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Rétablissement des frontières, mode d'emploi : à quoi pourrait ressembler la mise en œuvre du programme Fillon ?
©REUTERS/Wolfgang Rattay

Bye-bye Schengen ?

Cette proposition de rétablir le contrôle aux frontières s'inscrit dans la continuité de propositions déjà faites au cours des débats de la primaire de la droite et du centre, en vue de lutter notamment contre la menace terroriste.

Atlantico : Depuis Berlin ce lundi, François Fillon s'est exprimé sur la question des frontières européennes, affirmant dans un tweet : "Tant que les frontières de l'Europe ne seront pas protégées par nos partenaires, la France rétablira de vrais contrôles aux frontières". En tenant compte de la situation actuelle et de la participation française à l'espace Schengen, dans quelle mesure ce rétablissement est-il réalisable ? Comment pourrait-il s'opérer ? 

Maxime TandonnetAu regard du droit européen, il est en principe impossible de rétablir de manière durable ou définitive les contrôles aux frontières intérieures. Les articles 23 et 24 du règlement européen du 15 mars 2006, dit "code des frontières Schengen", limitent l'autonomie des Etats. En cas "de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure et de nécessité", cette mesure peut être décidée de manière unilatérale par un Etat pour une période de trente jours, renouvelable dans la limite de six mois. Il doit alors procéder à une notification préalable des Etats partenaires et de la Commission, justifier sa décision et le respect du principe de "proportionnalité" de la mesure aux besoins. La Commission peut saisir la Cour de justice d'un recours en manquement si elle l'estime excessive. Selon l'article 25, en cas d'urgence, les contrôles peuvent être rétablis sans notification préalable, mais pour une durée limitée à dix jours renouvelable dans une limite de deux mois. Le code frontière, dans sa rédaction issue d'une modification apportée par un règlement du 6 novembre 2013, limite la notion de menace grave pour la sécurité intérieure ou l'ordre public aux seuls faits de violences : terrorisme, émeute, hooliganisme, etc. Il écarte la possibilité pour un Etat de rétablir unilatéralement ses contrôles dans le cas d'un afflux migratoire. Son considérant 5 prévoit en effet que "la migration et le franchissement des frontières extérieures par un grand nombre de ressortissants de pays tiers ne devraient pas être considérés, en soi, comme une menace pour l'ordre public ou la sécurité intérieure". 

Mais dans les faits, les contrôles aux frontières ont pourtant été rétablis unilatéralement... La vérité, c'est que le droit européen, issu du système Schengen, est dépassé par les faits. Face à l'afflux d'un million de migrants ou de réfugiés, poussés par le chaos qui ravage le Moyen-Orient et une partie de l'Afrique du Nord, en 2015, plusieurs Etats ont toutefois rétabli unilatéralement leurs contrôles aux frontières Schengen en utilisant l'article 25, donc sur le motif d'ordre public assorti de l'urgence : l'Allemagne le 13 septembre, l'Autriche et la Slovaquie le lendemain, la Suède et le Danemark le 4 janvier. Puis, ces rétablissements des contrôles aux frontières ont été perpétués, toujours en vigueur plus d’un an après, en violation flagrante avec les articles 23, 24 et 25 du code frontière. Ces rétablissements durables des contrôles aux frontières, à l'encontre des règles communautaires, marquent l'implosion, sous la pression d'événements historiques, d'un système juridique devenu trop bureaucratique et rigide, donc inadapté au monde des réalités. La Commission européenne a dû d'ailleurs prendre acte de ces phénomènes. Par un avis du 28 octobre 2015, modifiant de fond en comble sa doctrine, elle admet que l'importance du flux migratoire en cours justifie le rétablissement des contrôles aux frontières sur un motif d'ordre public et de sécurité nationale, ce qui est tout à fait nouveau. Il reste que la perpétuation de ces contrôles n'est pas conforme aux règles du droit européen mais semble tolérée dans la situation de crise migratoire. 

Dans le cas où la France décidait de rétablir les contrôles aux frontières, quel coût cela représenterait-il ? Disposons-nous du contigent de forces suffisant pour cela ? 

La situation est confuse. Le gouvernement français a rétabli certains contrôles aux frontières à l'image des autres pays européens. Par exemple avec l'Italie, les contrôles ont été rétablis pour tenter  de contenir l'afflux de migrants. Ailleurs, ce n'est pas toujours le cas, par exemple entre la France et la Belgique où les points de passage sont innombrables. La plus grande confusion règne sur le plan européen: où en est-on de l'application du code frontière sur l'ensemble du continent ?

Quant au coût d'un rétablissement général et permanent des contrôles aux frontières intérieures, nul n'en a vraiment idée. Il est évident que cela mobiliserait des effectifs considérables au détriment d'autres missions. Il ne faut pas non plus se tromper: on ne reviendra jamais au système d'autrefois, avec des contrôles douaniers et policiers systématiques au passage des frontières, compte tenu du volume du trafic international qui traverse la France, en particulier sur les grands axes autoroutiers européens. Ce serait désastreux d'un point de vue économique. Il faut s'orienter vers des solutions réalistes, sur la base de contrôles aléatoires et ciblés, sans remettre en cause la libre circulation des personnes et des marchandises.  

Dans le contexte de la présidentielle française, cette proposition pourrait-elle susciter un intérêt significatif chez les Français ? N'est-ce pas une manière de remettre l'Europe et l'espace Schengen au coeur du débat de ce scrutin ?

Peut-être que le rétablissement des contrôles aux frontières est un thème porteur sur le plan électoral. Toutefois, il faudrait aussi dire la vérité aux Français, aux électeurs. Cette mesure est bien loin de constituer un remède miracle aux grands enjeux de l'époque. Elle n'apporte aucune réponse satisfaisante à la crise migratoire. Laisser des populations migrantes s'entasser en Italie et en Grèce ne règle rien.  Elles finiront par passer et se rendre où elle le veulent, tant les possibilités de franchir les frontières sont nombreuses. Les Etats ne s'en sortiront pas les uns contre les autres. La désintégration politique de l'Europe n'est pas une bonne nouvelle à cet égard, y compris le Brexit. Face au défi commun de la crise migratoire, nous aurions besoin d'une Europe unie politiquement. Il faudrait une volonté politique commune européenne pour frapper les passeurs criminels et esclavagistes qui envoient des centaines de milliers de personnes dans l'enfer de l'immigration illégale, mais aussi pour contribuer à stabiliser les zone de non-droit du sud de la Méditerranée, pour négocier avec les pays de transit, et agir en faveur du développement des pays d'origine. La décomposition en cours de l'Europe politique fragilise notre continent au regard de la crise migratoire. La question de l'Europe, en tant que continent confronté à des défis communs, n'est pas un thème de campagne électoral porteur mais il est au coeur de notre avenir collectif.  

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