économique est aussi cruciale : on ne va pas convertir des agriculteurs à de nouvelles pratiques si ces dernières ne leur fournissant pas un niveau de vie acceptable. De plus, le nouveau paradigme inclut aussi le réchauffement climatique : stockons-nous assez de carbone grâce à l’agriculture ?

Cet article de l’Université de Cambridge soutient que des nouvelles données - provenant de régions telles que les Andes, les États-Unis et le Royaume-Uni - suggèrent que « l'épargne des terres » est un allié dans la lutte contre le changement climatique, car les niveaux de stockage de carbone sont plus élevés si la production à haut rendement permet par ailleurs une végétation plus naturelle. Des recherches antérieures du même auteur suggèrent que si 30% des terres britanniques étaient réservées aux bois et aux zones humides, elles pourraient stocker suffisamment de carbone pour compenser presque toutes les émissions de l'agriculture britannique d'ici 2050, en plus de donner un coup de pouce colossal à la faune britannique.

Les pouvoirs publics auraient-ils un rôle à jouer dans la mise en place de telles pratiques ?

Oui, d’autant plus que les solutions seront différentes selon les pays. Donc pas de « modèle » universel à copier. Le besoin de recherche publique agricole est important.  Il est tout aussi important qu’il soit sans idéologie. Ce n’est pas toujours le cas en France… De plus, dans un monde idéal les pouvoirs publics se préoccuperaient des biotechnologies des plantes pour lesquelles l’Union européenne est largement distancée par les Etats-Unis et la Chine. Cet article de l’Université de Cambridge mentionne d’ailleurs explicitement les nouvelles biotechnologies du « gene editing » pour fournir des solutions, évidemment à côté d’autres technologies.

Cet article soutient aussi que des subventions publiques seront nécessaires pour les productions à faible rendement que l’on souhaitera maintenir.

À Lire Aussi

Relocaliser l’alimentation : une vraie bonne idée ?

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !