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Tournant en biologie : où l’on reparle de l’hérédité des caractères acquis
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Inné versus acquis

De nombreuses études scientifiques changent désormais la donne, en matière d'hérédité : l'épigénétique remet sur la table le débat de l'inné et de l'acquis.

Romain Barrès

Romain Barrès

Romain Barrès est professeur agrégé d'épigénétique, à l'université de Copenhague

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Les résultats de plusieurs études scientifiques, notamment une étude de notre groupe publiée dans Cell Metabolism, sont en train de bouleverser notre perception de l’hérédité. L’exploration des phénomènes que l’on appelle épigénétiques change la donne de la recherche en biologie. Ces avancées remettent au goût du jour la théorie de Jean-Baptiste Lamarck, vieille de plus de 200 ans, selon laquelle certains caractères acquis par l’hérédité pourraient être transmis à la génération suivante. Ainsi notre santé pourrait être conditionnée par l’environnement dans lequel nos ancêtres ont vécu avant de nous concevoir. Outre leurs gènes, ils nous auraient transmis, via ces phénomènes, des informations capables de modifier notre physiologie.

Quand on évoque l’épigénétique, de quoi parle-t-on ? La molécule d’ADN, présente au sein de chaque cellule du corps, contient tous les gènes qui nous constituent. Comme dans un livre de recettes, ils sont les ingrédients de base qui permettent de produire (les spécialistes disent « exprimer ») des protéines, molécules qui effectuent des tâches spécialisées : par exemple la détermination du groupe sanguin d’un individu. Bien que chacune des cellules de notre organisme contienne une copie identique d’ADN, tous les gènes ne s’expriment pas dans tous les tissus : les gènes du muscle s’expriment uniquement dans le muscle, et non pas dans la peau ou les reins.

A lire aussi, la seconde partie de cet article : Tournant en biologie : je suis le vécu de mes ancêtres

Les informations épigénétiques sont autant d’indications pour nos cellules. À partir d’elles, la machinerie cellulaire « sait » allumer ou éteindre quel type de gène selon tel ou tel tissu : activation des gènes de muscle dans le muscle, désactivation dans le rein. Ces marques sont, en somme, des sortes de post-it, des étiquettes collées sur certaines pages du livre de cuisine, indiquant à nos cellules d’exécuter telle ou telle recette en fonction du tissu dans lequel elles se trouvent, mais également en fonction de l’âge de l’individu ou encore en réponse a des stimuli particuliers. Dans nos cellules sexuelles, les spermatozoïdes et les ovules, les marques épigénétiques aident à déterminer la séquence des événements du développement embryonnaire et par conséquent, jouent un rôle primordial dans la constitution de l’organisme d’un nouvel individu.

La transmission de caractères acquis par hérédité a longtemps été étudiée chez les plantes ou les insectes. Ce n’est que récemment que des études ont permis d’étendre le phénomène aux mammifères. Notamment, les résultats de chercheurs nord-américains qui ont utilisé un modèle animal pour déterminer si le stress pouvait se transmettre aux générations suivantes. De légers chocs électriques ponctuels furent appliqués sur des souris mâles et furent systématiquement associés à la présence d’une odeur spécifique, jusqu’à l’obtention d’un réflexe de peur conditionnée (une peur provoquée par la seule présence de l’odeur). Les mâles conditionnés furent ensuite accouplés à des souris femelles et immédiatement retirés des cages pour éliminer une possible influence sur la grossesse ou la portée.

Transmission générationnelle

Les résultats ont prouvé que le réflexe conditionné se transmet à la génération suivante ; en présence de l’odeur, la descendance montre un comportement de prostration alors que les animaux dont les pères n’ont jamais reçu de chocs électriques ne répondent pas à la présence de l’odeur. Étonnamment, cette transmission fut également étendue à la génération suivante ; les « petits enfants » des souris conditionnées par des chocs électriques répétés montraient aussi une attitude de prostration dans leur cage.

Puisque la transmission s’est faite par le père, ces observations suggèrent fortement que l’information passe par les cellules sexuelles des mâles, les spermatozoïdes. L’analyse moléculaire des spermatozoïdes des pères conditionnés mit alors en évidence qu’un gène essentiel à la perception de l’odeur (celle utilisée pour établir le réflexe) était porteur de marques épigénétiques.

Comme les traumatismes psychologiques, les déséquilibres nutritionnels chroniques (la malnutrition par exemple) constituent un stress pour notre organisme. Dans les deux cas, notre organisme répond en élevant le niveau circulant d’hormones de stress. Des études épidémiologiques réalisées dans une petite ville située au-delà du cercle polaire en Suède montrent que les habitants sont plus susceptibles de développer un diabète ou des maladies cardiovasculaires si leurs ancêtres ont été sujets à des déséquilibres nutritionnels avant d’être parents.

Influences culturelles

Si ces observations rappellent les phénomènes de transmission de l’étude animale mentionnée plus haut, elles ne sont pas la preuve définitive que la transmission ait été faite par des marques épigénétiques portées par les cellules sexuelles. Les influences de l’éducation et de la culture, très importantes chez l’homme, pourraient être à l’origine d’une transmission de mauvaises habitudes alimentaires à ces enfants, compromettant la santé de toute la descendance.

Ces observations épidémiologiques sont donc à considérer avec précaution tant que les mécanismes en cause n’ont pas été clairement identifiés et ne constituent pas la preuve formelle de la transmission d’un caractère épigénétique, l’influence du milieu pouvant jouer un rôle prépondérant. Pour en savoir plus, notre laboratoire s’est livré à une analyse moléculaire de spermatozoïdes de sujets obèses. C’est ce que nous verrons dans un prochain article.

The ConversationLa version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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