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Retournement d’opinion : les Britanniques n’en peuvent plus du Brexit (ou en tous cas de la manière dont il est géré...)
©DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

Bad luck

D'après un sondage dévoilé sur le site britannique Sky News, les Anglais seraient de plus en plus mécontents de la façon dont leur gouvernement envisage le Brexit. Entre autres, 52% de la population le voit comme très mauvais pour l'économie nationale.

Bruno Alomar

Bruno Alomar

Bruno Alomar, économiste, auteur de La Réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed.Ecole de Guerre – 2018).

 
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Atlantico : Un sondage Sky news révèle que 78% des britanniques estiment que le gouvernement de Theresa May traite mal la question du Brexit. 74% des britanniques estiment également que Theresa May gère mal la sortie de la Grande-Bretagne de l'Union-Européenne. Que penser de ces chiffres ? L'opinion des Britanniques a-t-elle réellement changé sur la question ?  

Bruno Alomar : D’abord les britanniques ont raison. Le gouvernement de Theresa May est empêtré dans le Brexit, d’une manière qui surprend. En réalité, ce n’est pas si étonnant, pour plusieurs raisons.

Première raison : le choc. La réalité est que le Brexit est un changement majeur de l’Histoire du Royaume-Uni. Il est logique qu’un tel changement ébranle un certain nombre de fondations politiques. A cet égard, le principal problème du Brexit n’est pas économique : il est politique. Les élites européennes, à Bruxelles et dans les capitales, ont été incapables de regarder le Brexit autrement que comme un sujet économique, et c’est ce qui explique leur erreur ! Le problème c’est que le Brexit est à la fois une cause et une conséquence du délitement de la classe politique britannique. Le Royaume-Uni mettra des années à se reconstituer une classe politique digne de ce nom.

Deuxième raison, les britanniques, et plus largement libéraux et anglo-saxons, récoltent la monnaie de leur pièce. Depuis des décennies, il est un consensus que les meilleurs d’un pays doivent aller faire de l’argent à la City, au lieu, au moins pour une partie d’entre eux, de servir leur pays comme haut fonctionnaire. Le Royaume-Uni n’a simplement pas suffisamment de hauts fonctionnaires d’excellence pour gérer cette situation. La paupérisation et la médiocrité croissante des hautes fonctions publiques est un fait incompris, profond, qui affecte aussi la France et l’Union européenne.

Ensuite, il ne faut se méprendre sur la signification d’un sondage : ce n’est pas la même chose qu’un vote.

Enfin, il y a des responsables à cette déception. Les partisans du Brexit naturellement, qui, il faut le dire, n’avaient pas pensé à « l’après ». Il y a aussi, plus largement, l’état du monde tel qu’il est. Le Brexit est un sujet qui porte sur des années voire des décennies… Nos systèmes politiques, irrigués d’internet, de journalisme de mauvaise qualité, de politiciens de piètre niveau, sont incapables de penser le temps long.

52% des Britanniques estiment que le Brexit est mauvais pour l'économie de leur pays. Qu'en est-il réellement ? Leur crainte est-elle justifiée ? 

Il faut distinguer plusieurs niveaux.

A très court terme, le Brexit n’a pas eu d’effet notable. Il n’y a pas eu de récession. Pas de fuite massive des capitaux. Pas de défiance généralisée vis-à-vis du Royaume-Uni. Le ralentissement de l’économie britannique, prématuré par rapport à beaucoup de pays d’Europe continentale, tient au fait que ce pays était plus avancé dans le cycle économique.

A moyen terme, c’est-à-dire quelques années, il est probable, surtout si la classe politique britannique continue à se déchirer et si, ce qui serait un désastre, Monsieur Corbin devait accéder au pouvoir, que le Royaume-Uni aura des difficultés. Il y a trop de paramètres pour savoir si ces difficultés seront fortes ou moyennes. Parmi ces nombreux paramètres, il y a la nature exacte des relations avec l’Union européenne.

A long terme, c’est-à-dire 5-10 ans et plus, ce sont les facteurs de succès économique de long terme qui vont primer. La productivité du travail par exemple, traditionnellement insuffisante au Royaume-Uni, et qui résulte notamment du système éducatif. Des facteurs culturels, comme l’esprit d’entreprise, le rapport au droit, l’ouverture au monde etc. Je souligne, et c’est le point essentiel, que le succès d’une économie comme l’économie britannique n’a jamais dépendu que de manière marginale de l’appartenance à l’Union européenne. Si la France est un pays plus intégré à l’Union européenne à cause de l’euro, la réalité est la même : l’essentiel de notre politique économique se décide en France, et non pas à Bruxelles. Cette vérité brutale n’est jamais dite.

Outre le facteur économique, l'aspect politique n'est-il pas également facteur de peur ? Les Britanniques (citoyens et certains hommes politiques) n'ont-ils pas peur de voir leur pays écarté de la scène internationale une fois le Brexit acté ?  

Oui, c’est la clef du sujet. Le Brexit pose la question du rapport au monde des britanniques. Ils doivent réinventer leur rapport au monde. Au fond, il y a deux façons de voir le sujet, l’une positive, l’autre négative.

La façon positive, c’est considérer, ce que les partisans du Brexit ont effleuré, que l’appartenance à l’Union européenne empêchait le Royaume-Uni, grande puissance diplomatique, militaire, culturelle, de voir que le monde était plus vaste que la seule Europe. D’où les critiques sur la politique commerciale, jugée traditionnellement étroite par Londres. D’où la critique sur le budget, qualifié d’archaïque, notamment en raison des dépenses d’agriculture. A cette aune, le Brexit réussi, c’est le Royaume-Uni capable de trouver seul sa place sur cette planète, sans être entravé par l’appartenance à une Union européenne ou le génie britannique est dilué dans une moyenne européenne, c’est-à-dire un ensemble médiocre. Ca signifie repenser la souveraineté dans un monde ouvert et interconnecté, qui correspond à l’ADN britannique.

La façon négative, c’est considérer, ce que les partisans du Remain pensent, que l’Union européenne était bien le bon vecteur pour affronter la dureté du monde. C’est considérer que le « rule Britania » est une illusion, que le Royaume-Uni est trop petit, trop faible, trop démuni pour survivre dans le monde des géants chinois, américain, indien.

Ajoutons enfin que c’est exactement à la même question que la France, pays qui ressemble le plus au Royaume-Uni, est confrontée. Pour l’instant, la réponse française consiste à rester dans l’Union européenne. Mais un Brexit réussi serait un coup terrible pour tous ceux et celles qui pensent en France qu’hors de l’Union européenne il n’existe point de salut.

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