Révolution tunisienne : il était une fois la gifle...<!-- --> | Atlantico.fr
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Portrait de Mohamed Bouazizi devant sa mère en larmes.
Portrait de Mohamed Bouazizi devant sa mère en larmes.
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Conte arabe de printemps

Le printemps arabe aurait été déclenché par la gifle assénée par Fayda Hamdi, une policière, à Mohamed Bouazizi, un jeune diplômé sans emploi de la ville tunisienne de Sidi Bouzid qui s'était ensuite immolé par le feu. Il semblerait en fait que la gifle n'ait jamais été donnée et que le diplômé ne l'ait pas été. Décryptage d'un story-telling révolutionnaire ultra efficace.

Etienne  Augé

Etienne Augé

Étienne Augé est spécialisé en propagande et diplomatie publique. Il a enseigné la communication et le cinéma de masse pendant dix ans au Liban et en Europe centrale. Il est aujourd'hui "Senior lecturer" en communication internationale à l'Université Erasmus de Rotterdam, et vient de publier son premier roman, Loubnan.

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L’Histoire se nourrit d’histoires. Ce que l’on enseigne dans les écoles françaises n’est pas le passé exact du peuple français mais sa mythologie, qui permet à ceux qui l’adoptent de se sentir partie d’une même histoire et donc d’une même société. De la même manière, les événements mondiaux ont besoin d’être contextualisés, que le spectateur leur trouve un sens. Fournir des faits bruts n’est pas satisfaisant, l’observateur a besoin de « comprendre », c’est-à-dire de discerner un ordre rationnel dans le déroulement d’incidents qui parfois n’ont pas de suite logique. Les médias remplissent souvent ce rôle de troubadours, et fournissent leur ration quotidienne d’histoires aux spectateurs qui se sentent ainsi témoins de l’Histoire. Le danger consiste à prendre un détail pour l’ensemble du tableau.

Croire qu’une gifle ait pu déclencher une révolution en Tunisie revient à admettre que les Etats-Unis sont rentrés en guerre à cause de Pearl Harbor. Une multitude de phénomènes sont à prendre en compte lorsqu’on entend étudier avec précision le cours des événements de l’Histoire. Dans le cas de la Tunisie, la légende d’une révolution moderne, « facebook » mais aux odeurs de jasmin a été infusée et vendue comme telle aux spectateurs français trop heureux de revivre un remake de leur propre révolution.

Cette belle histoire n’était pourtant pas évidente au départ. Comment expliquer aux Français, habitués à vivre en bonne harmonie avec une dictature méditerranéenne, la nécessité d’un changement radical ? Les hommes politiques français entretenaient une relation privilégiée et durable avec le régime de Ben Ali, comme l’a montré avec fracas l’affaire Alliot-Marie. Quant au peuple français, l’attrait d’un pays politiquement stable, peu onéreux et disposant de soleil en abondance compensait l’horreur que l’on pouvait éprouver devant une dictature autoritaire. La mondialisation est perçue comme une menace en France. Cette peur n’empêche pas chacun d’y contribuer en achetant des cafetières chinoises fabriquées dans des sweat shops ou de profiter d’un hôtel 5 étoiles sur une plage tunisienne à un jet de pierre d’une prison remplie d’opposants politiques favorables à la liberté.

Que la gifle d’un policière en Tunisie ait existé ou pas n’a finalement pas d’importance, l’histoire reste trop belle et il importe peu qu’elle ait vraiment eu lieu. Encore aujourd’hui, le citoyen averti préfère croire à de belles légendes où les méchants et les gentils sont clairement identifiés, plutôt qu’à une vérité plus nuancée qui montre la banalité du mal.

L’Histoire officielle est donc parsemée de ces contes de fées moraux qui expliquent simplement les origines des hauts faits d’armes. Le souvenir de la résistance héroïque de l’URSS contre les armées nazies occulte le pacte germano-soviétique ou le massacre de Katyn. La France commémore également la Résistance contre l’envahisseur et décrète que tout est de la faute de Pétain, héros discrédité par les mêmes qui l’avaient hissé sur un piédestal durant la Première guerre mondiale. En Tunisie, le méchant sera Ben Ali, bientôt jugé pour ses méfaits, mais on oubliera tous ceux qui ont permis le maintien de sa tyrannie pendant tant d’années. Car traduire en justice tous les complices reviendrait à accuser aussi ces Français qui ne voyaient pas d’inconvénient à collaborer avec une dictature aussi ensoleillée. L’histoire de la vraie-fausse gifle est finalement plus acceptable et on connaît la fin du conte : dans le monde arabe, la révolution tunisienne a eu beaucoup d’enfants. Pour la plus grande joie du peuple français qui voit déjà revenir les publicités vantant le soleil de Tunisie.

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