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Un irlandais à Paris : pires que le Brexit pour l’Europe, les largesses fiscales de Dublin
©EMMANUEL DUNAND / AFP

Vert paradis

Emmanuel Macron rencontre le Premier ministre irlandais Leo Varadkar demain pour aborder la question du Brexit. Mais l’important réside peut-être ailleurs.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : L’Irlande, mauvais élève de l’harmonisation fiscale, continue de faire profiter le reste du monde de ses largesses. L’Irlande veut tirer son épingle du jeu en offrant des dispositions fiscales avantageuses aux grandes entreprises qui se domicilient sur l’île. Concrètement, de quelles dispositions fiscales parle-t-on encore et de quelles données chiffrées dispose-t-on pour quantifier l’ampleur de la disharmonie fiscale avec le reste de l’Europe ?

Michel Ruimy : L’Irlande est, avec le Luxembourg voire les Pays-Bas et, dans une moindre mesure, Chypre et Malte, le pays de la zone euro le plus régulièrement épinglé par la Commission européenne en raison d’une politique favorisant l’optimisation fiscale.

Renoncer aux recettes fiscales pour attirer les entreprises, telle est la stratégie de l’Irlande.Concrètement, cela passe par un faible impôt sur les sociétés (un taux de 12,5%,bien moins élevé qu’en France où il atteint 33%),qui reste l’élément attractif encourageant les investisseurs étrangers à domicilier des entreprises ou filiales en Irlande. Outre ce taux d’imposition, les sociétés utilisent différentes techniques leur permettant de minorer leurbénéfice par des facturations intragroupe (coûts des prêts intra-groupe, royalties sur la marque, les brevets…).

Les bénéficiaires sont essentiellement les grandes entreprises de la technologie (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft…) mais également des multinationales comme Yahoo, Airbnb, Twitter... Ainsi, par exemple, en 2014, Apple a été imposé à seulement 0,005% ! et, selon un rapport du Parlement européen,Google et Facebook auraient fait perdre 5,4 milliards d’euros d’impôts à l’Union européenne (UE) entre 2013 et 2015.

L’importance de cette optimisation fiscale a été soulevée lors de la réforme fiscale de M. Trump en 2017. Le Congrès américain avait estimé que les filiales de grands groupes américains avaient accumulé, depuis des années, près de 2500 milliards de dollars à l’étranger.

Cette « disharmonie » fiscale a des conséquences, à la fois, sur l’Irlande et sur ses voisins.

Ses voisins ont-ils réussi, ces dernières années, à faire pression pour combler ce fossé fiscal ? Y ont-ils intérêt ?

L’harmonisation fiscale divise toujours au sein de l’Union. D’un côté, nous avons la Hongrie et l’Irlande qui ont, de nouveau, exprimé,en 2018, leur opposition à l’instauration de règles communes. La Hongrie, qui affiche le taux européen d’imposition le plus faible (9%), souhaite garder les coudées franches pour attirer les investisseurs. Elle considère que la fiscalité est un objet essentiel de la concurrence entre les États membres. D’un autre côté, la Commission européenne envisage de priver les Etats de leur droit de veto pour lever les oppositions sur l’harmonisation fiscale.

L’intérêt supposé de l’harmonisation fiscale est la lutte contre la concurrence fiscale en contraignant les Etats membres dans l’élaboration de leur politique fiscale. Ceci passe notamment par la fixation de règles concernant les impôts à lever, du taux applicable pour alimenter les budgets nationaux…L’harmonisation fiscale signifie, de ce fait, que les Etats perdraient le contrôle de leurs recettes et se verraient dépossédés de leur liberté démocratique de lever les impôts qu’ils souhaitent.

Pour autant, cela ne permettrait pas à l’Union européenne de bénéficier d’un budget lui permettant de mener les politiques que souhaitent ses citoyens. Cette contrainte est donc sans intérêt.Plutôt que de contrôler des prélèvements fiscaux qui ne lui reviennent pas, l’Union européenne a besoin de la liberté démocratique de lever ses propres impôts pour alimenter son propre budget, sans s’ingérer dans la gestion des recettes fiscales des Etats membres.

Plutôt que de demander une harmonisation fiscale, il serait peut-être judicieux, dans une perspective européenne, d’octroyer des compétences fiscales à l’Union européenne. Par exemple, si nous estimons collectivement qu’un impôt sur les carburants est pertinent, celui-ci devrait être le même dans toute l’Union européenne, lui permettant d’alimenter son budget. Dans le même temps, si un Etat souhaite financer son budget national en imposant les revenus du travail de ses habitants, libre à lui. De la sorte, le fédéralisme budgétaire viserait à accorder, à chaque échelon de décision(local, régional, national et européen), la liberté de décider démocratiquement de ses ressources fiscales c’est-à-dire avoir toute la latitude pour lever ou non les impôts qu’il souhaite (et d’en décider les modalités) afin de constituer son budget, et d’en rendre compte à ses citoyens.

Toutefois, consentir à l’Union européenne les compétences fiscales dont elle a besoin doit s’accompagner d’un contrôle relevant des institutions communautaires. Cette supervision permettrait aux citoyens européens de décider ensemble des politiques qu’ils souhaitent s’appliquer, sans blocage possible des gouvernements nationaux.

Ainsi, lorsque les Etats ou les collectivités sont libres de définir leur politique fiscale, l’innovation politique est permise. La concurrence entre collectivités permettrait de renforcer l’influence du citoyen sur l’action de ses responsables politiques, en dehors des périodes électorales. L’éventualité de partir du territoire imposerait, en effet, aux élus de veiller à l’attractivité de leur région et à la qualité des politiques menées.

L’Irlande peut-elle subir les conséquences néfastes des avantages qu’elle propose ? Par exemple, l’explosion artificielle de son PIB, ou la déconnexion statistique avec la réalité de l’économie ?

Le PIB irlandais révèle à lui seul beaucoup de choses. Le pays a poussé si loin l’art d’absorber la matière fiscale de ses concurrents que son PIB ne dit plus rien de sa santé économique réelle, à tel point que le pays va abandonner le PIB comme étalon de son économie pour lui préférer le revenu national ajusté !

Si l’on considère l’économie allemande comme étalon de mesure et que l’on applique le taux allemand de la durée d’utilisation des équipements et celui de la mobilisation de la main d’œuvre pour calculer le PIB irlandais par habitant, celui-ci n’atteindrait pas, en 2016, 276 milliards mais 185 milliards d’euros ! En d’autres termes, il y a 91 milliards de matière fiscale non réellement produite sur le territoire. Si nous effectuons le même calcul avec la France, nous arrivons à 120 milliards.

Or, ce surcroît de PIB ne se retrouve ni dans l'emploi, ni dans la consommation. L'emploi n'a toujours pas retrouvé ses sommets d'avant crise. Et le poids de la consommation ne cesse de diminuer en proportion du PIB, ce qui témoigne de la décorrélation entre le PIB et l'augmentation des revenus des personnes qui résident et travaillent réellement en Irlande.

Cette « inversion fiscale » où les entreprises se font notamment domicilier en Irlande pour bénéficier des taux d’imposition avantageux, tout en maintenant l'essentiel de leurs opérations et de leur direction dans leur juridiction d'origine, gonfle le chiffre d'affaires des entités juridiques résidant en Irlande, sans engagement réel ni de main d'œuvre, ni de capital. En contrepartie de ce surcroît de PIB, on trouve une hausse équivalente des exportations de biens et services, qui n'ont pas été réellement produits sur le territoire.

Pour prendre la mesure de ce détournement de matière fiscale, il suffit de regarder un indicateur simple : le PIB par habitant. Le classement européen révèle qu’en première position, nous avons le Luxembourg, avec un PIB par habitant qui représente plus du double de celui de l'Allemagne. Puis l'Irlande, avec un PIB par habitant qui surpasse de 49% celui de l'Allemagne. Et enfin la Suisse, supérieur de 30%. Il y a là une aberration manifeste, notamment lorsque l'on sait que l'Irlande ne mobilise que 65% de sa population en âge de travailler dans l'emploi, 10 points de moins que l'Allemagne.

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