Souffrez-vous du syndrome du premier rôle, ce narcissisme aigu des addicts aux réseaux sociaux ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Nouveau monde
Illustration montrant les logos des principaux réseaux sociaux.
Illustration montrant les logos des principaux réseaux sociaux.
©Olivier DOULIERY / AFP

Nouvelle pathologie

Le syndrome du premier rôle consiste à se prendre pour le héros dans une sorte de version fictive de sa vie (fausses vacances, fausses anecdotes...) sur les réseaux sociaux. Le risque est de s’enfermer dans une spirale du mensonge.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

Voir la bio »

Atlantico : Phil Reed, une professeure de psychologie a récemment écrit dans Psychology today à propos du "Main Character Syndrome", syndrome du personnage principal concernant le comportement des individus sur les réseaux sociaux. Que décrit ce terme nouveau ?  Le phénomène lui-même est-il nouveau ?

Pascal Neveu : Tous les mois, un nouveau problème ou un nouveau syndrome apparaît prétendument en raison de l'utilisation des médias sociaux. La pandémie et les confinements successifs ont pu avoir une incidence certaine, nos vies sociales ayant été quasi nulles, et une grande solitude chez certains.

Mais il ne faut pas oublier que les anglo-saxons sont les grands champions pour trouver de nouvelles « pathologies ».

Le syndrome du personnage principal est un terme vague, plus  médiatique et social que reconnu scientifiquement. Le terme fait référence à un large éventail de comportements et de pensées, mais, à la base, à une personne qui se présente, ou s'imagine, comme l’acteur principal, le leader, le héros dans une sorte de version fictive de sa vie (généralement la sienne, mais aussi parfois, de façon inquiétante, quelqu'un d'autre, se rapprochant d’une forme de schizophrénie), et surtout qui présente cette « vie » sur les médias sociaux.

Ce phénomène n’est pas nouveau. D’ailleurs songeons aux enfants qui « jouent » en s’imaginant être leur héros de film/série, leur star préférée… Cela fait partie du développement normal d’un individu, sauf chez les psychotiques qui, eux, souffrent d’un trouble de la personnalité et une fragmentation de leur Moi réel.

La différence avec ce nouveau syndrome reste que l’enfant sait qu’il joue. Le danger de la virtualisation est une possibilité de perte de contrôle face à notre réalité, réfugiés derrière nos écrans, en nous inventant une vie que nous retrouvons seulement progressivement suite à cette pandémie mondiale.

Cela peut évidemment rendre les interactions sociales plus faciles et plus sûres. En revanche, ceux qui souffrent du syndrome du personnage principal semblent vouloir être quelqu'un d'autre.

Des personnalités souffrant de troubles de l’identité et du lien social sont susceptibles de s’enfermer dans une spirale du mensonge. On le voit chez des patients qui s’inventent des fausses vacances, des anecdotes de vie, des fausses relations et sombrent dans une mythomanie.

À Lire Aussi

Connaissez-vous REvil, le gang de cybercriminels le plus féroce de tous les temps (selon le FBI en tous cas) ?

Le sentiment d’être le héros de son histoire, et de la réinventer continuellement ne risquent-ils pas de mener à un renforcement du narcissisme ?

Il est vrai que ces profils se concentrent sur un ou plusieurs aspects d'eux-mêmes qu'ils espèrent faire correspondre à des situations, souvent à leur avantage.

Je pense qu’une personne ayant un bon narcissisme, se portant une bonne estime de soi, a moins de risque de devenir le héros d’une vie qui n’existe pas.

Le narcissisme n’est pas une pathologie, il est indispensable à notre équilibre psychique.

Nous portons un équilibre narcissique qui se compose du propre regard face à notre miroir (je me trouve beau ou moche, je m’aime ou me déteste, ma vie est belle ou triste….) et puis l’autre qui va me renvoyer à la réalité de ce que j’accomplis dans la vie (relations avec autrui, réussites ou échecs professionnels…).

La personne qui va « cocher » un trop gros nombre de cases négatives sera plus susceptible de devenir un personnage principal afin de préserver un Moi fragilisé, fébrile, en quelque sorte vide d’existence.

Se percevoir comme le héros d’un film ou d’une série et se mettre en scène comme tel est il le témoignage d’un refus du réel et des éventuelles déceptions qu’il peut offrir ?

Oui en grande partie. Car en plus il ne faut pas oublier l’anonymat sur les réseaux sociaux, les nombreux faux profils.
Mais pour certains ce peut être un moyen afin de buzzer et se faire connaître si ce n’est reconnaître (naître étant le maître mot d’un début d’identité, d’incarnation)

Prenons l’exemple du phénomène TikTok.
La balise « personnage principal » a enregistré plus de 5,4 milliards de vues, tandis que #maincharacter a été présenté dans plus de 80 500 publications sur Instagram.

Un clip partagé en mai 2020 montrait une utilisatrice qui était retournée dans sa maison d'enfance et se promenait quotidiennement dans sa région pour rappeler à ses voisins qu'elle est « le personnage principal » de sa ville.
Elle se couche au milieu de la route et danse, exigeant que les gens la regardent et lui accordent l'attention qu'elle «n'a pas reçue au collège !

Il existe même le hashtag #notthemaincharacter (qui compte 333,4 millions de vues sur TikTok) afin de se moquer de ces utilisations.

Une vidéo qui est devenue virale au début de la pandémie a été partagée par TikToker Ashley Ward, dans laquelle sa voix lo-fi, qui ressemble à celle d'un « personnage principal » dans un film sur le passage à l'âge adulte, encourage les gens à « commencer à romancer votre vie ».
TikTokers a partagé des vidéos mettant en vedette ses paroles et sa voix doublées sur des clips inspirés des films hollywoodiens, de la conduite à travers une ville la nuit, aux couples s'embrassant sous la pluie, style Notebook
« Vous devez commencer à vous considérer comme le personnage principal, car si vous ne le faites pas, la vie continuera à vous passer devant ! », dit-elle, allongée sur une serviette de plage entourée d'amis vaquant à leurs affaires.

Qu’en retirer, si ce n’est surtout une jeunesse peut-être fuyant dans le virtuel ?

À Lire Aussi

Le syndrome Mélenchon ou la démocratie de plus en plus fragilisée par la gauche 

Peut-on voir des aspects positifs à ce syndrome ?

Une personne isolée, une personne souffrant de troubles psychiatriques peut tomber dans ce piège.
Le garde-fou reste le contact avec le réel, le lien social vrai, un Moi, une personnalité, une identité affirmée. Le mensonge peut devenir « diabolique » en ce sens ou la personnalité peut se cliver et s’y perdre.

Mais cela reflète bien un problème au sein de notre société, un malaise de la civilisation de notre Etant comme l’écrivait Heidegger.

Certains ont évoqué le parallèle avec le syndrome de Münchhausen, bien qu’il consiste uniquement à simuler une maladie. C'est un moyen de gérer ses difficultés émotionnelles, contrairement aux stratégies de présentation de soi.

Les réseaux sociaux permettent de présenter très facilement une fausse version de soi-même.

Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup d'« avantages » au syndrome du personnage principal. Au contraire, ce type de fantasme peut conduire à des comportements qui finissent par imiter ceux observés dans les troubles de la personnalité, s'il devient trop enraciné. Les comportements fantasmatiques entretenus par ces « évasions  psychiques »  peuvent également être un problème grave pour les personnes susceptibles de développer des problèmes psychologiques, comme l'anxiété et la dépression, et pas seulement des troubles de la personnalité.

Qui a réellement besoin de « réinventer » sa vie ?
Mais il reste une réflexion existentielle : le syndrome du personnage principal est la conséquence inévitable du désir humain naturel d'être reconnu et dorénavant via les réseaux sociaux ! Le virtuel empiète dangereusement sur notre monde réel et sur notre vie sociale et affective.

Pour conclure, je citerai le Professeur Michael Karson de l'Université de Denver : « Mon point de vue est qu'il est sain de se considérer comme le personnage principal de sa propre vie, et il est également sain de se rendre compte que l'on n'est pas le personnage principal de toute l'humanité ».

À Lire Aussi

Cette psychologie des Fake News que devrait potasser LREM avant de vouloir tout réglementer 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !