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Theodore Roosevelt n'est pas à déboulonner
©TIMOTHY A. CLARY / AFP

American Museum of Natural History

La ville de New York a annoncé qu’elle allait retirer une statue du 26e président des Etats-Unis Theodore Roosevelt de son emplacement en plein Manhattan, en raison de ses opinions jugées "colonialistes" et "racistes". Harold Hyman, journaliste spécialiste des affaires internationales et éditorialiste à CNews, revient sur cette polémique.

Harold Hyman

Harold Hyman

Harold Hyman est un journaliste franco-américain spécialiste des affaires internationales et de géopolitique né à New York  et qui vit et travaille à Paris. Il intervient notamment dans l'émission Face à l'Info de Christine Kelly sur CNews avec Eric Zemmour, Marc Menant et Eric de Riedmatten notamment. 

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Il est triste de voir certains symboles se faire déboulonner. La statue de Theodore Roosevelt trônait depuis 80 ans sur les marches de l'entrée de l'American Museum of Natural History à New York, un lieu magique pour tous les enfants new-yorkais, et particulièrement manhattanais des beaux quartiers comme moi. La grande blague sur la statue était la vue ostentatoire des testicules du cheval. L'Amérindien et l'Africain à ces côtés faisaient référence, dans nos esprits, à son côté explorateur, et sa proximité justement aux peuples premiers des États-Unis. C'était lui le centurion romain, avançant avec ses acolytes, qui à eux trois représentaient les Amérindiens, les Africains, et lui le majestueux et aristocratique "condottiere" américain. Cet aventurier avait donc des amis.

Il y a une certaine confusion apparente dans l'esprit du sculpteur James Earle Fraser, qui acheva cette commande de 1925 en 1940. En effet les Asiatiques sont absents. Ce n'est pas le Blanc écrasant les autres races. Fraser était un grand de son époque, et il figurait le grand Theodore Roosevelt qui revenait d'une expédition d'un an en Afrique. "Teddy" était progressiste pour son époque, certes paternaliste socialement et ethniquement. À son époque, une farouche bataille entre les tenants de la hiérarchisation raciale et ceux de la hiérarchisation culturelle faisait rage avec le duel entre deux princes de l'anthropologie: Madison Grant (auteur d'une des bibles du racisme "The Passing of the Great Race" 1916 qui mettait les Nord-Européens et curieusement les Romains aussi au-dessus de tout) versus Franz Boas créateur du relativisme culturel. Ce dernier étant juif né en Allemagne, Grant évitait de lui serrer la main dans les institutions où les deux s'opposaient. L'ambiance est à la détestation.

Comme les États-Unis changèrent entre 1900 et 1940! Certes l'hygiénisme social progressiste était présent partout, mais divisé dans ces deux camps: Grant, Charles Davenport, Lothrop Stoddard, tous WASP nordistes et tenants du déterminisme racial dans la culture, versus Franz Boas, Alfred Kroeber, et d'autres de culture germanique et pour une bonne moitié juifs. La cause des relativistes gagna la majorité dans le National Research Council en 1918, isolant les eugénistes racistes dans un ghetto universitaire d'où Grant se tourneraient vers le parti nazi naissant en Allemagne -- Adolf Hitler écrivit à Grant et reçut Stoddard qui résida en Allemagne 1939-1940. Stoddard, bien qu'antisémite proclamé finit par prendre peur face au caractère meurtrier du régime et s'en dissocia avant l'entrée en guerre.

Theodore Roosevelt, qui aurait pu être de la mouvance eugéniste raciste, s'en démarqua souvent tout au long de sa vie (1858-1919), mais mourut avant la victoire des relativistes. Le président qui allait conforter ce changement était nul autre que le neveu de Theodore: Franklin Delano Roosevelt. Theodore l'hygiéniste modéré pour ainsi dire, cherchait l'élévation des races et des classes et non pas leur destruction. D'ailleurs fut-il le premier président à recevoir une personnalité noire, son célèbre ami Booker T. Washington l'éducateur militant américain de l' "élévation" sociale des noirs, à un dîner formel à la Maison-Blanche en 1901, geste si controversé qu'aucun noir ne sera plus invité formellement avant 1942 -- par Franklin! Et Theodore ne chercha pas à brimer les Noirs dans les forces armées. Woodrow Wilson, président de 1913 à 1921, soutint par contre la ségrégation raciale et expulsa méthodiquement tous les noirs de la fonction publique fédérale. Et pourtant Wilson tira les États-Unis dans la Première Guerre mondiale, cause pour laquelle militait frénétiquement Theodore l'anglophile depuis 1914.

Nul ne niera que Theodore contribua massivement au mouvement de préservation de la nature, ce qui nous ramène au Musée. Si la statue avait montré l'Amérindien et le Noir en égaux, c'est-à-dire à cheval tous les trois, ou alors debout à niveau équivalent, c'eût été mille fois mieux. Évidemment que personne n'aurait sculpté une statue avec la symbolique de James Earle Fraser depuis 50 ans au moins. Mais n'est-on pas en train de jeter le bébé avec l'eau du bain? Woodrow Wilson, suprémaciste blanc aux États-Unis mais champion de la doctrine de l'autodétermination des peuples en Europe et inspirateur de la Société des Nations, a sa belle avenue à Paris qui mène au Musée de l'Homme, ce qui ne manque pas de piquant.

Néanmoins, il faut séparer les actes, les postures, les idéologies. Theodore était un géant de la préservation de la nature, et un timide mais réel partisan de l'égalité de tous les hommes, pour son époque. On ne retrouvera pas à son époque un président équivalent à statufier. Le maire Bill de Blasio avait dit en 2017 que la statue ne serait pas déboulonnée, et qu'il demanderait leur avis aux visiteurs. Le parti du déboulonnage existe depuis des décennies, tant du côté d'Amérindiens que de militants antiracistes plus mainstream, mais l'actuel mouvement de justice raciale aux États-Unis est devenu impérieux et le Conseil du musée a décidé lui-même ce déboulonnage. Comme les marches sont propriété de la ville, l'administration du maire pouvait refuser mais le pouvait-il face à l'initiative de l'institution elle-même, et avec la bénédiction publique de Theodore Rossevelt IV (arrière-petit-fils)? La procédure juridique est respectée, mais pour reprendre les paroles d'une citoyenne interrogée par le Musée (sur le site web du musée), Gerry de Seattle (qui est une personne de couleur asiatique ou amérindienne) "Si on le laisse, il faut en parler. Si l'on enlève tout ce qui vient de notre passé alors nous effaçons l'histoire, et on ne doit pas tout effacer. Il nous faut aller de l'avant." Laissons-lui le mot de la fin.

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