Scandale autour du WWF en Afrique : comment l’anti-humanisme a contaminé une partie de l’écologie<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Environnement
Scandale autour du WWF en Afrique : comment l’anti-humanisme a contaminé une partie de l’écologie
©EVARISTO SA / AFP

L'armée des douze singes

Le WWF a récemment été épinglé pour avoir soutenu des programmes de stérilisation et des groupes paramilitaires violents pour lutter contre le braconnage.

Sylvie Brunel

Sylvie Brunel

Sylvie Brunel, Geographe, Ecrivain, spécialiste des questions agricoles, a notamment publié "Nourrir, cessons de maltraiter ceux qui nous font vivre" (Buchet-Chastel), grand prix du livre eco 2023. Et "Sa Majesté le Maïs" (le Rocher) parution le 14 février 2024. 

Voir la bio »

Atlantico: Si l'action de la WWF peut par bien des aspects être jugée salutaire, ce genre de dérapages ne montre-t-il pas l'existence d'une tendance fortement anti-humaniste au sein des mouvements écologistes aujourd'hui ?

Sylvie Brunel : Tout à fait. Bien sûr, il ne faut pas les mettre toutes dans le même sac, mais globalement ces organisations idéalisent la nature, forcément bienveillante, et détestent l'humanité, vue comme proliférante, nuisible, destructrice. Leur discours, fondé sur la peur, met en scène l'idée d'une trajectoire linéaire vers le désastre liée aux activités humaines. L'humanité préparerait sa propre destruction parce qu'elle détruirait la planète.

La collapsologie, ou science de l'effondrement du monde, est devenue une discipline à part entière, une religion qui a ses prophètes, ses prêtres, ses bibles, et toute une infrastructure, d'autant plus efficace qu'elle est largement subventionnée par les Etats, qu'elle bénéficie de l'oreille complaisante de nombreux médias, qui relaient les cris d'alarme sans prendre le recul critique nécessaire. Le paganisme écologique s'est installé en Occident, et il porte en lui un dangereux discours de ségrégation et de violence, fondé sur le refus de la modernité, des techniques et du progrès, au profit d'une idéalisation du passé, d'un monde de petites communautés agrariennes, vivant simplement au contact de la nature, en autoconsommation.

Mais, double paradoxe, d'une part ce discours est porté par des urbains qui bénéficient des derniers acquis de la modernité et font un usage intensif des techniques les plus modernes de communication, d'autre part il s'exerce précisément contre des populations pauvres, qui, parce qu'elles manquent de tout, prélèvent largement les ressources naturelles, animales et végétales, déforestent et braconnent pour survivre… menant en réalité la vie de chasseurs cueilleurs dont ces organismes font par ailleurs l'apologie lorsqu'ils célèbrent le mode de vie du paléolithique contre la modernité destructrice. La contradiction est résolue par le fait que les pauvres sont accusés d'être trop nombreux et que c'est ça qui pose le principal problème : pour qu'ils retrouvent une vie heureuse en harmonie avec la nature, il faut en restreindre le nombre, au besoin par la stérilisation forcée, voire l'élimination physique !


Via quels réseaux ces tendances ont-elles prospéré et diffusé leurs idées ces dernières années ?

Les ONG environnementales se sont imposées dans les représentations mondiales à partir de la fin de la guerre froide, en 1991, qui voit la fin de l'affrontement binaire entre deux puissances rivales, les Etats-Unis et l'Union soviétique. Avec la disparition de cette dernière et l'émergence de nouvelles puissances issues de l'ex Tiers-Monde, comme la Chine, l'aide publique au développement, jusque-là outil stratégique au service de la prééminence de l'Occident, se réoriente vers l'environnement. Jusque-là, les organisations environnementales intervenaient dans des niches, protection des oiseaux, création de parcs et de réserves. A partir du Sommet pour la terre de Rio de Janeiro de 1992, où apparaissent les conventions Climat et Biodiversité, elles deviennent toutes puissantes, d'autant que, depuis leur apparition au XIX ° aux Etats-Unis, elles se caractérisent par une très forte consanguinité avec les milieux politiques et d'affaires, ce qui leur donne une puissance de feu bien plus forte. La volonté du Nord développé de préserver son mode de vie et ses ressources leur donne un champ d'action planétaire en réactivant l'idée d'une planète menacée par la croissance démographique et les aspirations au développement des pauvres.

Ce discours n'est pas nouveau : Malthus en 1798, mais aussi le Club de Rome en 1972, avec le rapport "The limits to growth" le tenaient déjà.  L'idée que la capacité de charge de la Planète est limitée et qu'il faut restreindre, au besoin autoritairement, le nombre des pauvres et leur accès au développement est aussi ancienne que l'émergence du courant naturaliste en Occident. Les figures de proue du XIX ° du mouvement écologiste américain, Emerson, Thoreau, déplorent déjà la modernité et regrettent le passé ! La sanctuarisation des territoires s'effectue déjà au détriment des populations locales qui y vivent et les façonnent, Indiens d'Amérique comme Aborigènes d'Australie. Les méthodes sont brutales, voire génocidaires. Il faut attendre le début des années 60 pour que les Aborigènes acquièrent la citoyenneté australienne, alors qu'ils occupent le pays depuis 50 000 ans ! !

Et la tendance s'accentue. La conférence des Nations Unies dite de Nagoya en 2010 s'est donnée pour but d'augmenter les superficies protégées (entendons, protégées des populations locales) de 13 % à 17 % des terres émergées d'ici 2020, de 1 à 10 % des aires marines. Partout pêcheurs et paysans souffrent, du loup et de l'ours chez nous, de l'éléphant en Afrique, du léopard en Asie, du requin à la Réunion. Les grands prédateurs sont vus comme nobles et nécessaires. Le reste de la chaîne alimentaire, incluant l'être humain, n'a qu'à s'incliner, ou s'adapter. C'est une vision élitiste issue de l'origine de ces mouvements, les classes supérieures éduquées …qui par ailleurs ne se refusent rien pour elles-mêmes.

Ce qui est nouveau, c'est que les réseaux sociaux et la montée des peurs qu'ils alimentent, leur capacité à actionner des mécanismes d'émotion planétaire en mettant en scène des animaux menacés considérés comme attachants, exacerbe ce qu'Hemingway qualifiait déjà de sensibilité "animalitaire", radicalisant les discours et les actes. Ecoguerriers, actions violentes contre les supposés destructeurs de la nature, agressions contre les agriculteurs qui utilisent des machines dans leurs champs, soupçonnés de polluer alors qu'ils sont en train de protéger leurs récoltes des bioagresseurs (de plus en plus nombreux avec la mondialisation et le changement climatique), voire simplement de semer le blé qui nous nourrit… nous assistons à une dérive inquiétante de ce courant. Au point que certains mouvements comme le VEHMT (Voluntary Human Extinction Mouvement) préconisent l'extinction volontaire de l'humanité !


Quelle vision, respectueuse à la fois de l'humain et de l'environnement, peut-on opposer à ces discours ?

Un constat simple : chaque fois que le niveau de vie de l'humanité s'élève, chaque fois que des pauvres sortent de la pauvreté pour accéder à la classe moyenne, ils font de la protection de leur cadre de vie une priorité et accèdent aux techniques et aux moyens financiers pour réparer la planète. Dans un premier temps, on prélève, dans un second on recrée et on reconstruit. La capacité de charge d'un territoire dépend des techniques dont nous disposons pour le mettre en valeur. Plus on est avancé, plus on apprend à découpler la création de bien-être et la pression sur les ressources, et à en créer de nouvelles. L'humanité peut être destructrice, mais son histoire montre qu'elle sait aussi être formidablement amélioratrice. Sinon nous ne serions pas 7,5 milliards avec une espérance de vie mondiale de 72 ans, contre 3 milliards vivant 45 ans comme en 1960. L'environnement, de l'ancien français viron, le cercle, c'est ce qui exerce ses contraintes sur l'humanité et ce qu'elle façonne en retour. Partout, ce qui est à l'œuvre, quand la paix et la coopération s'exercent, et non les condamnations, les accusations et la violence, c'est une formidable intelligence collective pour trouver des réponses aux défis qui nous attendent, nombre, métropolisation, sécurité alimentaire, mobilité, changement climatique, ressources… préservation de la biodiversité. Le vrai développement durable, c'est vivre tous ensemble en paix sur une belle planète, ce qui est parfaitement possible quand nous serons 10 milliards sur la terre…

Sylvie Brunel est l'auteur de "Toutes ces idées qui nous gâchent la vie" publié aux éditions JC Lattès

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !