Terrorisme, géopolitique, insécurité, climat… : peur à tous les étages, quel impact électoral ? Petit retour sur les précédents<!-- --> | Atlantico.fr
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Rassemblement sur la place de la République, le 10 janvier 2016 à Paris, un an après les attaques terroristes de janvier 2015.
Rassemblement sur la place de la République, le 10 janvier 2016 à Paris, un an après les attaques terroristes de janvier 2015.
©THOMAS SAMSON / AFP

Psychologie des foules

La peur constitue, en politique au moins, un moyen très efficace pour influencer les comportements électoraux.

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton est actuellement professeur à l'Université catholique de Lille. Il est également auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.

 

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Martial Foucault

Martial Foucault

Martial Foucault est directeur du CEVIPOF. Il est spécialiste des questions de comportement électoral et d’économie politique.

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Atlantico : La peur constitue, en politique au moins, un moyen très efficace pour influencer les comportements électoraux. Quel contrôle offre-t-elle aux candidats qui l'emploient sur leurs électeurs potentiels ?

Martial Foucault : Commençons par rappeler que la peur comme d’autres émotions telles que l’espoir, la colère, le dégoût ne sont apparues dans le champ de l’analyse électorale que récemment, autour des années 1970 avec l’avènement de la psychologie politique. En revanche, dans La Psychologie des foules (1895), Gustave Le Bon introduisait l’argument selon lequel les foules (la masse) suivaient un comportement proche de celui d’un seul individu et professait que les foules peu aptes au raisonnement réflexif se mobilisaient facilement pour l’action ce qu’un individu seul ne peut envisager. Bien que contestée, cette vision psycho-comportementale de l’individu est parfois simplificatrice et trompeuse. En effet, il faut comprendre que la peur est un état cognitif qui est en sommeil chez l’individu et qui ne sera activé que par l’émergence d’un évènement exceptionnel (au sens d’inattendu) que l’on peut comparer à un choc exogène. C’est le cas par exemple d’un attentat, d’une catastrophe naturelle ou encore d’une déflagration dans l’ordre familial. Le mécanisme psychologique à l’œuvre peut se résumer ainsi : face à un choc, un individu est soumis à un profond ébranlement de ces connaissances ou croyances face à l’éventualité d’un tel évènement. La sidération prend alors le pas sur la surprise. Ce qui amène cette personne à chercher à comprendre comment un tel choc a pu se produire et surtout sous quelles conditions il ne se reproduira pas. Le sentiment de peur provoque donc une remise en question de la compréhension du monde qui nous entoure et peut activer dans certaines circonstances une révision de ses propres croyances. Face à un tel désordre, la peur incite les individus à privilégier des comportements plus précautionneux, plus conservateurs et donc à rejeter les réponses par trop radicales.

Raul Magni-Berton : La peur a un effet à court terme car lorsqu'ils se sentent menacés par quelque chose d'immédiat, les électeurs vont essayer de trouver le candidat qui  sera le plus efficace pour résoudre ce problème urgent plutôt que de choisir leur candidat préféré. Par exemple pour le terrorisme ou l’immigration, les citoyens dominés par la peur vont se tourner vers l’extrême droite, pour le réchauffement climatique ils vont se diriger vers les écologistes, pour les problèmes liés au chômage les électeurs auront tendance à se tourner vers la gauche… 

En 2015, la France a fait face à une série d'attentats terroristes. Plus récemment, la pandémie de Covid-19 a pu engendrer d'importantes angoisses chez les citoyens et les électeurs. Sommes-nous aujourd'hui en mesure d'identifier et de quantifier les effets d'une instrumentalisation de ces peurs sur le corpus électoral français ?

Raul Magni-Berton : Concernant la pandémie, les effets ne sont pas flagrants. Même s’il était urgent d'agir, cette urgence nécessitait d’éviter une catastrophe que personne n’avait prédit. Le problème est que les effets de la peur sont assez forts, mais de court terme. Justement l'urgence de la pandémie a pu avoir un effet au début parce que, par exemple, il y avait les élections municipales qui ont été décalées. Même si elles ont été organisées, très peu d’électeurs ont voté et ont fait l’effort de se déplacer en pleine pandémie. Donc le vote n’était pas forcément une priorité dans l’urgence des citoyens.

En revanche, pour les attentats, la peur des menaces et des passages à l’acte joue un vrai rôle. Quand il y a eu les attaques de novembre 2015, même s’il n’y avait pas d’élection derrière, la popularité de l'exécutif de François Hollande a augmenté, alors que sa popularité auparavant était assez faible. Plusieurs sondages ont démontré que la population s’était beaucoup plus penchée sur la sécurité du pays plutôt que sur d’autres sujets tout aussi importants.

Martial Foucault : Il est difficile de parler d’instrumentalisation des peurs dans un contexte électoral. En revanche, il est certain que l’histoire des faits politiques a montré à plusieurs reprises que face à un choc de grande ampleur, toute réponse politique qui incarne le status-quo et donc une forme de conservatisme a plus de chances de trouver un écho majoritaire chez les électeurs. A l’inverse, les réponses politiques radicales ne rencontrent pas nécessairement un écho favorable. L’exemple des attentats de Madrid en 2004 est un bon exemple. A quelques jours du scrutin législatif, Madrid est frappé d’une série d’explosion de bombes faisant des dizaines de morts. Le gouvernement conservateur de l’époque en attribue la cause à l’organisation basque ETA et légitime ainsi sa politique de lutte contre l’ETA durant des années. Alors que Aznar était donné perdant avant ces attentats, il remporte l’élection en apportant des réponses à la peur des citoyens espagnols. Quelques jours plus tard, il est confirmé que l’organisation terroriste Al-Qaida en était responsable. Contexte différent mais résultat politique semblable. Les attentats de 13 novembre 2015 à Paris ont eu lieu quelques jours avant les élections régionales de décembre 2015. L’ampleur du choc vécu par les citoyens français a installé un climat de peur face à la menace terroriste. Dans les urnes, les électeurs ont placé le Rassemblement national en tête du scrutin en étant séduit par la réponse sécuritaire qui était proposée et en repoussant les autres options politiques qui n’avaient pas démontré leur efficacité pour empêcher une telle tragédie.

L'instrumentalisation des peurs dans le cadre du conflit politique constitue-t-elle une stratégie propre à une seule famille politique ou est-elle au contraire utilisée par l'ensemble des représentants ? Quelles spécificités peut-on observer ?

Raul Magni-Berton : Les attentats de 2015, ou même d’autres années, étaient réellement des attaques terroristes contre la France. Le Covid était vraiment une pandémie mondiale qui a beaucoup affecté la France. Ces deux exemples montrent que la peur était logique, dans le sens où il n’y avait rien de factice ou de mensonger à partir de ces événements. Quand il y a eu les attentats en 2015, il y a eu plusieurs discours du gouvernement indiquant que les terroristes nous en voulaient, avaient des revendications précises et que nous devions nous protéger et lutter contre les futures menaces. Ce climat a engendré forcément de la peur et de l’angoisse. Lorsque le gouvernement se montre comme étant « préparé » à une éventuelle réplique de ces actes, l’électorat peut lui apporter plus de confiance.

Martial Foucault : Longtemps, les spécialistes de psychologie politique ont tenté de théoriser les effets de la peur dans le champ politique. Ce travail ne fait pas consensus en raison d’une difficulté à inscrire le choix de l’électeur au-delà d’une seule émotion activée par les formations ou responsables politiques. D’autres émotions peuvent construire et modifier les règles de la compétition électorale. Souvenons-nous d’analyses parfois séduisantes sur le papier mais non vérifiées empiriquement. Lors de l’élection américaine de 2016, la victoire de D. Trump a été attribuée à la peur d’une partie de l’électorat blanc américain peu éduqué qui s’inquiétait des migrants mexicains et de la destruction d’emplois dû à la puissance économique chinoise. C’est le même mécanisme psychopolitique qui a permis aux partisans du Brexit de l’emporter en juin 2016 en agitant la peur du « plombier polonais » et du laxisme migratoire européen. En réalité, dans ces deux cas, ce n’est pas la peur qui a mobilisé les électeurs mais la colère contre un système politique en place, incarné par les élites en place. Aujourd’hui, il serait maladroit d’associer la montée des populismes à l’instrumentalisation de la peur dans l’esprit des électeurs.

Quel rôle la peur joue-t-elle dans notre société ? 

Martial Foucault : Dans une somme considérable, les historiens Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello ont parcouru depuis l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui une histoire des émotions et souligné la place occupé par la peur dans nos représentations et nos conduites sociales. Par exemple, la peur peut être utilisée pour forcer les individus à se conformer à des normes et des lois pour garantir le maintien d’un ordre social. Ou encore, favoriser des mesures plus coercitives en période de forte incertitude pour ne pas entraver une action gouvernementale (politique de couvre-feu, politique de restriction de déplacement…). Ou, dans le champ politique, la peur peut aussi être mobilisée pour stigmatiser des groupes sociaux considérés comme des menaces à la cohésion sociale. Mais la peur peut aussi être instrumentalisée de manière positive en favorisant des collectifs à agir collectivement face à des menaces communes (mouvement contre la réforme des retraites). Elle n'est pas seulement un sentiment négatif à éviter, mais un ressort psychologique puissant qui peut à la fois diviser et unir, entraver et stimuler le changement au sein de la société.

Raul Magni-Berton : En général, la peur nous pousse à être conservateur. Nous préférons ne pas choisir la meilleure solution face à un problème plutôt que d’utiliser une solution inconnue mais qui serait meilleure. La peur de l’inconnu et l’angoisse de ne pas en connaître les conséquences nous poussent à rester dans nos habitudes. Mais cela concerne les peurs hypothétiques, comme par exemple lorsque l’on entend que la Russie pourrait s’attaquer à la France, ou bien que l’économie française pourrait faire faillite. Dans ces cas précis, nous cherchons à éviter ces problèmes et ces peurs. En revanche, lorsque nous nous retrouvons dans une situation d’insécurité (militairement parlant ou bien médicalement parlant), nous devons agir tout de suite pour sortir de ce contexte.

Y a-t-il éventuellement d'autres émotions sur lesquelles il est possible de capitaliser (l’indignation, par exemple ?)

Martial Foucault : Comme je l’indiquais précédemment, la peur a souvent été convoquée à tort pour comprendre l’émergence de partis politiques, tel le Rassemblement national en France, l’Afd en Allemagne ou Trump aux Etats-Unis. Mes collègues et moi avons démontré empiriquement que la principale émotion explicative repose sur la colère et non la peur. En effet, la colère et la peur ne relèvent pas des mêmes logiques d’activation psychologique. La colère est associée à un sentiment de confiance, de contrôle de soi qui force l’individu en colère à investir des ressources pour empêcher qu’un état menaçant (attentat, crise politique) ne se reproduise plus ou que des politiques jugées inefficaces soient maintenues. Le vote est précisément l’une de ces ressources. Confiants dans leur démarche car « plus rien à perdre », les électeurs en colère sont prêts à adopter des stratégies plus risquées en se tournant vers des candidats plus radicaux qui privilégient des positions intransigeantes et des stratégies non-coopératives. Il n’est donc pas surprenant d’observer que c’est la colère et non la peur qui favorise la progression du Rassemblement national en France. Il est de difficile de dire si ce sont des stratégies honnêtes car elles s’apparentent davantage à des stratégies plus subtiles que la communication politique qui durant 60 ans a permis de véhiculer l’espoir de promesses d’un monde meilleur. La peur et colère prennent le relais dans un environnement politique où le risque du lendemain s’est imposé comme une menace crédible.

Raul Magni-Berton : La politique joue beaucoup sur les émotions. Mais les citoyens ne sont pas tous aussi ou autant touchés par l'indignation ou par la peur. La plupart des gens ont des préférences politiques qui sont claires et précises. Mais il y a tout de même une minorité qui ne sait pas où se situer, ce qui rend plus facile l’utilisation de l’indignation, mais à court terme, comme la peur. Les politiciens sont en concurrence pour faire valoir leurs intérêts, parfois d’une manière malhonnête. Mais pour gagner la confiance des citoyens en politique, être honnête ne marche pas toujours.

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