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Saint-Ouen, pire que Marseille ? Non car "ici on blesse pour mutiler afin que le quartier se souvienne"
©Reuters

Bonnes feuilles

À deux pas du célèbre marché aux Puces, le trafic de cannabis est partout. Pas un quartier de cette ville limitrophe de Paris n'y échappe. Cette situation est unique en France par son emprise sur la population. Ce business tentaculaire qui génère régulièrement des épisodes de violence a déjà fait plusieurs morts. Une enquête édifiante et passionnante qui montre comment la vente de cannabis et sa consommation marquent d'une empreinte indélébile les esprits et le paysage urbain. Extrait de "Une ville sous emprise Saint-Ouen ou la loi du cannabis", de Claire Guédon et Nathalie Perrier, aux éditions du Rocher 1/2

Claire Guédon

Claire Guédon

Claire Guédon est journaliste au Parisien depuis vingt ans. Elle a couvert comme reporter la banlieue parisienne.

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Nathalie Perrier

Nathalie Perrier

Nathalie Perrier, journaliste au Parisien de 1998 à octobre 2016, a publié en 2008 le livre Faut-il supprimer l'accouchement sous X ? Mères et enfants du secret témoignent, aux éditions du Rocher.

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4 mai 2015, en début de soirée « Ma ville est sous occupation des trafiquants »

William Delannoy, ancien marchand aux Puces, est réputé pour son franc-parler et ses formules qui claquent. C’est aussi un enfant de Saint-Ouen qui a vu la ville changer. Le maire (UDI) nous reçoit ce lundi 4 mai 2015 en début de soirée dans son bureau. La fusillade remonte à trois jours mais elle occupe toujours les esprits. Il ne mâche pas ses mots. « Saint-Ouen est une ville sous occupation des trafiquants et de la mafia, une ville où les habitants ne peuvent plus se déplacer tranquillement.»

L’élu déplie une carte de la commune qui s’étale sur l’énorme plateau de verre de la table de réunion. De la main, il balaie les noms des quartiers sous emprise: Émile-Cordon, Charles-Schmidt, 8-Mai-1945, les Bouteen-Train, Arago-Zola, 86-92 avenue Michelet, Soubise et Dhalenne (ces deux secteurs appartenant au Vieux-SaintOuen). La répartition géographique est frappante: toute la ville est concernée. Au fil des ans, les points de trafic se sont multipliés sur l’ensemble du tissu urbain, comme s’étendrait une maladie contagieuse. «Aujourd’hui, le centre commercial de la drogue de Saint-Ouen intéresse les trafiquants qui veulent développer leur activité, commente le maire. La situation est plus grave qu’à Marseille car nous sommes une ville de seulement 50 000 habitants!»

C’est la deuxième fois en un mois que William Delannoy évoque la cité phocéenne. Le 15  avril, après une énième agression par arme à feu le dimanche 11 avril qui, cette fois, a atteint un jeune homme à la mâchoire au Vieux-Saint-Ouen, il a lancé un appel au secours sur son compte Twitter: « Faut-il qu’une balle perdue vienne tuer des innocents pour que l’État nous accorde enfin les moyens humains et matériels (…)? Faut-il que Saint-Ouen remplace Marseille à la une de tous les journaux, pour qu’on nous aide enfin ?»

Saint-Ouen n’est évidemment pas Marseille, cette commune de 855 000 habitants dont l’histoire croise celle du grand banditisme et du «milieu ». Sur les bords de la Méditerranée, les fusillades et les homicides se succèdent à un rythme effarant. En 2015, dix-neuf personnes ont été tuées dans des règlements de comptes dans les Bouches-du-Rhône, dix-huit en 2014 et dix-sept en 2013. Les statistiques sont terribles. Plusieurs de ces morts ont pour mobile supposé les affaires de stupéfiants et une guerre sans merci entre clans. Rien de tel à Saint-Ouen, ni même dans le 93. «À Marseille on tue pour supprimer ou punir, ici on blesse pour mutiler afin que le quartier se souvienne», résume Philippe Galli, le préfet de Seine-Saint-Denis, lorsque nous le rencontrons dans son bureau en mai 2016. Le 1er février 2016, lors des vœux aux forces de sécurité en préfecture, à Bobigny, il soulignait déjà que, si le trafic de stupéfiants reste endémique en Seine-Saint-Denis, «l’on ne tue guère plus en 2016 qu’en 2015, vingt-huit morts au lieu de vingt-six, et les tentatives d’homicide volontaire se maintiennent, elles, à un niveau élevé, notamment en raison des règlements de comptes sur fond d’affaires de stups».

Depuis plusieurs mois, un phénomène inquiète au plus haut point la préfecture et le parquet: les «jambisations». Ce mode opératoire – traduction italienne de gambizzazione – est très prisé par la mafia italienne. Ces expéditions punitives ne font pas de morts : elles consistent à blesser, toujours aux jambes, et souvent très grièvement. En 2015, la préfecture du 93 en a répertorié pas moins d’une vingtaine, pas forcément toutes liées aux stups. Parfois, une rivalité amoureuse peut se régler à coups de kalach. La méthode employée est la même que celle des trafiquants. Seul le mobile diffère.

«En Seine-Saint-Denis et à Saint-Ouen, il y a peu de morts liés aux stups, répète le préfet. Les trafiquants préfèrent blesser, faire peur, menacer et séquestrer. Voir une personne blessée boiter toute sa vie marque plus qu’un décès qu’on finira par oublier, une fois l’émotion passée et la marche blanche terminée.» Et sur le plan pénal, les risques encourus sont moins lourds pour le tireur.

Même si les règlements de comptes mortels sont heureusement beaucoup moins fréquents à Saint-Ouen qu’à Marseille, ils n’en restent pas moins traumatisants, pour les familles, brisées, mais aussi plus largement pour leur entourage. Et dans une petite ville comme Saint-Ouen où tout le monde se connaît, a été à l’école, au collège, au lycée ensemble, a joué sur les mêmes terrains de foot, a partagé les mêmes vacances dans les mêmes colonies, les morts ont très souvent le visage d’un proche, d’un ami, d’un voisin.

Extrait de "Une ville sous emprise Saint-Ouen ou la loi du cannabis", de Claire Guédon et Nathalie Perrier, publié aux éditions du Rocher, novembre 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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