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Transformer notre système d’assurance sociale en système de protection sociale : la vraie révolution qu’Emmanuel Macron présente timidement... sans paraître en mesurer les risques ?
©CHARLES PLATIAU / POOL / AFP

Fausse bonne idée ?

Lors de son discours devant le Congrès à Versailles, Emmanuel Macron a déclaré vouloir "construire l'Etat-providence du 21e siècle". Une ambition risquée pour le président mais aussi pour les Français.

Marc de Basquiat

Marc de Basquiat est consultant, formateur, essayiste et conférencier. Fondateur de StepLine, conseil en politiques publiques, il est chercheur associé du laboratoire ERUDITE. Il préside l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE) et intervient comme expert GenerationLibre. Il est diplômé de SUPELEC, d'ESCP Europe et docteur en économie de l'université d'Aix-Marseille. 

Son dernier ouvrage : L'ingénieur du revenu universel, éditions de L'Observatoire.

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Atlantico : Lors de son discours devant le Congrès, ce 9 juillet a pu déclarer : ​"La priorité de l’année qui vient est simple : nous devons construire l’État-providence du 21ᵉ siècle. Couvrant davantage, protégeant mieux, s’appuyant sur les mêmes droits et devoirs pour tous."​ Dans quelle mesure une telle déclaration peut-elle représenter un véritablement du modèle social français, passant d'un système mixte -Entre beveridgien et biscmarckien - à un système beveridgien (universalité et uniformité des prestations) ? 

Marc de Basquiat : Cela fait plusieurs mois qu’on l’attendait : le Président de la République a enfin levé un petit coin du voile sur ses intentions en matière sociale. Son angle d’attaque est explicite : poursuivre la réforme de l’assurance chômage, qu’il ambitionne de basculer d’une logique d’assurance sociale (système bismarckien) – où chacun met de côté pour couvrir son propre risque – vers une logique de solidarité universelle (système beveridgien), façon « un pour tous, tous pour un ! ». 

Le président Macron a longuement fait référence à la première réforme déjà réalisée : « L’assurance chômage aujourd’hui n’est plus du tout financée par les salariés. Elle est financée par les cotisations des employeurs et par la CSG. Cette transformation, il faut en tirer toutes les conséquences ». 

Il convient de modérer son enthousiasme, en consultant les taux de cotisation à l’assurance chômage publiés par l’administration. Depuis 2017, la cotisation employeur est passée de 4,0% à 4,05%, la participation du salarié de 2,40% à 0,95%. La diminution de 1,4% des cotisations chômage est largement compensée par l’augmentation de 1,7% de la CSG acquittée par le salarié. La conclusion qu’en tire le Président Macro parait donc très excessive : « Il n’y a plus un droit au chômage, au sens où on l’entendait classiquement. Il y a accès à un droit qu’offre la société, mais sur lequel on ne s’est pas garanti à titre individuel, puisque tous les contribuables l’ont payé ».

L’assurance chômage qui était jusqu’ici « bismarckienne » dans son financement comme dans ses prestations (chacun reçoit plus ou moins selon ce qu’il a cotisé) est devenue ambiguë. L’introduction de cette confusion est-elle un progrès ? On peut en douter.

D’un autre côté, on peut saluer la volonté affichée avec force de « construire l’Etat providence du 21ème siècle : émancipateur, universel, efficace, responsabilisant ». Le président assume les conséquences de cette multiplicité d’objectifs, et donc la nécessité de les hiérarchiser : « Je veux d’une stratégie de lutte contre la pauvreté qui ne permette pas à nos concitoyens pauvres de vivre mieux, mais bien de sortir de la pauvreté, une bonne fois pour toutes ». C’est ambitieux et courageux. 

Quels sont les moyens de mise en oeuvre d'un tel système ? Quels en sont les risques pour Emmanuel Macron ? 

La poursuite d’une réforme de l’assurance chômage dont le financement basculerait totalement vers l’impôt mettra inévitablement en question le niveau des prestations versées. Pourquoi verser 7 000 euros par mois à un cadre au chômage, si son allocation est financée par la CSG versée par des citoyens dont les salaires ou pensions de retraites sont bien inférieurs ? L’inactivité dorée financée par cette solidarité chômage universelle serait peu légitime. Un financement beveridgien, par l’impôt, ne peut servir qu’une prestation également beveridgienne, c’est-à-dire d’un montant identique (modéré) pour tous ses bénéficiaires. 

Ce choix de démanteler l’assurance chômage bismarckienne, qui prévoit des prestations chômage élevées pour ceux qui ont cotisé largement, ne pourra pas être fait à la sauvette, entre partenaires sociaux. Un débat démocratique devra impliquer l’ensemble des acteurs, dont les salariés qui ont le plus à perdre à ce changement de philosophie. 

Le deuxième point laborieux est la sempiternelle tentative d’équilibrer droits et devoirs : « Nous allons transformer notre système de solidarité pour le rendre tout à la fois plus universel et plus responsabilisant. C’est-à-dire accompagner toute personne qui le peut vers une activité professionnelle, même à temps partiel, et exiger de chacun qu’il prenne sa part dans la société, à sa mesure ».Cette prise de position a été applaudie par le Congrès, même si l’échec du volet insertion prévu dans le RMI, ainsi que l’ambition déçue d’activation du RSA, ont mis en évidence l’illusion d’une coercition exercée par l’Etat à l’égard des plus fragiles de la société. 

Même s’il condamne clairement l’accusation d’assistanat qui exclut les plus fragiles de notre société, le Président Macron n’a pas encore intégré la constatation du sociologue Alain Caillé : « la seule chose quela société soit en droit de demander positivement,ce n’est pas de l’utilité, indéterminable, maisde l’initiative, de la vie et de la participation effectiveà la production de la collectivité par elle-même ».Tant que cette sagesse n’aura pas été acceptée, l’Etat s’épuisera à chercher des contreparties auprès de personnes qui ont surtout besoin de liberté, de flexibilité, d’aideet d’encouragements pour exprimer leur contribution à la société. 

La voie que semble tracer le Président Macron présente donc deux risques : dissoudre la légitimité de l’assurance chômage ; passer à côté de l’inconditionnalité qui seule permet l’universalité, l’efficacité et l’émancipation des plus fragiles, en les mettant réellement face à leurs responsabilités.

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