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Sommes-nous véritablement de plus en plus allergiques ?
©GEORGES GOBET / AFP

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L'Anses recommande d'étiqueter les produits pour lesquels les allergies semblent se multiplier.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Selon les données de l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), le nombre de Français atteints d'allergies alimentaires aurait doublé en vingt ans. Le nombre de produits allergènes aurait également augmenté avec l'apparition d'allergènes émergents. Comment expliquer ce phénomène ?

Stéphane Gayet : Ces deux phénomènes semblent liés entre eux.

L’augmentation considérable du nombre de Français atteints d’allergie alimentaire: pourquoi?

Des années durant, on a décrit en long et en large les phénomènes et les maladies allergiques, sans vraiment comprendre la raison de leur constitution.

Le mot allergie signifie étymologiquement « effet inhabituel ». Selon cette acception floue, on serait allergique dès que l’on réagit de façon inhabituelle à une substance étrangère. Si cette acception correspond bien au sens commun, elle n’est plus du tout en accord avec la conception médicale actuelle de l’allergie qui distingue radicalement l’intolérance de l’allergie. C’est une première difficulté lors du dialogue entre les professionnels de santé et les personnes souffrant de troubles qui sont provoqués par l’ingestion de tel ou tel aliment solide ou liquide.

Ainsi, il est essentiel de bien séparer l’allergie alimentaire (vraie) et l’intolérance alimentaire. Car ces deux phénomènes sont entièrement différents, tant sur le plan des manifestations (les signes : ce que l’on constate ; les symptômes : ce que l’on ressent), que ceux de la gravité, du mécanisme, des substances en cause et de la prise en charge thérapeutique.

L’allergie alimentaire est un phénomène immunologique : c’est dire qu’elle mobilise le système immunitaire, chargé de nous défendre contre les agressions de toutes sortes, mais principalement microbiennes. Or, le système immunitaire de l’homme est fort complexe ; on peut le comparer au cerveau. L’un et l’autre sont peu fonctionnels à la naissance et ils ont besoin de plusieurs années pour atteindre la maturité ; leur maturation est déterminée en partie par le génome (les gènes), en partie par l’environnement et plus généralement les conditions de vie.

Une personne qui a un cerveau bien développé et mature a de bonnes capacités intellectuelles, une personnalité épanouie et une vie de relation riche et sereine : elle est psychiquement adaptée à la vie et ne souffre pas de névrose.

Une personne qui a un système immunitaire bien développé et mature se défend bien contre un grand nombre de virus et de bactéries pathogènes, alors qu’elle est tolérante aux substances étrangères non dangereuses (tolérance immunitaire).

Au contraire, l’allergie est un dérèglement du système immunitaire : le système immunitaire d’une personne allergique a connu des troubles de son développement. Comme pour le cerveau, la période de la petite enfance (de 2 à 6 ans) est tout à fait déterminante. Ainsi, on considère que, pour qu’une personne développe une allergie alimentaire, il est nécessaire que son système immunitaire ait connu des troubles de sa maturation dans la petite enfance. Ces troubles de sa maturation sont favorisés par une prédisposition génétique – toutefois ce terrain dit «atopique» n’est pas systématiquement trouvé – ainsi que par une éducation déficiente – on dit en effet que le système immunitaire s’éduque. On admet que la qualité de l’éducation du système immunitaire est en grande partie liée à la richesse de l’ambiance microbienne dans laquelle a vécu l’enfant. Concernant l’allergie alimentaire, il s’agit principalement de microorganismes ingérés. Ce qui revient à dire que la conception actuelle de la constitution de l’allergie alimentaire s’oriente vers une insuffisance de stimulation du système immunitaire par des antigènes microbiens au cours de la petite enfance. Alors que les antigènes déclenchent des réactions immunitaires utiles, les allergènes déclenchent des réactions immunitaires néfastes et cela chez les personnes allergiques – tandis qu’ils ne déclenchent aucune réaction chez les personnes non allergiques. En d’autres termes, cette hypothèse dit que les personnes allergiques le seraient parce qu’elles n’ont pas assez été en contact avec des microorganismes pendant leur petite enfance, en plus d’une fréquente prédisposition génétique.

Mais il ne faut surtout pas employer l’expression « excès d’hygiène » qui est un non-sens. L’hygiène microbienne consiste à éviter les contaminations par des agents infectieux pathogènes de façon intelligente : elle n’est pas la propreté et encore moins le nettoyage ou la désinfection. L’hygiène ne peut pas être excessive, de la même façon que le sommeil ne peut pas avoir une qualité excessive. La cause profonde de l’allergie serait la nourriture transformée qui est pasteurisée et chargée d’additifs conservateurs afin de la rendre conservable ; ce serait également la tendance stupide à vouloir tout désinfecter. Non seulement ces conservateurs et désinfectants éliminent les microorganismes dont le système immunitaire a besoin pour sa maturation et son éducation, mais ils irritent la muqueuse digestive, ce qui favorise également l’allergie.

Ainsi, on considère aujourd’hui l’allergie comme une maladie de société, liée aux aliments transformés et la désinfection. Si l’on veut être complet, il faut encore ajouter que chez les sujets allergiques, le microbiote intestinal – c’est-à-dire les bactéries physiologiques et très nombreuses de notre intestin – est de mauvaise qualité et ne joue pas son rôle habituel de régulateur immunitaire (la mauvaise qualité du microbiote intestinal ayant à peu près les mêmes causes que celles déjà envisagées plus haut). La consommation de certains médicaments par voie orale constitue une agression supplémentaire et à ce sujet le rôle des antibiotiques est assez évident.

L’augmentation du nombre d’allergènes et l’apparition d’allergènes émergents: pourquoi?

On considère que c’est là encore la conséquence de la transformation des aliments. Mais le mal est encore plus profond : la production des matières premières alimentaires est également en cause (pesticides, antibiotiques…). Les aliments labellisés BIO sont bien sûr moins pollués, mais ils sont plus coûteux et se conservent moins bien.

On retrouve donc logiquement les mêmes causes que pour l’augmentation de nombre de personnes allergiques – à savoir une insuffisance de stimulation microbienne dans la petite enfance, s’ajoutant à des agressions de la muqueuse digestive par des produits chimiques -, mais auxquelles il faut ajouter le fait que certaines transformations de matières premières alimentaires rendent ces dernières plus allergéniques qu’elles ne l’étaient naturellement ; d’où l’apparition d’allergènes dits émergents.

L'ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire alimentation environnement travail) vient de préconiser que ces nouveaux allergènes figurent sur la liste obligatoire des allergènes à spécifier sur l'étiquette des denrées alimentaires. Les dispositifs légaux actuels vous semblent-ils suffisants ?

Cela devient très complexe étant donné les modes actuels de préparation industrielle des aliments. D’énormes progrès ont été faits dans l’identification des allergènes alimentaires et leur caractérisation. La réglementation européenne est assez avancée sur ce point. Mais d’une part, il y aura sans cesse de nouveaux allergènes en fonction de ce que nous avons vu, et d’autre part les aliments transformés industriellement sont de plus en plus multicomposés. Dans un plat cuisiné ou une sauce industrielle, il y a souvent plus d’une dizaine de substances dont plusieurs sont des allergènes connus. On considère habituellement que l’allergie (vraie) n’est pas dose dépendante ; cela signifie qu’une très faible quantité d’allergène peut déclencher une réaction allergique parfois grave.

Or, étant donné les méthodes de préparation industrielle des aliments, les fabricants sont de plus en plus souvent conduits à indiquer « Peut contenir des traces de…, de… et de… ». Au point que consommer des aliments industriels peut devenir un véritable casse-tête pour les sujets allergiques et leurs proches.

Toujours est-il que l’ANSES devra en effet préconiser l’affichage obligatoire de nouveaux allergènes ; cela implique une véritable veille allergénique – surveiller en permanence l’apparition d’allergènes jusqu’ici inconnus des allergologues – et une augmentation du coût de fabrication des aliments industriels.

On parle souvent des allergies au gluten ou au lactose, car elles sont habilement utilisées par les industriels ou les commerçants. Peut-on vraiment parler d'allergies à ce sujet ? Quelle est la part du marketing et de la réalité médicale ?

Le terme allergie est employé à tort et à travers dans le langage commun. Ce qui fait qu’il est très souvent utilisé à la place du terme intolérance. Les intolérances alimentaires ne sont pas de nature immunologique, excepté la maladie cœliaque (forme majeure d’intolérance au gluten) qui est une intolérance immunologique, mais non allergique, car il ne s’agit pas d’une hypersensibilité à la différence des allergies vraies : le mécanisme de la maladie cœliaque est fort complexe, tout à fait à part.

L'allergie alimentaire est une réponse immunitaire inappropriée (pathologique, anormale) à un composant d'un aliment, le plus souvent une protéine, par un individu prédisposé. La substance qui provoque l’allergie est appelée un allergène.

Lors d'une première exposition à un allergène alimentaire, le système immunitaire du sujet atopique (sujet prédisposé) peut s’immuniser contre cet allergène et cela sans qu'aucun trouble ne se manifeste. Si cette immunisation pathologique s’est réellement effectuée et en cas de contacts ultérieurs avec l’allergène, le système immunitaire va le reconnaître et réagir plus ou moins violemment : c’est la réaction allergique qui est une réaction dite d’hypersensibilité et dont il existe deux types principaux.

La réaction d’hypersensibilité immédiate est pratiquement le seul type d’allergie alimentaire couramment diagnostiqué. Son mécanisme fait intervenir des anticorps « allergiques » qui sont des immunoglobulines de type E (mais aussi semble-t-il parfois de type G) spécifiques de l’allergène en question. C’est le type d’hypersensibilité alimentaire de loin le plus connu et le plus étudié. Les signes (ce que l’on constate) et les symptômes (que l’on ressent) sont de gravité très variable : troubles intestinaux ; signes cutanés (petits éléments ou plaques rouges : érythème ; éléments en relief avec des démangeaisons : urticaire) ; manifestations respiratoires (gêne à respirer) ; ou généraux (œdème cutané et au maximum un véritable choc anaphylactique : malaise général grave avec chute de tension et diminution de l’état de conscience pouvant conduire au décès).

La réaction d’hypersensibilité retardée a un mécanisme très différent : elle fait intervenir une certaine sous population de lymphocytes (globules blancs de l’immunité spécifique) qui sont activés, ainsi que des médiateurs chimiques (cytokines) qui activent d’autres cellules effectrices de l’immunité, elles-mêmes se mettant à infiltrer la peau et les muqueuses. Ces réactions allergiques retardées et durables sont beaucoup moins connues, mais elles seraient fréquentes et de plus en plus, notamment chez l’enfant. Elles donnent lieu à des entérocolites prolongées pouvant être graves, parfois à des œsophagites également prolongées.

Les intolérances alimentaires n’ont pas la gravité des allergies, exception faite de la maladie cœliaque : une intolérance au gluten (complexe protéique des céréales) de type immunitaire, mais sans hypersensibilité (ce n’est pas une vraie allergie).

À part la maladie cœliaque qui est grave dans sa forme majeure, les intolérances alimentaires sont plutôt bénignes et leurs manifestations sont en général limitées à l’appareil digestif. Les signes et symptômes varient dans leur intensité, cela en fonction de la quantité de l’aliment ingéré et de la façon (accompagnement) dont il est consommé. En effet, l’intolérance alimentaire, contrairement à l’allergie, est dose dépendante.

La maladie cœliaque, ou intolérance au gluten, est une entéropathie (une maladie de l’intestin grêle) dite « auto-immune », provoquée par l’ingestion de gluten (fraction insoluble des protéines de blé, d’orge et de seigle ; l’avoine sans gluten est en général tolérée) chez des individus génétiquement prédisposés ; elle est deux fois plus fréquente chez la femme que chez l’homme ; elle doit être distinguée de l’allergie aux protéines de blé (qui implique des immunoglobulines ou anticorps de type Ig E). La maladie cœliaque touche environ 1% des populations d’Europe, du continent américain, d’Afrique du Nord et du sous-continent indien.

Les intolérances enzymatiques résultent de la déficience d’un système enzymatique, ce qui empêche l’assimilation d’un aliment et donne lieu à une prolifération bactérienne particulière et anormalement forte, provoquant des ballonnements, des douleurs et une fatigue après le repas. Par exemple, l'intolérance au lactose (sucre du lait) est due à une insuffisance en lactase, l'enzyme intestinale qui scinde le lactose en galactose et glucose, deux sucres simples facilement assimilés à la différence du lactose.

Les intolérances pharmacologiques sont liées à des substances pharmacologiquement actives (comme des médicaments) qui sont présentes dans certains aliments. Par exemple, le thon rouge peut contenir de l’histamine : c’est un vasodilatateur (malaise, rougeur, chute de tension).

Il existe bien d’autres intolérances alimentaires, comme celles aux additifs des aliments transformés et de conserve. Leur mécanisme n’est pas bien connu et leur étude est difficile, tant les additifs sont nombreux. Elles sont en général bénignes.

Par ailleurs, il faut savoir que tout aliment, quel qu’il soit, dès l’instant où il est ingéré en très grande quantité, peut donner une intolérance par concentration anormalement élevée de l’un de ses composants, soit dans l’intestin, soit dans le sang ou dans un autre organe.

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