Suella Braverman, la ministre britannique à qui des hommes « bien intentionnés » faisaient payer son courage<!-- --> | Atlantico.fr
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Sella Braverman à Londres, le 26 octobre 2022
Sella Braverman à Londres, le 26 octobre 2022
©NIKLAS HALLE'N / AFP

Limogeage

Suella Braverman, ministre de l’intérieur britannique, est évincée après avoir critiqué la police et avoir défié l’autorité du chef du gouvernement

Jeremy Stubbs

Jeremy Stubbs

Jeremy Stubbs est le directeur adjoint de la rédaction du magazine Causeur (Paris) ainsi que président des Conservatives Abroad in Paris (section française du Parti conservateur britannique). 

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Atlantico : La ministre de l’Intérieur, Suella Braverman, a été démise de ses fonctions après avoir critiqué la police londonienne, à qui elle reprochait d’avoir choisi son camp, à savoir les pro-palestiniens. Son limogeage n’est-il pas qu’un coup politique que souhaite faire le Premier ministre Rishi Sunak ? Sa liberté de parole dérange ? Elle parle trop « vrai » ?

Jérémy Stubbs : Sur le fond, Rishi Sunak n’était pas en désaccord avec Suella Braverman. Comme elle, il pensait que la police londonienne aurait dû interdire la manifestation pro-palestinienne du 11 novembre qui n’avait pas sa place au milieu des cérémonies de commémoration des morts des guerres du week-end dernier. Comme elle, il considérait  que ces marches offraient aux antisémites un prétexte pour exprimer publiquement leur haine. Pour Sunak, Braverman était sa caution auprès de la droite de son parti. Le vrai problème était ailleurs et il était double. D’abord, une question de langage : elle s’exprimait dans des termes trop crus qui ont attiré les critiques non seulement des travaillistes mais aussi d’un grand nombre des élus de son propre parti. Ensuite, une question de discipline. Vendredi, elle a publié une lettre ouverte dans The Times où elle ne mâchait pas ses mots en parlant de ce qu’elle considérait comme les faiblesses de la stratégie de la police. Or, cette lettre avait été préalablement soumise au 10 Downing Street qui avait lénifié certaines des formulations, mais la version finale publiée par la ministre n’a pas tenu compte de toutes ces modifications. Sunak a dû la virer non seulement pour plaire aux modérés de son parti mais aussi pour préserver sa propre autorité. 

Depuis son arrivée en octobre 2022, elle a fait l’objet de vives polémiques, notamment avec ses critiques très vives sur l’immigration clandestine. N’a-t-elle pas payé cher ses prises de position ?

Elle a défendu sans faille le projet consistant à déporter au Rwanda un certain nombre des migrants clandestins qui sont entrés au Royaume Uni par des chemins illégaux, notamment en traversant la Manche avec le concours des trafiquants humains. Elle a censuré ouvertement l’action de la Cour européenne des droits de l’homme qui s’oppose à toute tentative de régler le problème de l’immigration massive illégale, la traitant de « tribunal politisé ». Et elle a dénoncé les manifestations pro palestiniennes de ces dernières semaines, qualifiées par elle de « marches de la haine ». Mais ses surenchères langagières constituaient, en toute probabilité, une tentative de se positionner comme chef futur du parti conservateur. Elle défiait Sunak, elle le provoquait, de sorte qu’il était finalement obligé de la limoger. La question maintenant est la suivante : a-t-elle assez de soutiens parmi les élus et les adhérents de son parti, a-t-elle assez la côte auprès d’un certain électorat pro-Brexit, anti-immigrationiste, pour succéder à Sunak si ce dernier - comme cela semble probable - perd les prochaines élections générales ?

A-t-elle dit tout haut ce que pense tout bas l’establishment conservateur ?

Non. Ses alliés se trouvent parmi les opposants les plus résolus et farouches du multiculturalisme. L’establishment est au fond trop modéré - ou surtout trop timoré - pour approuver ses déclarations décomplexées. En revanche, ceux qui pensent comme elle, ce sont ces électeurs - « déplorables » selon la terminologie de Hillary Clinton - qui ont voté pour le Brexit, qui s’inquiètent des proportions prises par l’immigration et qui trouvent que l’identité britannique traditionnelle - mais leur - est dévalorisée voire vilipendée par la wokisation des institutions. 

Au vu des nombreuses images de ces manifestations pro-palestiniennes plus nombreuses et radicales au Royaume-Uni qu’ailleurs, son limogeage n’est-il pas synonyme de démission de la part du Premier ministre sur les thèmes régaliens ?

Pas forcément, il est trop tôt pour conclure.  Comme je l’ai dit, Sunak partage les positions de Braverman sur le fond, tout en s’évertuant à les exprimer sur un ton apparemment modéré. Il sait qu’il doit faire un grand écart entre un électorat plus « populiste » qui a aidé à porter Boris Johnson au pouvoir en 2019 et un certain électorat conservateur plus centriste. S’il n’arrive pas à faire des progrès sur des dossiers régaliens aussi bien que sur des questions économiques, il sait qu’il va passer les du 10 Downing Street au travailliste Starmer début 2025.

Au sein du gouvernement, certains ont menacé de démissionner après son départ. Quels étaient et sont ses soutiens au sein du parti conservateur ?

Le plus connu des alliés de Braverman est Jacob Rees-Mogg, catholique archi-conservateur, grand pourfendeur de la doxa européiste et ancien ministre. Les autres sont moins connus du grand public mais pourraient essayer d’imposer à Sunak un vote de confiance. Si 53 élus conservateurs envoient des lettres au premier ministre demandant un tel scrutin, ce dernier pourrait être contraint de démissionner. Mais nous n’en sommes pas encore là. Le retour au gouvernement de David Cameron, celui qui a organisé le référendum sur le Brexit et mené campagne en faveur de l’UE, est tout un symbole. Le nouveau ministre des affaires étrangères (qui n’est plus un élu et qui va devoir être intronisé à la Chambre des lords afin d’endosser son nouveau rôle), bien qu’il ait toujours été ferme sur la question de l’immigration, incarne un conservatisme conventionnel aux antipodes du populisme rebelle de Braverman. Selon le jargon politique anglais, Cameron représente les « centrist dads » (les papas centristes) et Braverman les « mavericks » - les francs-tireurs radicaux et rebelles. Avec son départ, le gouvernement a perdu sa personnalité la plus dérangeante mais la plus dynamique et la plus fugueuse. 

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