Un appel du Nouvel Obs pour une justice environnementale à la mode soviétique<!-- --> | Atlantico.fr
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L'activiste climatique français Camille Etienne lors d'une manifestation à Bordeaux contre huit nouveaux projets de forage de puits de pétrole dans la région du Bassin d'Arcachon, le 11 février 2024
L'activiste climatique français Camille Etienne lors d'une manifestation à Bordeaux contre huit nouveaux projets de forage de puits de pétrole dans la région du Bassin d'Arcachon, le 11 février 2024
©THIBAUD MORITZ / AFP

Dérive totalitaire

Le 22 mai 2024, le Nouvel Obs a publié un appel au Président de la République, « Nous demandons justice pour l’environnement » qui serait le sien, mais qui a été « signé par plus de 70 personnalités ». Pour tout citoyen nourri des grands principes de la démocratie, il y a de quoi tomber de sa chaise.

André Heitz

André Heitz

André Heitz est ingénieur agronome et fonctionnaire international du système des Nations Unies à la retraite. Il a servi l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans son dernier poste, il a été le directeur du Bureau de coordination de l’OMPI à Bruxelles.

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On peut considérer que c'est une manœuvre politico-électoralo-médiatique s'agissant de l'objectif : il faut sauver le soldat EÉLV d'un score éliminatoire, inférieur à 5 % des voix. Et aussi une farce, une guignolade, une de plus, s'agissant du fond. Rien que le titre, « Nous demandons justice pour l'environnement » : l'environnement n'est pas un justiciable (peut-être pas encore...).

Mais il faut au contraire prendre cette démarche devenue une pétition sur Change.org au sérieux et constater qu'elle traduit une dérive inquiétante, une perte des valeurs qui fondent un État de droit et une démocratie.

De qui est cet appel ?

La rédaction explique que l'idée d'un appel – censément du Nouvel Obs – est née « de nombreux échanges avec des magistrats nous faisant part de leur difficulté à juger les atteintes à l’environnement... »

Elle aura sans doute ouvert un numéro vert pour magistrats spécialisés désireux de s'épancher sur leur vague à l'âme (ironie). Cela sous-entend toutefois un improbable manquement des magistrats à leur devoir de réserve. Bref, on peut trouver cela fort curieux sans être complotiste.

Une vingtaine de « grandes personnalités » de divers horizons, des « grandes associations environnementales » et les « deux premiers syndicats de magistrats » auraient rapidement accepté de signer. On en trouve la liste au bas de l'appel.

Les stratèges de cette opération ont ensuite proposé à « des intellectuels, artistes et responsables politiques de tous les partis républicains » (quelle en est la définition ?) d’apporter leur soutien. Cela porte le total des « personnalités » à « plus de 70 ».

Il serait sans doute délicat de commenter cette liste. Mais on peut sans doute affirmer qu'elle est diversifiée et étonnante.

Quatre personnes signent en tant qu'anciennes ministres. On pourrait du reste reprocher à certaines d'avoir contribué à la situation de fait et de droit qu'elles déplorent, voire condamnent, aujourd'hui...

Le mélange des genres pratiqué par des syndicats de la magistrature ne nous surprend plus. Ce n'est pas le cas de la présence des personnes ayant signé en tant que « magistrat », surtout qu'elles sont associées à des personnes et des entités dont l'instrumentalisation de la justice est un élément du fond de commerce.

Et pour bien alimenter son propre fond de commerce, le Nouvel Obs a produit pour son dernier numéro une couverture associant Mme Camille Étienne – promue au rang de grande personnalité – au premier plan et M. François Molins au second.

On revient ainsi aux méthodes anciennes, telles qu'illustrées par l'historique « Oui, les OGM sont des poisons ».

Une mise en route grandiloquente... pour une revendication somme toute triviale...

L'ouverture ne pouvait qu'être fortissimo :

« Pour la première fois de l’Histoire, en modifiant sans précaution les grands équilibres écologiques de la planète, notre espèce est capable de provoquer sa propre extinction. »

Mais, à la suite de l'inévitable catalogue des malheurs qui nous frappent et qui nous frapperont encore plus (sauf si...), on trouve un catalogue qui peut se résumer en trois mots : « plus de moyens ».

...avec des allégations qui posent problème

C'est accompagné et entrelardé d'allégations dont l'une nous agrée : il y a « une surabondance des lois qui rend la législation peu claire ». C'est signé, peut-être à l'insu de leur plein gré, par des personnalités qui y ont contribué par le passé en tant que titulaires d'une charge élective ou même ministérielle.

Mais voici le catalogue :

  • « [L]es atteintes à l’environnement […] ne sont pas sanctionnées à la hauteur des drames qu’elles provoquent. » Il faut donc croire que l'échelle des peines, déterminée par le pouvoir législatif, est trop courte. Il y a des agriculteurs, par exemple « coupables » d'avoir curé un fossé, qui apprécieront...

  • « En particulier, la réponse pénale à la délinquance environnementale – troisième activité criminelle la plus rentable dans le monde – demeure insignifiante. » On est dans le même registre, avec une référence incongrue à ce qui se passe(rait) dans le monde. Peut-être faudrait-il sanctionner en France l'abattage illégal d'un arbre à l'aune des préjudices causés par la déforestation en Amazonie...

  • « Ce contentieux représente moins de 1 % des affaires jugées par les tribunaux français, contre 2 % dans les années 1990. » Un esprit rationnel trouverait par exemple que la situation s'est largement améliorée – ou que les autres types de délits ont tellement augmenté que la part de l'environnement s'en trouve réduite. Dans le contexte de cet appel, c'est plutôt le regret que la justice ne fasse pas suffisamment de « chiffre ». Et, cerise sur le gâteau, Mme Géraldine Woessner a constaté dans un fil sur X (ex-Twitter), références à l'appui, que l'allégation statistique était fausse.

  • « Une majorité d’atteintes se règlent par des procédures alternatives (rappel à la loi, régularisation…). Et les condamnations prononcées demeurent, dans l’immense majorité des cas, dérisoires. Ce qui confère aux pollueurs et autres délinquants environnementaux une forme d’impunité. » C'est là, sans doute, le plat principal : une mise en cause fondamentale du fonctionnement de la justice, qui ne serait pas suffisamment punitive, à l'instar de cette écologie dont nombre des signataires de l'appel se font les chantres et promoteurs.

  • « Pour répondre à l’attente de justice légitime de nos concitoyens, nous vous demandons donc de faire de la lutte contre les atteintes environnementales une priorité nationale. » C'est donc la justice à deux vitesses qui est demandée – c'est bien le résultat du mot « priorité ». La référence à une « attente légitime » est tout aussi problématique par sa démagogie. Gageons qu'une telle attente ne serait sans doute pas légitime, pour nombre de signataires, si elle concernait les préoccupations promues ou instrumentalisées par des partis d'un autre bord politique.

  • Les lois étaient-elles surabondantes et la législation peu claire selon un paragraphe précédent ? « Cela exige […] de renforcer la législation actuelle, toujours inadaptée, en adoptant des lois plus robustes, plus compréhensibles, et plus contraignantes pour dissuader les contrevenants. » L'écologie punitive, encore une fois... Et comme Gribouille législateur répugne à abroger les lois inutiles ou inapplicables ab initio ou devenues obsolètes, on peut imaginer le résultat si d'aventure – Heaven forbid ! – l'appel trouvait grâce chez le champion du « en même temps ».



Une inquiétante dérive totalitaire

Ajoutons à ce constat déjà effrayant sur le fond que, sur la cinquantaine de signatures en quelque sorte du deuxième tour, on compte deux têtes de liste pour les élections européennes et onze titulaires d'un mandat électif, dont quatre avec des responsabilités de direction au sein de leur groupe.

Le pire est cependant que cette opération ne fait pas réagir grand monde, peut-être même personne, au moins pour le moment. Ce n'est pourtant pas un simple coup médiatique : le Nouvel Obs en a fait sa couverture et ne s'est pas limité pour les signatures aux habitués de la pétition. La prose peu ragoutante de l'appel, s'ajoutant à d'autres atteintes à nos valeurs fondamentales au nom d'une urgence environnemtale alléguée, contribue à un phénomène d'accoutumance.

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