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Schisme social : pourquoi l'Amérique blanche conservatrice est en train de perdre la bataille contre de nouvelles générations mixtes
©Reuters

Bonnes feuilles

Une enquête sur les mutations économiques et sociales que traversent la démocratie et la population américaine en 2014. L'auteur pointe la crise économique, l'explosion des minorités, l'importance des femmes qui gagnent en droits, en statut et en autonomie, et le recul de la domination du "mâle blanc". Extrait de "Un nouveau rêve américain", de Sylvain Cypel, aux éditions Autrement (2/2).

Sylvain  Cypel

Sylvain Cypel

Sylvain Cypel est journaliste, spécialiste des Etats-Unis. Après avoir été rédacteur en chef de Courrier International, il a été le correspondant du Monde à New-York. Aujourd'hui, il collabore à l'hebdomadaire le 1 et au site d'information Orient XXI. Il a notamment publié Les emmurés (La Découverte, 2004).

 

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L’étude s’intitule « Quand Blanc c’est juste la moyenne ». Publiée à l’été 2013 dans la Revue de sociologie américaine par deux chercheurs de l’université Stanford, elle présente une vaste enquête menée à Cupertino, ville de la Silicon Valley qui accueille le siège social d’Apple et de nombreux sites de grandes sociétés informatiques et de start-up. Une ville universitaire, aussi, qui a pour particularité d’avoir une population originaire à 63 % d’Asie. L’étude porte sur les perceptions partagées par les habitants, en particulier par les rejetons d’immigrés de deuxième génération (dont les parents sont déjà nés aux États-Unis). Bilan : le succès moindre des Blancs dans les études modifie le « statut » conféré à la couleur blanche de la peau. « Être asiatique équivaut à plus d’accomplissement, plus de travail et plus de réussite. Être blanc, par contraste, représente moins d’accomplissement, une certaine paresse et une médiocrité universitaire1 ». Être blanc équivaudrait donc à être moyen et flemmard… Bref, la présence sur le temps long d’une population d’origine immigrée placée en position dominante – et jouissant d’une notoriété d’acharnement à la quête d’une carrière réussie – modifie le regard porté sur les implications de la couleur de la peau. En Californie, désormais, qu’ils soient citoyens américains ou étrangers, les Asiatiques,15 % de la population, constituent (étrangers inclus) presque 40 % des étudiants des universités d’État, et même 42,3 % en première année à Berkeley en 2014. On imagine mal qu’un tel bouleversement reste longtemps sans impact sur l’évolution des regards ethno-raciaux.

À 4 500 kilomètres de là, c’est d’une autre manière que les étudiants d’Extrême-Orient font parler d’eux. « Harvard est-il injuste envers les Asiatiques-Américains ? », s’interroge le New York Times2. Motif : ceux-ci écrasent la concurrence au SAT, l’examen d’entrée obligatoire à l’université, fournissant plus de la moitié des élèves y obtenant les meilleures notes. Pourtant, ils ne constituent que 17 % des admis. Sont-ils discriminés ? De fait, comme elles le firent et pour les mêmes motifs à l’égard des juifs dans les années 1930, les autorités universitaires procèdent bien à un « rééquilibrage » à leur détriment, tenant compte dans leurs décisions d’admission de critères comme l’« originalité » ou la « capacité à diriger ». Ces critères subjectifs leur permettent d’obtenir des classes plus hétérogènes sur le plan ethno-racial et d’éviter de se retrouver dans la situation de l’université publique en Californie, c’est-à-dire avec une sur-représentation d’étudiants asiatiques. Ainsi sont préservés des taux d’admission à Harvard des Noirs et des Hispaniques, mais aussi… ceux des Blancs.

Deux exemples, qui montrent, pour le premier, l’impact d’une population émergente sur les normes de son environnement, pour le second, les efforts d’une institution afin de minorer, précisément, ce même impact. Ce n’est pas un hasard s’ils sont issus de la Californie et du Massachusetts, où sont situées nombre d’universités cotées du pays, tant les Asiatiques – Indiens, Chinois, Coréens, etc. – investissent le champ académique. Car deux Amériques se profilent et semblent s’écarter de plus en plus l’une de l’autre. La première est celle des États côtiers et frontaliers, la seconde celle, globalement, des États du coeur du pays. La première est de plus en plus peuplée, de plus en plus éduquée, de plus en plus « mixte » sur le plan ethno-racial et plus égale sexuellement, bref de plus en plus moderne – mondialisée. C’est aussi dans cette Amérique que se situe la majorité des Millenials, ces jeunes de 18 à 30 ans qui se démarquent fortement de leurs parents et grands-parents sur les grands enjeux de société : pour le mariage gay, contre le commerce libre des armes à feu, avec aussi un rapport beaucoup plus distendu à la religion. Dans l’autre croît le désarroi de cette Amérique blanche conservatrice qui perçoit confusément qu’elle perd la bataille.

Car, sauf très improbable retournement, on ne voit pas comment la société américaine cesserait de se mondialiser toujours plus. Les démographes pronostiquent que les Américains nés à l’étranger et leurs enfants de première génération nés aux États- Unis, c’est-à-dire les deux groupes qui entretiennent spontanément avec le monde extérieur au pays une relation plus régulière, auront plus que doublé d’ici une génération depuis son plus bas niveau, atteint dans les années 1970, pour réunir plus du tiers de la population en 2050 : 37 %, exactement, un taux jamais atteint dans toute l’histoire américaine. Les pics historiques de la part des immigrants dans la population – 14,8 % en 1890 et 14,7 % en 1910 – devraient être dépassés entre 2020 et 2025.

Extrait de "Un nouveau rêve américain", de Sylvain Cypel, 2015, publié aux éditions Autrement. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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