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Tous Friends : la cohabitation d’adultes peut-elle être une solution pour gérer la grande épidémie de solitude contemporaine ?
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L'Auberge espagnole

Selon une étude américaine, vivre seul augmenterait le risque de mortalité de 32%. Face à ce constat, l'architecte Grace Kim pense que la cohabitation entre adultes pourrait être une solution aux sentiments de solitude et d'isolement.

Alain  Mergier

Alain Mergier

Alain Mergier est sociologue et sémiologue. Il est le co-fondateur et le dirigeant de l'Institut Wei.

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Atlantico : Que pensez-vous de la proposition de l'architecture Grace Kim, qui consiste à développer la cohabitation entre adultes afin de lutter contre la solitude ?  

Alain Mergier : L'architecte et l'urbaniste ont un rôle important à jouer dans des sociétés où la solitude se développe. L'architecture s'est beaucoup concentrée sur l'organisation des espaces de vie internes aux logements mais a délaissé l'organisation des espaces communs en tant qu'espace d'urbanité. Dans un immeuble type, le seul espace de rencontre est l'ascenseur qui, comme chacun en fait l'expérience, est un espace de promiscuité corporelle et non de convivialité interpersonnelle. Le projet de Grace Kim est passionnant car il est une avancée dans la façon de penser les réalités résidentielles dans les sociétés contemporaines. Penser les espaces de vie, ce n'est pas organiser des formes de socialité, c'est donner lieu à des potentialités de socialité. Je comprends son projet non dans une optique curative -comment soigner cette maladie qu'est la solitudemais comme une façon de prendre en compte les transformations des nécessités relationnelles de nos sociétés. La  solitude, telle que je l'entends, n'est pas une maladie de nos sociétés, c'est le symptôme du retard qu'elles prennent face aux transformations de nos vies.

Il faut distinguer deux choses : la question de l'isolement et celle de la solitude. Confondre les deux conduit à cette idée qu'il faut rompre la solitude des personnes qui y ont basculé. On peut sortir des personnes de leur isolement, comme on extirpe quelqu'un d'un piège, mais la solitude est d'un autre ordre. Si l'isolement est un état, la solitude est une souffrance. L'isolement se rapporte à des situations dans lesquelles les individus vivent à l'écart des autres : isolement résidentiel, géographique, éloignement familial, défaut de transport... L'enquête réalisée avec la Fondation de France montre que la solitude, en tant que souffrance, résulte du sentiment non pas tant qu'on ne peut compter sur personne mais surtout que personne ne compte sur vous. La souffrance de la solitude résulte du sentiment d'être inutile aux autres. L'Observatoire de la solitude de la Fondation de France montre que la solitude se développe depuis une dizaine d'années, non pas tant auprès de personnes géographiquement isolées, mais au contraire dans des populations urbaines, non pas seulement chez des personnes âgées mais dans des tranches d'âge de 35 à 45 ans ; non pas seulement auprès de personnes exclues du monde du travail mais -et c'est particulièrement significatif- en milieux professionnels. Les personnes isolées sont évidemment plus exposées à la solitude, mais le symptôme contemporain est la solitude des inclus. 

Comment peut-on juger de cette souffrance de la solitude en France ? La proposition de Grace Kim pourrait-elle trouver un écho dans notre pays où, selon une étude de l'Insee de 2016, il y aurait 18 millions de célibataires ? 

Selon l'Observatoire de la solitude de la Fondation de France, plus de 10% de la population française souffre de solitude. Ce chiffre progresse régulièrement d'année en année. Cette solitude peut être transitoire, ce qui ajoute paradoxalement à la gravité de ce symptôme. La solitude contemporaine est une misère sociale qui guette tout un chacun. Ce phénomène s'amplifie et il est protéiforme. Les approches architecturales et urbanistiques sont incontournables, mais conjointement au travail des associations de proximité. J'ajouterai que les concepts managériaux qui règnent aujourd'hui dans les entreprises ont une part importante de responsabilité dans le développement de la solitude en milieu professionnel. 

Quels sont les origines et les facteurs aggravants de cette solitude ? Est-ce une évolution inéluctable de la société poussant l'individu à s'émanciper individuellement ?

Comme tous les problèmes de société, il n'y a jamais une seule cause qui les explique, c'est un ensemble complexe de facteurs. Je ne dirai pas que la solitude progresse parce que la société pousse les individus à se passer des autres. Je pense que c'est même l'inverse. Il y a une norme qui est celle de l'autonomisaiton des individus selon laquelle revient à chacun de définir son destin en se libérant des surdéterminations liées à ses appartenances familiales, sociales, culturelles. Cette responsabilité que les individus ont vis-à-vis d'eux-mêmes suppose la reconnaissance de la part des autres. Je dois être reconnu par les autres en tant qu'individu responsable de mon destin. Mais, et ceci est capital, la reconnaissance ici ne se résume pas à des mots confortants ou réconfortants, c'est une reconnaissance en acte. Je ne suis reconnu que si les autres attendent quelque chose de moi. N'importe quel salarié dans n'importe quelle entreprise en porte témoignage. Plus l'individu s'est désaliéné de ses appartenances sociales, plus il doit s'exposer aux attentes des autres. Les solitudes contemporaines me semblent résulter de ce paradoxe de l'autonomie qui, in fine, fragilise l'individu qu'elle renforce.

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