Sanctions contre la Russie : les conditions juridiques des fermetures d’entreprises françaises, un détail… vraiment ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le groupe français TotalEnergies a annoncé le 22 mars sa décision de cesser tout achat de pétrole ou de produits pétroliers russes, "au plus tard fin 2022".
Le groupe français TotalEnergies a annoncé le 22 mars sa décision de cesser tout achat de pétrole ou de produits pétroliers russes, "au plus tard fin 2022".
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Le prix du patriotisme

Il apparaît très mesquin de s’inquiéter du contexte juridique d’une fermeture d’entreprise en Russie. Nous devons fermer nos entreprises, c’est impératif pour que cesse la guerre ? Ainsi l’Europe en a-t-elle décidé, cela devient une obligation à l’égard de toutes les entreprises européennes...

Sophie de Menthon

Sophie de Menthon

Sophie de Menthon est présidente du Mouvement ETHIC (Entreprises de taille Humaine Indépendantes et de Croissance) et chef d’entreprise (SDME).

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On a toutefois le droit de penser que l’on crée alors d’autres victimes civiles dans les populations ? Un préambule tout de même : laisser sur le carreau 1000 ou 30000 salariés interpelle un peu l’éthique d’un patron même en période de guerre (nous ne sommes pas en guerre contre le peuple Russe). Le Président de le République a fait preuve d’un grand libéralisme en nous laissant libres de fermer, ou pas, tout de suite ou pas, dans les conditions qui seront les nôtres, il ne nous a donné ni ordres stricts, ni de consignes précises… et pour cause, on pourrait s’imaginer par ailleurs que ce soit l’ouverture d’un nouveau « quoiqu’il en coûte » ! Cette fois ci, à nous de payer, seuls. Le prix du patriotisme.

Mais « en même temps » si nous avons bien compris « les entreprises qui dérogent aux sanctions économiques imposées par Bruxelles sont passibles, si l’on contrevient à ces ordres européens, de graves sanctions pénales et financières. » Pas d’ordres de notre gouvernement, mais avec plusieurs épées de Damoclès si on ne ferme pas ou pas dans les temps ou trop peu.

Les textes existent et devraient être appliqués. Les sanctions économiques prises par l’Union Européenne pour toutes les entreprises ont été adoptées par Règlement du Conseil de l’Union européenne.

Un petit rappel, ces sanctions adoptées par l’Union Européenne sont applicables à toutes les personnes physiques de la nationalité d’un État membre ou se trouvant sur le territoire de l’un de ces États, à toutes les personnes morales immatriculées dans un État membre ou opérant depuis le territoire de l’un de ces États.

En France, le fait de contrevenir ou de tenter de contrevenir aux sanctions européennes est passible de sanctions pénales encourues par les personnes physiques et morales (art. 459-1 bis du code des douanes).

Ces sanctions peuvent aller jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et une amende égale au minimum au montant et au maximum au double (décuple pour les personnes morales) de la somme sur laquelle a porté l’infraction ; et peuvent être assorties de peines complémentaires telles que l’exclusion des marchés publics, l’interdiction d’exercer, etc.

Par ailleurs, des entreprises françaises ayant des relations contractuelles avec des compagnies russes peuvent se retrouver dans l’impossibilité d’exécuter leurs obligations contractuelles et voir leur responsabilité engagée. On évoque nulle part la riposte russe. Dans ce cas bien sûr la première défense qui vient ici à l’esprit - et à juste titre - est l’invocation de la force majeure par le co-contractant français, certes...

Et puis il y a les engagements commerciaux ; selon le niveau de risque identifié pour les activités objet du contrat, il peut être utile d’anticiper la possibilité que les opérations commerciales puissent faire l’objet de restrictions en cours d’exécution du contrat ? Flou artistique volontaire ? 

Et le chômage ? Nous avons étudié les conditions, il semble donc que les entreprises pourront licencier les salariés soumis au droit russe si les filiales de nos entreprises sont fermées. Mais pas un chef d’entreprise digne de ce nom, français de surcroît, ne licencie un salarié en le laissant sans rien au coin de la rue. Que se passe-t-il donc si je licencie des salariés dans une filiale française en Russie ? Sachant qu’une filiale a la personnalité juridique et la nationalité du pays dans lequel elle est située. Le droit applicable est indépendant de la nationalité des actionnaires. Tout va donc dépendre du contrat de travail, de droit français ou de droit local. En général les entreprises françaises qui envoient des salariés dans des filiales à l’étranger, les placent sous un statut de droit français, mais pas nécessairement. La durée de la mission entre en considération. Dans ce cas, les salaries bénéficieront du régime français. Pour les expatriés, les employeurs doivent leur proposer un poste équivalent ou maintenir le salaire en l’absence d’offre de reclassement adéquate.

En Russie, l’allocation chômage est versée de manière régulière mais non permanente, dans la limite d’une période prédéfinie. Elle est accordée uniquement aux personnes dûment reconnues comme demandeurs d’emploi. Rien à voir avec le confort de notre système ; pour être reconnu chômeur, il faut être sans activité, privé de salaire et apte à travailler et être inscrit comme demandeur d'emploi auprès des services compétents, puis être à la recherche d'un emploi, et être prêt à accepter toute offre. L'allocation chômage est servie à compter du premier jour qui suit la date à laquelle la personne a été reconnue comme chômeur, on peut bien sûr compter sur la bonne volonté et l’enthousiasme de l’administration russe pour agir au mieux !

On peut aussi, c’est ce que veulent les Français ?  Se laver les mains comme Ponce Pilate de l’avenir de nos salariés russes qui ont été fidèles, efficaces et n’ont rien demandé (on rappelle encore que nous n’avons pas déclaré la guerre au peuple russe).

Le premier vice-président du gouvernement russe Andreï s’est exprimé concernant les groupes étrangers qui souhaitaient quitter la Russie, nous avons donc officiellement le choix entre une procédure de faillite accélérée avec « la fermeture définitive de l’entreprise en Russie, suivie de l’arrêt de la production et du licenciement des employés » et un scénario intermédiaire permettant de transmettre « au moins temporairement » les parts détenues par des occidentaux, vers des investisseurs russes, qui demeureront pour leur part autorisés à les posséder. Les entreprises seraient ensuite autorisées à revenir sur le marché russe et à reprendre leurs actifs, une fois les sanctions levées (SIC). Qui peut croire à ces promesses ? On va donc faire semblant, sachant que d’autres pays proposent aimablement de remplacer ou de reprendre nos entreprises ?

Face à des milliers de morts, ces considérations peuvent paraître secondaires, Il n’est pas certain qu’elles doivent être considérées comme telles. En plus il est très difficile d’obtenir une aide ou des éclaircissements à qui que ce soit…  Pour des patrons français qui estiment avoir des responsabilités sociales, économiques et sociétales, si ces remparts juridiques tombent c’est un conflit de plus. Sans compter lorsque Bercy veut aider dans la grande tradition de la complexité incompréhensible : illisible ! Voir ci-dessous *

Pour un patron français installé en Russie c’est en tous les cas une vraie galère, ils font pour le mieux, en leur âme et conscience, cela s’appelle l’éthique ! Ils ne méritent pas d’être critiqués par des politiques qui ne font usage que de la parole ou de la sanction… pour tout le monde.

Pourrait-on, au moins, avoir un cessez- le- feu en termes de communication et en matière d’agression de nos chefs d’entreprise en France, en respectant ceux qui sont les acteurs responsables de ce blocus imposé…  A-t-on encore le droit à une Éthique d’entreprise sociale ? Et peut-être même dans certains cas d’être des objecteurs de conscience ?

Sophie de Menthon

Présidente du mouvement ETHIC (Entreprises de taille Humaine Indépendantes et de Croissance)

* le lien pour « aider » les entreprises à savoir comment elles vont être impactées par les sanctions…

https://www.tresor.economie.gouv.fr/services-aux-entreprises/sanctions-economiques/russie

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