Sauver le système français des grèves et de la guerre civile : les solutions qui ont fait leurs preuves à l'étranger<!-- --> | Atlantico.fr
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Plusieurs pays ont réussi à faire les réformes nécessaires pour sauver leur système social.
Plusieurs pays ont réussi à faire les réformes nécessaires pour sauver leur système social.
©Reuters

Porte de sortie

Plusieurs pays ont réussi à faire les réformes nécessaires pour sauver leur système social. Petit tour d'horizon de ce qui a été possible ailleurs et qui pourrait l'être en France.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : A la question de savoir quelle affirmation décrit le mieux notre système social, 38% des Français répondent qu'il est "à réformer", plaçant cette opinion à la première place devant "à bout de souffle" avec 26% (voir ici). Pourtant, on constate que les opposants au changement se font toujours entendre. Comment expliquer ce paradoxe entre une volonté de changement, et en même temps une opinion systématiquement défavorable à sa concrétisation?

Philippe Crevel : Le changement est populaire à condition de rester virtuel ou de concerner les autres. Toute réforme est populaire seulement et seulement si elle ne fait que des gagnants or, par définition, une réforme vise à remettre à cause des situations acquises.

Les pays d’Europe du Nord ont réussi à engager des réformes structurelles car ils bénéficiant d’un minimum de consensus social. La réforme des retraites en Suède ou les réformes du droit du travail au Danemark ont été acceptées par l’existence de ce fameux consensus mais aussi par le retour assez rapide de la croissance. En France, une partie non négligeable de la population ne croit plus en la croissance ou au progrès. Au fond de nous, nous restons des conservateurs paysans sceptiques ayant peur de l’avenir. Nous préférons nous battre pour sauver les meubles que pour en acheter d’autres.

La présence de partenaires sociaux représentatifs et responsables constitue un atout évident dont la France est privée. L’autre voie empruntée par certains Etats dont le Royaume-Uni est celle de la guerre de mouvement avec des politiques de rupture. Mais quand Margaret Thatcher a lancé ses grandes réformes, l’opinion publique la soutenait.

Chez nos voisins scandinaves, les réformes engagées dans les années 90 concernant la prise en charge des personnes âgées, ainsi que de l'assistance sociale en générale se sont faites sans heurt, et sont aujourd'hui montrés en modèle. Serait-il possible d'envisager les réformes autrement que par la voie thatchérienne, c'est à dire en une confrontation systématiquement et parfois violente ?

La France reste profondément marquée par l’échec de la réforme de 1995 engagée par Alain Juppé. La grève durant plusieurs semaines des transports publics et des services publics avait bloqué le pays au mois de décembre. Le Premier ministre avait du reculer et abandonner l’idée de réformer les régimes spéciaux des retraites et restreindre sa réforme à l’assurance-maladie. Depuis 1995, les gouvernements privilégient la politique des petits pas, des ajustements techniques en évitant les grands plans d’ensemble.

En 2003, François Fillon avait pour sa réforme des retraites dissocié le régime de la fonction publique de celui des régimes spéciaux pour éviter la coalition des intérêts. Une fois la réforme passée, le Premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin, ne cessait de répéter qu’il fallait retisser les liens sociaux et qu’il était urgent de ne plus réformer. A la différence des pays scandinaves voire de l’Italie, la France éprouve les pires difficultés à réformer de manière structurelle. Nous privilégions la réforme implicite, impressionniste avec à la clef des résultats. Depuis 1993, les réformes des retraites ont permis d’économiser 6 points de PIB ce qui est loin d’être négligeable.

Serait-il envisageable de mettre en place un système de rachat de privilège, c'est à dire que l'Etat reverse une partie des économies réalisées pour débloquer le consensus français qui ne vient pas ?

Ce principe du rachat est pratiqué de longue date. Ainsi, Nicolas Sarkozy a négocié avec la CGT afin d’aménager les régimes spéciaux. La Cour des comptes comme plusieurs autres rapports soulignent qu’il n’est pas évident d’apprécier la portée de la réforme. Les compensations accordées pourraient à terme effacer les gains supposés de la réforme.

Le rachat de privilèges peut se justifier quand les bénéficiaires ont payé pour les avoir ou qu’ils sont la contrepartie d’un réel préjudice. Par exemple, il ne serait  pas choquant d’indemniser les chauffeurs de taxis ayant du acheter leur plaque.

En revanche, l’idée du rachat peut être contreproductive car elle génère une surenchère permanente des revendications. Elle donne l’impression que les puissants, les lobbys échapperont quoi qu’il arrive aux réformes. La transparence et l’équité sont indispensables pour mener à bien des changements structurels.

Comment pourrait-on modifier le rapport de force entre partenaire sociaux et instances politiques, qui oblige souvent les gouvernements à revoir leurs ambitions ?

L’Etat doit cesser d’être le négociateur social par excellence. Est-il normal que le gouvernement soit en première ligne sur les conflits sociaux. Aujourd’hui, tout remonte au niveau de l’Etat qui se joue des divisions syndicales. Il conviendrait de protéger le domaine social et d’empêcher toute intrusion de l’Etat qui ne devrait fixer que quelques principes d’ordre public. A cette fin, le domaine de la négociation sociale devrait recevoir une véritable protection constitutionnelle. Contrairement à certaines idées reçues, les syndicats ont perdu tout pouvoir en matière d’assurance-maladie ou pour le régime de base des retraites. Le seul décideur, c’est l’Etat.

Evidemment, qu’il conviendrait d’aller plus loin dans la représentativité des syndicats. Pourquoi ne pas rendre obligatoire le vote des salariés ? Pourquoi ne pas automatiquement étendre les accords interprofessionnels à travers un vote du Parlement ? Il faudrait que les accords soient appliqués que par les parties prenantes ? Et dans cet esprit, pourquoi ne pas prévoir que les dispositions d’un accord ne soient pas réservées qu’aux seuls syndiqués dont les syndicats l’ont approuvé ? Il faut tourner la page du Congrès de Tours de 1920 ou du Congrès de Lille de 1921 qui ont marqué l’éclatement de la SFIO et de la CGT sur fond de la victoire bolchevique en Russie. Le syndicalisme français doit en terminer avec le combat politique qui l’anime depuis le vote de la loi Lechapelier de 1791. Le mouvement ouvrier a mis près d’un siècle à faire reconnaitre ses droits auprès des gouvernements. De combat est né une tradition de dialogue avec les pouvoirs publics quand dans les autres pays les relations entre patronat et syndicats  se sont inscrites dans le temps.

A quel point notre culture du changement est-elle suffisamment similaire pour qu'on puisse s'en inspirer ?

La France doit se construire sa culture du changement. Il convient de trouver les moyens pour amener les acteurs sociaux à être plus responsables et autonomes. Le recul de l’Etat du fait de ses problèmes budgétaires est peut être une bonne nouvelle. Un Etat moins influent laissera plus de place aux acteurs privés. Nous devons cesser que seul l’Etat peut initier et organiser le changement. En Allemagne, les partenaires sociaux interviennent sur le droit du travail sans être sous la férule de l’Etat. 

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