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Réveillon ensemble : quelle est la part de familles et de groupes d’amis socialement divers dans la France de 2018 ?
©AFP

Entre nous

Les festivités qui accompagnent le jour de l'An sont souvent l'occasion de retrouver des amis, des parents. Et si la fameuse dispute qui accompagne ce moment privilégié est devenue un lieu commun, la mixité sociale présupposée d'un tel événement n'est pas du tout évidente.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Gérard  Neyrand

Gérard Neyrand

Gérard Neyrand est sociologue, est professeur à l’université de Toulouse), directeur du Centre interdisciplinaire méditerranéen d’études et recherches en sciences sociales (CIMERSS, laboratoire associatif) à Bouc-Bel-Air.
 

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Atlantico : En période de fêtes et de repas de famille, quid de la mixité sociale ? Quelle est la proportion des familles qui sont socialement diverses en France ?

Gérard Neyrand : La diversité sociale peut s’évaluer de multiples points de vue, de milieu social, d’origine culturelle, de niveau et de type de formation, de lieu de vie... la diversité est donc importante dans une société comme la nôtre. Ceci dit, dans une période de mutations comme celle que l’on connaît il peut y avoir des phénomènes de repli identitaire visant à préserver des spécificités qui peuvent apparaître menacées. La société est donc un composite de tendances très diverses, certaines tendent à la diversification d’autres plus à la préservation de l’entre soi. Ainsi y a-t-il de plus en plus de couples mixtes, en 2015 27 % des mariages (en France et à l’étranger) concernent un.e français.e et un.e etranger.e, existent aujourd’hui des mariages entre personnes de même sexe, alors que certains quartiers ont tendance à se ghettoïser... cela donne l’image d’une société composite traversée de paradoxes et de contradictions. Il est alors quasi impossible de mesurer la résultante d’une telle situation contradictoire, la diversité pouvant se situer à des niveaux très différents dans un contexte d’hyper mobilité et en même temps de precarisation pour un nombre croissant de personnes.

Pascal Neveu : Il faudrait déjà, dans un premier temps, définir la mixité sociale. Sociologiquement, elle consiste en ce que des personnes issues de milieux sociaux différents se côtoient ou cohabitent. La mixité sociale engendre donc des quartiers hétérogènes peuplés d'habitants distincts par leurs revenus ou leurs origines. Même si de nombreuses études ont montré depuis longtemps que la proximité spatiale est loin d'entraîner automatiquement la proximité sociale, voire qu’elle n’est qu’un leurre.

Le sociologue Jean Viard a fait ressortir que « l’idéal » de mixité sociale ne se vivait plus par exemple dans les colonies de vacances. Car malgré la bonne image de ces « vacances » et ce mixage, le nombre annuel de départs a baissé de 200 000. Cependant, afin de revenir aux familles, les principales études portent sur l’habitat.

Mais elles n’abordent que très peu la question de la mixité sociale avec celle de la différence sociale. Car il est trop tentant d’en faire un amalgame politique, voire raciste intolérable. Une différence de milieu peut réactiver un complexe d'infériorité déjà ancré, parfois hérité de ses propres parent

En effet, il s’agit bien là d’une différence enrichissante, mais pas toujours facile à vivre au quotidien. Le plus dur : l’accueil par les familles. Rappelons nous ce film « Mais qu’avons nous fait au bon dieu ? », témoignage de cette mixité, et de commentaires très racistes… bien loin du vivre-ensemble. Au delà se poser la question du comment ces unions se forment, se vivent, s’aiment, tous les sociologues et psychologues affirment que l’amour n’apporte aucune règle. Pour autant, certaines personnes seraient plus prédisposés : parce qu’ils ont toujours été en contact avec des cultures étrangères, ou qu’ils sont eux-mêmes issus d’une union mixte.

Avoir été marginalisé dans sa propre famille, du fait de ses goûts, de ses valeurs et d’une appétence pour la différence, favoriserait l’attrait de " l’autre ". Sur le plan fantasmatique, ce choix protégerait de la peur inconsciente de l’inceste. Si j’épouse quelqu’un venu d’ailleurs, je suis sûr de n’épouser ni mon frère ni ma sœur, ni mon père ni ma mère. Les cultures asiatiques, africaines ou autres font toujours la différence et nous enrichissent tant. Pour que ça fonctionne, chacun doit faire un pas vers son pays : trouver des points communs, contrebalancer le poids de nos différences, qui pèsent surtout aux familles.

Les couples mixtes, les familles mixtes pourraient paraître plus fragiles que d’autres, mais ils sont tous une réalité, que grand nombre de xénophobes attaquent alors que nous sommes tous issus de mixité… la génétique le prouvant. En fait tous les couples et toutes les familles qui se retrouvent durant les fêtes sont mixtes : à défaut d’être étranger, l’autre est toujours un être étrange.

Chez les chrétiens, repensons aux débats concernant Jésus, Marie… alors que nous pourrions avec le cœur saluer l’amour universel.

Il semblerait aujourd'hui que l'on se marie de moins en moins entre catégories sociales différentes. Qu'en est-il ? Comment l'expliquer à l'heure où les politiques censées favoriser la mixité sociale se multiplient ?

Pascal Neveu : Selon une étude publiée par l'Observatoire des inégalités, 78% des ouvriers vivent avec une ouvrière ou une employée, contre 3% avec une femme cadre supérieure. Il est difficile de mesurer dans le temps l'évolution de l'homogamie (mariage entre individus de même milieu social), notamment à cause de l'élévation du taux d'activité des femmes et l'augmentation globale du niveau des diplômes. Mais on peut affirmer via les différentes recherches que l'on se met massivement en couple avec une personne du même milieu que le sien. Une « excuse », à défaut d’être une explication psychologique serait que l’on souhaite « Être » à la bonne hauteur pour rester soi.

Et c’est bien là où le concept de mixité sociale, de différence pose questions, souci et bloque la mixité sociale.

Gérard Neyrand : Là aussi les évolutions sont contradictoires, dans les couches moyennes la mobilité sociale reste forte alors qu’aux deux extrêmes de l’échelle sociale le repli est plutôt à l’ordre du jour. Les raisons en sont diverses, mais chacune tend à préserver une identité « de classe » qui se sent menacée. Pour les classes supérieures il s’agit de préserver la reproduction du capital, en privilégiant le mariage entre soi, alors que dans les couches sociales précarisés se nourrit un sentiment embigu mélange de revendications à une égalité démocratique que la réalité sociale rend impossible et de culpabilité refoulée mais qui reste très présente. Ce qui produit soit un repli sur soi soit une revendication agressive à plus d’égalité, comme le montre le mouvement des gilets jaunes, les deux pouvant se succéder. La tension entre les extrêmes tend alors à s’exacerber.

La situation est-elle similaire au sein d'un même groupe d'amis : a-t-on également tendance à se lier plus facilement d'amitié avec des individus issus d'un groupe social similaire au notre ?

Pascal Neveu : Qui n’a jamais entendu de tels propos entre classes sociales, les fameux « Elle ne sera jamais assez bien pour faire partie de notre famille », « On n'a pas les mêmes valeurs »...

Car nos centres d'intérêt, notre manière de parler, de nous habiller sont structurés par notre socialisation. Les amis ne sont pas moins pires que nos familles.

Gérard Neyrand : La tendance à l’homogamie, c’est-à-dire se lier avec des semblables, est lourde et a toujours existé. Qui se ressemble s’assemble dit-on. Elle reste très présente mais les facteurs de diversité n’ont jamais été aussi nombreux, et chez les jeunes l’accueil de la diversité est de mise, malgré la tendance au repli des plus précaires, qui cherchent à se protéger de la stigmatisation en s’isolant.

Si l'exode rural, source de mixité sociale, n'est plus aussi marqué, quels autres facteurs peuvent expliquer que les groupes sociaux ne se mélangent plus entre eux ? Quelles solutions pour y remédier ?

Gérard Neyrand : Je ne partage donc pas cette vision assez pessimiste même si la précarité est un facteur segregeant et qu’existent de multiples facteurs de dissension, la diversité reste très présente et plutôt bien acceptée... Ceci dit, la montée de la précarité et des phénomènes de repli sur l’identité nationale ou de groupe qui lui sont liés viennent contrecarrer cette tendance à la solidarité et au partage. D’où l’importance des processus de socialisation dans la formation des individus et leur capacité à se comporter en citoyens, et les perspectives de coéducation à développer pour s’opposer aux risques de dérive, de repli et de fracture sociale. Le changement social est à penser dès l’arrivée au monde des futurs citoyens, et il s’agit de leur donner les moyens de se positionner de façon lucide et novatrice dans le grand tumulte généré par la société hypermoderne.

Pascal Neveu : Dans le quartier parisien où j’exerce, j’observe tous les soirs les bars où toutes les mêmes catégories sociales se retrouvent. Leur question principale est « que fais-tu dans la vie ? » juste après le prénom et savoir si on peut s’entendre via un angle très limité et non humaniste. Lors de mes nombreux déplacements étrangers j’ai pu observer que la mixité sociale existe et se vit comme source d’enrichissement.

Sur la sphère internationale j’ai pu échanger et lier amitié avec de nombreuses personnes issues de milieux divers, sans le moindre préjugé, sans le moindre jugement, dans une diversité importante, et une humanité que je n’imaginais pas. La solution… c’est seulement l’ouverture à l’autre… et l’ouverture à soi. Se dépasser et aller vers l’autre.

Le cœur peut ouvrir des perspectives que nous n’osons pas découvrir. Il faut savoir voir avec son cœur… comme on le disait.

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