Samuel Paty : un héros de notre temps<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Des personnes rassemblées lors d'un hommage à Samuel Paty.
Des personnes rassemblées lors d'un hommage à Samuel Paty.
©ALAIN JOCARD / AFP

Bonnes feuilles

David Di Nota publie « J’ai exécuté un chien de l’enfer Rapport sur l'assassinat de Samuel Paty » aux éditions du Cherche Midi. L'auteur analyse la rumeur infondée qui a conduit à l'assassinat de Samuel Paty, un professeur de collège, dans une petite ville paisible des Yvelines. Cet ouvrage révèle notamment une série d'incohérences institutionnelles. Extrait 2/2.

David Di Nota

David Di Nota

Romancier, dramaturge et docteur en science politique, David di Nota a reçu le prix Amic de l’Académie française pour l’ensemble de ses livres.

Voir la bio »

« Objet : terrible nouvelle » : tel est le titre du courriel que la principale enverra aux enseignants avant que cet assassinat ne provoque une onde de choc dans tout le pays et, par incidents diplomatiques interposés, dans le monde entier. Le lendemain, le procureur national antiterroriste détaillera la nature exacte des coups portés, mais le jour même, et pendant quelques heures, une photo résumera mieux que tous les commentaires le projet de l’assassin : celle d’une tête détachée du corps, cernée d’une flaque de sang, joue gauche posée sur le sol. Banale et même logique partout où les soldats d’Allah passent à l’action, la décapitation d’un enseignant n’en conservera pas moins, en France, un caractère presque surréel. Elle plongera le pays dans un traumatisme profond duquel la République ne sortira qu’en multipliant les hommages officiels. La Légion d’honneur lui sera décernée à titre posthume. Une cérémonie nationale sera organisée dans la cour de la Sorbonne. Un proche lira la lettre de Jean Jaurès aux instituteurs, une enseignante un poème de Gauvain Sers, puis une élève les mots d’Albert Camus à son maître. Quant au président de la République, après avoir évoqué l’homme, il fera de Samuel Paty un « héros tranquille », hussard tombé au champ d’honneur de la laïcité française. Mais cette belle continuité martyrologique ne saurait faire oublier le contexte institutionnel de l’assassinat, de même que l’émotion ne saurait faire oublier l’écart entre cette lointaine époque et la nôtre. Sans la destitution de l’enseignant et la sacralisation dévastatrice de l’élève, le témoignage de la petite Z. n’aurait jamais acquis la moindre importance, pas davantage que le témoignage d’un cancre à l’époque somme toute bénite où l’administration scolaire n’avait pas encore fait du professeur, à la moindre offense ou au moindre malentendu, son fautif idéal.

Et ainsi en va-t-il de la situation historique dans laquelle l’enseignant français se trouve aujourd’hui plongé. Cette situation n’est pas si complexe que nous ne puissions la résumer simplement. De même que le pouvoir parental ne surgit pas de nulle part, mais d’une doctrine pédagogique précise, la précarisation du métier d’enseignant repose sur la combinaison hautement inflammable de deux facteurs. D’un côté, un prosélytisme tabligh, salafiste et fréro-musulman dont seuls les Candide de l’antiracisme contestent encore l’importance ; de l’autre, un désengagement continu de l’État sous la houlette d’une doctrine économiquement libérale, désengagement qui se traduit par une précarisation chaque fois plus avancée du métier lui-même.

Lorsque ma compagne m’a demandé sur quoi je travaillais actuellement, je lui ai répondu que je m’intéressais à une plaisanterie. Je lui ai fait part des projets de Paty touchant ce modèle de liberté et d’amour qu’est la Chine, plaisanterie à laquelle personne, à ma connaissance, n’a attaché d’importance. Je me souviens que, plus d’une dizaine d’années auparavant, j’avais écrit un article sur les réactions indignées qu’un romancier avait suscitées en parodiant le style d’une écologiste très en vue, et j’avais conclu par ces mots : « Tous les hommes sont égaux, mais ceux qui n’ont pas d’humour sont plus égaux que d’autres. » J’ignorais que cet axiome deviendrait le mot d’ordre d’une dictature aussi absurde que toutes les autres – la « culture du respect ». Au cours des mois qui suivirent l’assassinat de Samuel Paty, des intellectuels accommodants insisteront beaucoup sur l’importance de ne pas froisser les croyants. Considéré moralement, cet appel au respect est aussi inattaquable que l’amour de l’humanité à la belle époque du stalinisme, mais il butera toujours sur ce simple fait : lors d’une année précédente, l’enseignant a présenté une caricature de Jésus, et personne n’en a jamais rien su. Pourquoi les chrétiens n’ont-ils pas contacté la principale du collège en exigeant le renvoi immédiat du professeur ? Samuel Paty aurait-il changé entre-temps ? Aurait-il manqué de respect dans un cas, et non dans l’autre ? Offense is taken, not given, résume un humoriste anglais. La question n’est pas de savoir si l’offenseur aurait fait quelque chose de mal, car l’offense est définie par l’adversaire. La question est de savoir ce que cherche, ou plutôt manigance, l’homme offensé.

A lire aussi : Les racines de la tragédie : comment Samuel Paty a dû se défendre face à la calomnie

Extrait du livre de David Di Nota, « J’ai exécuté un chien de l’enfer Rapport sur l'assassinat de Samuel Paty », publié aux éditions du Cherche Midi. 

Lien vers la boutique : cliquez ICI et ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !