Surveillance de vos comptes bancaires : quand Bercy se voudrait Big Brother<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, à l'issue du Conseil des ministres.
Le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, à l'issue du Conseil des ministres.
©bertrand GUAY / AFP

Données personnelles

La Direction générale des finances publiques du ministère de l'Économie et des Finances (DGFip) a tenté d'obtenir un accès direct et permanent à toutes les opérations réalisées sur l'ensemble des comptes bancaires ouverts en France.

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer est née en 1962. Elle est diplômée de l’ESSEC et a travaillé dans le secteur de la banque et l’assurance. Depuis 2015, elle tient Le Blog de Nathalie MP avec l’objectif de faire connaître le libéralisme et d’expliquer en quoi il constituerait une réponse adaptée aux problèmes actuels de la France aussi bien sur le plan des libertés individuelles que sur celui de la prospérité économique générale.
 
https://leblogdenathaliemp.com/

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Il y a quelques mois, dans un article appelant les nouveaux députés à mettre fin(*) à l’état d’urgence sanitaire, je soulignais en conclusion combien il était nécessaire que les citoyens montrent la plus grande vigilance, non seulement à court terme à propos des évolutions possibles de la loi de transition sanitaire, mais surtout à plus long terme du fait des possibilités accrues de surveillance de masse et de violation de nos données personnelles que le développement des technologies de l’information rend possibles :

« À cet égard, il me semble indispensable de distinguer ce que j’appellerais le ‘numérique civil’, celui qui nous rend service dans notre vie quotidienne en respectant notre vie privée, et le ‘numérique politique’ qui, sous couvert d’offrir certaines protections, se donne l’objectif de tracer nos faits et gestes, avec le lourd inconvénient de pouvoir les utiliser contre nous – peut-être l’objet d’un futur article. »

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Pas d’article d’ensemble sur la question pour aujourd’hui, mais l’exposé d’un exemple de plus, un exemple particulièrement grave, qui montre hélas clairement que les instances étatiques n’auront pas de repos tant qu’elles ne disposeront pas de toutes, absolument toutes les informations nous concernant.

Jugez vous-mêmes : on apprenait cette semaine par un article du site spécialisé dans les technologies de l’information NextInpact, repris notamment par Le Point, qu’en 2021, le ministère de l’Économie et des Finances avait cherché à obtenir le détail de toutes les opérations réalisées sur les comptes bancaires ouverts en France. Autrement dit, le profil paiement par paiement de ce que nous faisons de notre vie : notre emploi du temps, nos déplacements, nos achats alimentaires ou autres, nos abonnements presse et médias, nos loisirs – tout serait à la disposition de Bercy, roi des ministères. Idem pour les entreprises : clients, fournisseurs, achats… 

Comment en est-on arrivé là ? Au départ, comme souvent, une bonne intention – c’est l’aspect « nous protéger » de l’opération : en l’occurrence, la somme des luttes contre le blanchiment d’argent et les fraudes sociale et fiscale. D’où la création en 1971 du fichier Ficoba ou fichiers des comptes bancaires dont les données sont conservées jusqu’à dix ans après la fermeture des comptes.

Mais comme le rappelle NextInpact, dans sa forme actuelle, Ficoba ne s’intéresse qu’aux titulaires et bénéficiaires des comptes, nullement aux opérations effectuées. Si les autorités compétentes telles que police ou services fiscaux veulent obtenir plus d’informations en lien avec un dossier sur lequel elles enquêtent, elles doivent respecter une procédure de réquisition spécifique auprès des banques incluant l’information du titulaire concerné.

Il se trouve ensuite que la Cour des Comptes s’est inquiétée récemment de la sous-utilisation du fichier Ficoba dans la lutte contre la fraude sociale en raison de difficultés techniques dénoncées depuis dix ans mais toujours non résolues. Une modernisation destinée à améliorer la fiabilité et l’ergonomie de cet outil est donc en cours depuis 2020 (sous le nom de projet Ficoba 3).

C’est précisément dans cette période forcément un peu chamboulée de refonte du logiciel que le ministère de l’Économie s’est dit qu’il pourrait y adjoindre une petite nouveauté très utile. Grâce à la Direction interministérielle du numérique, saisie pour avis sur Ficoba 3 par les services de Bruno Le Maire en septembre 2021, on apprend en effet qu’au-delà de la simple mise au goût du jour du système, Bercy comptait bien se doter d’un outil qui a toutes les caractéristiques d’une surveillance généralisée (soulignement de mon fait) :

« Les objectifs du projet Ficoba 3 sont également de préparer, de par son architecture, les étapes suivantes : a) intégrer les opérations effectuées sur les comptes bancaires ; b) évoluer et devenir le référentiel des comptes bancaires de la DGFiP. »

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Résultat, si le Directeur interministériel du numérique a bien émis un avis favorable concernant les améliorations projetées sur le périmètre actuel du fichier, il a aussi souligné que le périmètre additionnel souhaité ne répondait pas aux exigences juridiques qui lui permettraient de le valider (soulignement de mon fait – en gras dans le document original) :

« En revanche les éléments en ma possession ne permettent pas de conclure à la conformité juridique indispensable du périmètre fonctionnel additionnel de constitution d’un référentiel porté par la DGFIP des soldes et des mouvements des comptes bancaires des entreprises et des particuliers. En conséquence, j’émets un avis conforme défavorable pour cette partie du projet. »

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Il est à noter que nos institutions ménagent de la place pour des contre-pouvoirs ou des contre-avis très utiles. Mais comme le dit le Directeur interministériel du numérique, son avis défavorable découle d’un manque de soutien juridique au projet. Changez le juridique, faites en sorte de l’orienter plus à votre convenance (via des évolutions de la Constitution ou de nouvelles lois) et l’avis ne pourra que devenir favorable. 

Dans l’affaire qui nous occupe, Bercy s’imaginait pouvoir obtenir satisfaction sans en référer au Parlement et sans débat public dans la société civile. Caractéristique malheureuse de technocrates uniquement préoccupés d’éliminer tous les obstacles au bon fonctionnement de leurs jouets et qui finissent par faire de la performance technique la fin ultime de leurs efforts, peu importe le coût pour les individus ? Ou bien attitude plus vicieuse consistant bel à bien à renforcer le contrôle social de la population ? La distinction des motivations existe, mais le résultat final est le même : tout ce que vous faites pourra éventuellement être utilisé contre vous.

Comme pour la loi Renseignement, qui élargissait la surveillance des télécommunications à l’ensemble de la société dans le but de traquer des terroristes en nombre évidemment trop important mais sans rapport avec la totalité de la population, on m’opposera sans doute que si je n’ai rien à cacher, si je suis scrupuleusement honnête et respectueuse de la loi comme tout « bon citoyen » devrait l’être, je n’ai rien à craindre.

Vision parfaitement puérile. Tout ceci contribue au contraire à mettre en place dans la durée des dispositions qui vont en théorie comme en pratique contre la garantie des libertés publiques et contre l’état de droit. Il est parfaitement illusoire de penser qu’une fois de tels outils en place, ils ne seront utilisés qu’à bon escient, de façon ciblée et proportionnée. Les exemples du contraire sont déjà abondants.

Dans le contexte de la lutte contre le réchauffement climatique, ou dans celui des économies d’énergie qui nous sont demandées pour cet hiver, vous le voyez, l’usage qui pourrait être fait de telles données ? Votre consommation de viande, vos voyages en avion, vos achats vestimentaires (que certains aimeraient limiter à 1kg par personne et par an), votre abonnement au club de golf, vos factures de gaz, fuel ou électricité – des données privées qui deviennent publiques et qui pourraient facilement occasionner du chantage, du name & shame ou des mesures de rétorsion. 

Vos opinions, même non exprimées en public, ne seraient pas plus préservées que vos comportements. Pensez seulement à tout ce que vos abonnements à telle ou telle publication, votre participation à tel ou tel événement, vos dons à telle ou telle organisation pourraient révéler de vos sympathies politiques ou autres…

Finalement, interrogé ces jours-ci par Le Point, Bercy a répondu que « le projet (n’était) pas à l’ordre du jour ». Et quoiqu’ayant fait la sourde oreille aux premières demandes de NextInpact, il a fait savoir récemment à sa rédaction qu’il n’était initialement question que d’avoir accès au nombre d’opérations, pas aux opérations elles-mêmes. Ce qui n’est pas du tout le point sur lequel la Direction interministérielle du numérique a répondu. Curieux malentendu… Ou alors piteuse retraite en rase campagne.

Ce n’est pas la première fois que le gouvernement tente sans le dire d’accroître son emprise sur les citoyens et se trouve ensuite acculé à faire machine arrière. En mai 2020, une rubrique « Désinfox Coronavirus » comprenant des articles de presse « vérifiés et validés » par le Service d’Information du gouvernement avait dû être retirée précipitamment du site du gouvernement consacré au Covid en raison de la controverse soulevée.

Raison de plus pour rester vigilant. Ce qui sort par la petite porte a souvent la malencontreuse habitude de revenir par la fenêtre de derrière.


(*) Ce qui fut chose faite au 31 juillet 2022, quelques dispositions de veille sanitaire restant néanmoins en vigueur jusqu’au 30 juin 2023 et la réintégration des soignants non-vaccinés étant soumise au feu vert de la Haute Autorité de Santé, laquelle est pour l’instant bloquée sur rouge.

Cet article a été publié initialement sur le site de Nathalie MP : cliquez ICI

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