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Suspension de l’autonomie de la Catalogne : Madrid est-elle train de jeter de l’huile sur le feu ?
©PIERRE-PHILIPPE MARCOU / AFP

Sur la crête

L'activation de l'article 155 de la Constitution par Mariano Rajoy était une manœuvre obligatoire mais périlleuse. Dans l'affrontement qui l'oppose aux indépendantistes catalans, nul ne souhaite être celui qui mettra le feu aux poudres.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Madrid a décidé d'activer l'article 155 pour mettre sous tutelle la Catalogne sans pour autant suspendre le parlement ou le gouvernement catalan. Qu'est-ce qu'implique cette décision du gouvernement de Mariano Rajoy pour la société espagnole et la Catalogne ?

Alexandre Del Valle : Pour la société espagnole, il s'agit de ne pas donner l'impression de céder. Le risque aujourd'hui est que dans d'autres régions, les séparatistes aient des idées. Il s'agit donc de montrer un exemple, et c'est pour cela que la gauche, le PSOE, Parti Socialiste Ouvrier Espagnol soutient le gouvernement de droite.

Pour les Catalans, cela ne va pas changer ce qu'on pensait, parce que l'article 155 est assez flou et laisse des possibilités d'interprétation ce qui est pas mal car cela permet de moduler entre souplesse et dureté. Enlever totalement l'autonomie ou emprisonner le président aurait été dangereux et aurait vraiment créer la révolution. Ce qu'a proposé Rajoy, avec le soutien des autres partis c'est de laisser M. Puigdemont à son poste, de ne pas le mettre en prison et de laisser la Catalogne avec son statut d'autonomie. Mais ils en ont profité pour réduire un certain nombre de mesures prises par la Generalitas, le Parlement de Catalogne, jugées illégales par l'autorité madrilène. Ce n'est pas une suppression de la région mais une simple prise de pouvoir, le but étant de tenter de calmer les choses en montrant une fermeté mais n'allant pas trop loin non plus. Est-ce que cela va marcher ? Seul l'avenir le dira.

Quel est le risque de chaos dans cette opposition tendue entre les deux camps ?

Le risque aujourd'hui est de continuer ce qui a déjà été poursuivi. Il faut savoir qu'il y a 10 ans il n'y avait que 20% de Catalans favorables à l'indépendance. C'était quelque chose de proprement inacceptable. Ensuite, comme la gauche a ruiné le terrain -Zapatero avait donné des compétences supplémentaires et Rajoy est revenu un peu dessus. C'est pour cela que cela a commencé à empirer. Lorsque le premier vote a été interdit, les Catalans se sont sentis offensés, insultés. Ensuite est venu le référendum du premier octobre avec des répressions autour des bureaux de vote illégaux. Madrid est tombée dans le piège. En réprimant, même si c'était conforme à la loi, ils ont pu se poser en victimes des fascistes de Madrid. Le risque serait que si les choses s'enveniment encore. Il faut savoir que M. Puigdemont a à sa gauche des mouvements plus radicaux que lui qui ne veulent ni négocier ni transiger et qui veulent aller plus loin vers le séparatisme. Si des phénomènes de refus d'obtempérer, de désobéissance volontaire, de manifestations illégales ou autres provocations ont lieu et que Madrid tombe dans le piège de la violence ou des arrestations excessives, ce que cherchent les séparatistes sera atteint. Là cela pourrait dégénérer, de manière violente. Les Catalans attendent que Madrid frappe. Le piège est là et nul ne sait si Madrid tombera dedans.

Le risque est donc une escalade de violence du fait d'une mauvaise gestion de la communication de la part de Madrid.

Au-delà de l'Espagne, toutes les formations à aspirations séparatistes des pays d'Europe regardent attentivement le déroulement de cette tentative. Faut-il s'attendre à un Printemps des Séparatismes si la Catalogne venait à réussir son indépendance ?

En géopolitique on montre souvent une carte avec tous les mouvements sécessionnistes qui risquent un jour de poindre. Ils sont nombreux. Une menace peut venir de l'extérieur : un ennemi, un attaquant, un terroriste etc. Mais elle peut aussi venir de l'intérieur. Et depuis quelques années, les mouvements d'extrême-gauche ont de moins en moins d'adhérents et tentent donc de s'allier. Avec des islamistes comme on le voit dans les banlieues avec le NPA ou Mélenchon. Parfois avec les écologistes comme on le voit en Allemagne ou en France. Ou encore, et c'est plus récent, en infiltrant les mouvements indépendantistes ou régionalistes pour les radicaliser dans une logique de destruction de l'État. C'est une tendance européenne observable.

Une autre tendance apparait mais qui n'a cependant rien à voir avec l'extrême-gauche, que je qualifierai de "syndrome des Flandres". On la voit aussi en Vénétie et dans le Nord de l'Italie, c’est-à-dire des régions plus riches qui ne veulent plus payer les taxes des plus pauvres et pensent s'enrichir en cas d'indépendance. Dans le nord de l'Italie, des indépendantistes présents dans la majorité régionale et à la tête de quelques mairies ont demandé à faire comme la Catalogne et d'obtenir un référendum d'indépendance. C'est quelque chose qui va donner des idées aux Ecossais, aux Flamands en Belgique… Pour ménager les Flamands, le Premier ministre belge Charles Michel ne s'en est pas directement pris aux Flamands mais a donné un peu raison aux séparatistes en prônant le dialogue. Il ne peut pas aller contre une mouvance très forte qui demande une indépendance progressive de la Flandres. En Ecosse, en Belgique, en Allemagne, en Italie et pourquoi pas en France avec la Corse et la Bretagne (même s'ils sont très dépendants de la France), on peut commencer à y croire, on peut être excité par ce mouvement. Pour la première fois en Catalogne française, des solidarités et des manifestations ont eu lieu. Jadis, cela n'était jamais arrivé de ce côté de la frontière. Et en Galicie et au Pays Basque, le problème est le même.

Et ce qui fait, pour conclure, très peur à l'Espagne, c'est qu'il n'y a pas que la Catalogne que l'on parle catalan. On y parle à Andorre, qui est déjà indépendante, mais aussi aux Baléares et jusqu'à Alicante. Le "valenciano" est une forme de catalan. Aujourd'hui on sait qu'il y a déjà des mouvements séparatistes à Alicante et Valence qui sont tentés parce qui se passe en Catalogne et qui à cause des images de répression sont plus susceptibles de se radicaliser qu'il y a quelques temps.

Les Catalans ont donc gagné la bataille de l'information, le premier round dans ce match, ils ont réussi à se faire passer pour des victimes. En Espagne, des mouvements d'extrême-gauche ou progressistes ont par solidarité avec les gens réprimés, même si c'est minoritaire, se sont exprimés comme solidaires sans être séparatistes. Les séparatistes ont suscité des émotions, c'est leur victoire.

On a donc peur que si le gouvernement espagnol cède, cela soit la boite de Pandore, mais aussi que s'il réprime trop fortement, cela entraîne un vrai conflit interne et renforce les séparatistes. Le gouvernement cherche une solution médiane, et c'est ce qu'a tenté de faire Rajoy aujourd'hui. La décision est timide mais a le mérite de ne pas pousser les Espagnols dans leurs retranchements. 

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