Tensions sur l’euro : ce bazooka dont va avoir besoin la BCE pour empêcher le creusement des écarts de taux auxquels empruntent les États européens<!-- --> | Atlantico.fr
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La BCE va avoir besoin d'une arme forte pouvant être dissuasive.
La BCE va avoir besoin d'une arme forte pouvant être dissuasive.
©Boris Roessler / POOL / AFP

Spreads

Poussée par l'inflation, la Banque centrale européenne devrait augmenter ses taux durant l'été. Les décideurs politiques ont besoin d'un plan pour défendre les membres les plus faibles de la zone euro contre la flambée des coûts d'emprunt.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Face à la situation actuelle, à quel point faut-il craindre un creusement des écarts de taux auxquels empruntent les États européens, et notamment l’Italie

Jean-Paul Betbeze : C’est irrémédiable : les taux des banques centrales sont partout en hausse, derrière la Banque centrale américaine, parce que l’inflation s’inscrit à 8,6% aux États-Unis, que la Fed a monté ses taux de 0,5% à 1% et pire parce que les marchés attendent encore deux hausses jusqu’à 0,75% ! Derrière, après onze ans, la Banque centrale européenne annonce aussi se mettre en mouvement, avec une hausse de 0,25% lors de sa prochaine réunion, puis 0,5% à la rentrée de septembre, puis 0,25% au moins lors de ses réunions de début d’année 2023 : avec 8,1% d’inflation elle n’a pas le choix ! Même la Banque centrale du Japon devra sortir de ses taux négatifs.

Mais ce qui se passe aux Etats-Unis n’est pas ce qui se passe ici et aura, ici, des effets bien plus négatifs. Aux Etats-Unis en effet, l’inflation est surtout interne, salariale, donc elle doit être combattue fortement par la Fed, tandis qu’elle est surtout importée en zone euro, par les hausses des prix de l’énergie et des produits agricoles et alimentaires d’abord, puis par des hausses de salaires qui s’ensuivent. C’est donc le travail de la BCE de moins hausser les taux et de calmer les tensions.

La BCE œuvre dans une zone complexe, différenciée et à proximité de la guerre d’Ukraine qui accentue ses différences, alors que tout le travail de la zone euro, dont le sien, était de les réduire. L’Italie a ainsi moins d’inflation  (6,9% contre 8,1%), peu de croissance mais beaucoup de dette : 1,5 fois son PIB contre 0,7 fois pour l’Allemagne, 1,1 fois pour la France et 1,2 fois pour l’Espagne.

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Les marchés financiers craignent donc une réplique de la crise de 2012 : les taux à 10 ans italiens sont à 4,3% contre 1,8% pour les taux allemands, un écart de 250 points de base !

Dans quelle mesure la BCE a-t-elle besoin d’un "Bazooka", au sens d'une arme forte pouvant être dissuasive, comme l’argumente l’éditorialiste de Bloomberg Marcus Ashworth ?

Oui, surtout un bazooka psychologique comme le « whatever it takes » de Mario Draghi en juin 2012. La situation était alors celle de « la crise des dettes souveraines », ayant dévasté l’Irlande, la Grèce, le Portugal et l’Espagne. Elle gagnait l’Italie, alors qu’on savait que la BCE n’avait pas les moyens de la contrer.

Le bazooka psychologique de Mario Draghi est un modèle du genre : nul ne l’a vu, nul n’a vu sa puissance de feu mais nul n’a douté que Draghi n’hésiterait pas à tirer, ce qui ferait perdre des fortunes si les marchés se mesuraient à lui.

Évidemment, les marchés demanderont « quel volume d’achats » pour ce bazooka, un peu pour savoir s’ils pourront jouer contre, surtout pour savoir si la BUBA (le Chancelier) est d’accord. Donc, moins on parle chiffres, mieux c’est ! Le bazooka est une arme de guerre.

Quelles seraient les conséquences si la BCE ne faisait rien face à ce phénomène, même symboliquement ? Et notamment si l’Italie, troisième économie de la zone euro, voit ses taux d’emprunt monter trop haut ? 

Le meilleur bazooka est symbolique : pas de chiffre, la BCE n’hésitera pas à tirer, donc la défier est ruineux, au sens strict. Bien sûr l’Italie peut demander l’aide de l’Europe et du FMI, mais les marchés savent que Draghi part en 2023, date des élections. Que feront les populistes, devant le danger d’une sortie de l’Italie de l’Europe, donc de son éclatement ? Merci aux marchés de poser aujourd’hui la question.

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Quelles pourraient être les pistes de ce “bazooka” ? Que peut mettre sur la table la BCE ?

Ce qui est sûr, c’est que Christine Lagarde évitera son erreur du 11 mars 2020 : « Nous ne sommes pas ici pour fermer les spreads », « not to close the spreads » : il aura suffi de ces 5 mots sibyllins pour faire remonter les rendements italiens de 1,1% le 11 mars à 1,8% le 13 et faire de l’Italie le point le plus faible encore du système européen, aux yeux de tous ! » (mon article « l’Italie victime de la pandémie… ET de Christine Lagarde », dans Atlantico). Maintenant les yeux des marchés sont sur la seule Italie.

Il faut d’abord un bazooka zone-euro qui réduise son risque global : plus de croissance, politique énergétique commune, politique de défense commune sans doute. Peut-être des fonds spéciaux pour faire face aux risques actuels : Ukraine, réchauffement, énergie, avec un assouplissement des règles dites de Maastricht.

Mais il est clair que la BCE est très inquiète du risque de fractionnement, évoqué à plusieurs reprises lors de la dernière conférence de presse : c’est là qu’elle sera attendue la prochaine fois. Le mieux serait un fond important, par exemple 500 milliards, mais sans plafond ni date de fin, dépendant de la situation et géré par un groupe ad hoc des dirigeants de la banque. Souple, sans limite de taille, de composition ni ne date de fin des achats : le bazooka doit faire peur à qui s’y frotte, donc ne peut pas tout dire : la crédibilité va bien avec une dose de secret.

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