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Transhumanisme : entre l'homme réparé, l'homme augmenté et l'homme enlisé dans la pauvreté, saurons-nous échapper à un remake de la concurrence mortelle entre Homo Sapiens et Neandertal ?
©DR

Mort à la mort

Guérir, réparer, mais également augmenter les capacités physiques et intellectuelles de l'humanité... Le transhumanisme modifie notre rapport à la vie et à la mort et pose la question d'une nouvelle civilisation.

Robert Redeker

Robert Redeker

Robert Redeker est né le 27 mai 1954 à Lescure dans l'Ariège. Agrégé de philosophie, il est l'auteur de nombreux livres et collabore à diverses revues et journaux. Il a notamment publié Le Progrès ou l'opium de l'histoire (2004), Egobody : La fabrique de l'homme nouveau (2010), L'emprise sportive (2012), Bienheureuse vieillesse en 2015.

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Roland Moreau

Roland Moreau

Roland Moreau est biophysicien et inspecteur général des Affaires sociales.

Il a notamment écrit L'immortalité est pour demain (Bourin Editeur, 2010). 

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Atlantico : Le rêve transhumain est de développer nos performances pour ressembler plus aux machines… Allons-nous vers une robotisation de l’homme ? 

Robert Redeker : Je ne crois pas que ce soit la transformation de l’humanité en une population de robots qui s’annonce. L’intelligence, la conscience et la liberté seront l’apanage de ces transhumains autant qu’elles sont les nôtres. Il est probable que leur intelligence, au sens opérationnel du mot, comme intelligence opératoire, combinatoire et fabricatrice, sera plus développée que la nôtre. Mais ce sont surtout les facultés et les performances corporelles qui seront très supérieures aux nôtres. L’immortalité sera l’espoir fou et impossible de ces transhumains. Elle sera sans doute leur drame et leur détresse. 

Roland Moreau : Le rêve transhumaniste consiste à améliorer et décupler les capacités humaines par l'utilisation des sciences et des technologies (génétique, informatique, neurosciences...) pour aboutir au nouveau paradigme de "l'homme augmenté". Mais dès à présent, la frontière entre l'homme et les robots tend à s'estomper et les "cyborgs" ne relèvent plus de la science-fiction. Nous croisons chaque jour dans la rue des centaines de personnes porteuses d'un pacemaker, de prothèses auditives et, plus récemment, d'une électrode implantée dans le cerveau et reliée à un émetteur placé sous la peau. Des expérimentations humaines sont en cours pour l'implantation d'un cœur artificiel, d'une rétine artificielle, d'un bras articulé commandé par le cerveau. Des interfaces cerveau-ordinateur vont permettre aux tétraplégiques d'utiliser un ordinateur à partir de l'activité de leur cerveau. Toutes ces recherches visent à remplacer un organe défaillant, à "réparer" une fonction, et à compenser un handicap par la jonction de l'homme et de la machine. Mais le rêve transhumaniste va au-delà de la réparation, il s'agit d'augmenter les capacités physiques et intellectuelles humaines jusqu'à l'accroissement de l'espérance de vie, qui aboutira peut-être un jour à l'immortalité.

En déclarant la guerre à la mort, le transhumanisme serait-il une rupture anthropologique? 

Robert Redeker : En apparence, oui. Mais la maladie et la mort réussiront, comme toujours, à se frayer un chemin dans cette néo-humanité. Ces deux ennemies sont aussi les deux meilleures alliées de l’homme. Leur persistance donne à espérer. C’est le combat contre la première et le mystère de la seconde qui maintient l’humanité de l’homme. Mieux : ce sont elles en effet qui empêchent le cœur humain de se dessécher. Un autre argument importe, en lien avec Lacan : nous ne devenons hommes que parce que nous savons que nous allons mourir. C’est la découverte de notre mortalité qui fait de nous des hommes. L’homme et la mort ont leurs destins liés. Si vous supprimez la mort, vous supprimez l’homme. Autrement dit : pour empêcher la déshumanisation de l’homme, il faut compter sur la maladie et la mort.

Roland Moreau : Plutôt qu'une rupture anthropologique, il s'agit d'une évolution qui procède par des acquis successifs. La thérapie génique fait des progrès considérables, qui ne sont guère relatés dans la presse écrite. Depuis quelques années, des maladies génétiques, certains cancers et des hémopathies font l'objet d'expérimentations humaines dont les résultats sont très encourageants. Il faut aussi souligner que les équipes de recherche françaises sont particulièrement bien placées, grâce aux crédits du Téléthon. La thérapie génique va permettre de guérir des milliers d'enfants et d'adultes atteints de maladies mortelles et très invalidantes. Quelques voix se sont faites entendre pour critiquer cette technique, pour des raisons religieuses. Il s'agit de quelques intégristes qui estiment sans doute, comme Ignace d'Antioche, qu'il convient de valoriser la souffrance !

Le risque n’est-il pas, avec les hommes augmentés (et pas seulement réparés) de créer une “race” d’hommes qui supplantera celle existant déjà, comme l'homo sapiens a mis sur la touche l'homme de Néanderthal ?

Robert Redeker : L’homme (ou la femme) augmenté(é) est un maillon intermédiaire entre l’homo sapiens et l’homme transhumain que vous évoquez. Plus qu’un risque, il s’agit d’un horizon vers lequel nous nous acheminons. Le sport et le show-business en sont les laboratoires visibles par chacun ; nous rencontrons dans ces deux domaines des mutants, plus tout à fait hommes ou femmes au sens habituel et hérité de l’histoire. Moralisatrice, la science nous dit que les races n’existent pas. Pourtant, un certain usage de la science, celui qui transparaît dans l’idéologie transhumaniste, qui s’applique pleinement dans le sport-spectacle et le show-business, revient à fabriquer une nouvelle race d’êtres humains appelée à déclasser les humains encore "naturels", voire à se servir d’eux à la fois comme prolétaires plus ou moins esclaves et comme réserve d’organes. Cette idéologie est présente partout dans notre société, à doses plus ou moins homéopathiques, aussi bien dans la chirurgie du cœur artificiel que chez les utilisatrices de Botox et les habitués du Viagra. 

Roland Moreau : A long terme, le risque d'une société duale composée d'hommes "augmentés" et d'hommes "naturels" est en effet réel.Il convient donc de s'inscrire dès à présent dans une démarche éthique. Le point de départ de la réflexion pourrait consister, dans le domaine de la thérapie génique, à tracer une frontière éthique qui distinguerait clairement le traitement d'une maladie incurable d'une part et la thérapie pour "convenance personnelle" d'autre part. Le traitement des maladies incurables doit être ouvert à tous, sans aucune restriction, mais l'ingénierie génétique pour un allongement déraisonnable de la vie ou, pire encore, à des fins d'eugénisme devra évidemment être proscrit. En dehors de la thérapie génique, en revanche, il ne faut pas sombrer dans un moralisme excessif : les malades en grande insuffisance cardiaque doivent pouvoir bénéficier d'un coeur artificiel et les adeptes du Viagra et du Botox ne doivent pas être culpabilisés ! 

Tous les progrès techniques ne devraient-ils pas être conçus dans l’objectif de réaliser l’humanité de l’homme et non pas de la transformer ? 

Robert Redeker : Ce que vous appelez humanité de l’homme existe indépendamment de ces progrès. Souvent, même les progrès s’avèrent déshumanisants. L’homme d’aujourd’hui n’est pas meilleur, ni moins humain, que celui du XVIIIème siècle. Cette humanité de l’homme a été réalisée dès qu’il y a eu civilisation. Dans ce domaine, on ne peut pas aller plus loin. Les progrès techniques rendent la vie humaine plus facile, plus confortable, l’allongent, soignent les maladies, mais ils ne nous rendent pas plus humains pour autant. C’est en plein XXème siècle que s’accomplit la Shoah, que se remplissent les goulags, à l’âge du triomphe de la science et de la technique. Si l’humanité de l’homme tient dans la pensée, les progrès techniques n’y changent rien : les anciens Grecs, ou Saint Augustin, ou Pascal, pensaient aussi profondément – et probablement plus – que les penseurs actuels. Le Moyen-Âge pensait aussi bien que nous. Bref, il y a des progrès techniques, il n’y a pas de progrès humains. 

Roland Moreau : Toute idéologie ou toute religion qui vise à transformer l'homme est par définition totalitaire. Les exemples du siècle dernier et les évènements actuels sont  édifiants ! Pour autant, je pense qu'il ne faut pas rejeter en bloc le progrès scientifique et le corréler avec une supposée stagnation du progrès humain. Je pense au contraire qu'en-dehors des deux catastrophes du nazisme et du stalinisme, l'humanisme a beaucoup progressé au cours du XXème siècle, qu'il s'agisse de la lutte contre le racisme, du droit des femmes ou de la décolonisation.

L’homme est un être relationnel, comme nous le montrent les récentes innovations de l'économie collaborative. Or, selon la vision transhumaniste, l’homme machine est un être isolé maître et possesseur de la nature, prolongation de la rationalité cartésienne. Comment le vivre ensemble pourrait donc être possible avec des robots anthropomorphes ?

Robert Redeker : La neutralisation de la politique par la technique est déjà à l’œuvre dans notre société. Cette tendance s’appelle l’expertocratie, la gouvernance par le (pseudo) savoir. Tous ceux qui affirment "on (la science économique) sait ce qu’il faut faire pour sortir de l’impasse, il n’y a pas d’autre choix possible", tombent dans ce piège. La politique est l’espace des choix, pas l’obéissance à la science ou à la technique. L’expertocratie tend à substituer les savants aux citoyens. Evidemment, il s’agit d’une illusion, dans la mesure où le domaine politique est, comme Aristote le savait, celui du sublunaire (du lieu de l’univers non soumis à la régularité du déterminisme), c’est-à-dire, toujours pour parler comme Aristote, le domaine de l’opinion et de son arbitraire, non celui de la science. Le transhumanisme pousse à l’extrême cette neutralisation. L’idéologie transhumaniste est une utopie antipolitique.

Roland Moreau : La cohabitation de "transhumains immortels"et "d'humains normaux" serait assurément une régression abominable qui aboutirait à un monde proche de la mythologie grecque, avec des dieux dotés de pouvoirs considérables et des "mortels" à leur service. La cohabitation des hommes normaux avec des robots anthropomorphes existe déjà, en particulier pour l'accompagnement des personnes âgées au Japon. Certains de ces robots sont capable de mener une conversation et de détecter, sur le visage de leur interlocuteur, une tristesse, une fatigue ou une joie. Pour l'heure, il n'y a rien à craindre des robots : ils sont bienveillants !

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